Des Israeliens de toutes couleurs politiques se sont interroges quant
aux objectifs de l’offensive engagee par Tsahal en Cisjordanie, formant
l’hypothese que si le premier ministre Ariel Sharon avait pour but
d’exorciser son dibbouk personnel, Yasser Arafat, la focalisation
israelienne sur ce dernier comme divinite de la terreur pourrait bien
avoir un effet boomerang, avec un leader palestinien qui pose deja en
toge de martyr vivant.

Israel a souligne a plusieurs reprises que l’operation massive de Tsahal visait a eliminer les attaques-suicide palestiniennes et les autres assauts terroristes qui ont ebranle Israel au plus profond. Mais l’attention internationale se concentre sur les malheurs d’Arafat, qui regne depuis un secteur chaque fois plus restreint de son quartier general, au sein d’un complexe assiege et occupe dans la cite
cisjordanienne de Ramallah.

« Nous [Israeliens], de nos propres mains, avons transforme [ces operations] en une guerre contre Arafat », remarque l’editorialiste d’Ha’aretz, Danny Rubinstein. Le pays officiel a depeint et continue a depeindre Arafat comme « le monstre par excellence, le menteur, le tricheur, celui qui s’est paye notre tete sur toute la ligne », ajoute-t-il. Mais tout ceci pourrait revenir en boomerang contre Israel. Rubinstein note que la reclusion et la mise en quarantaine d’Arafat lui ont d’ores et deja
confere dans le monde arabe un statut de heros sans precedent dans l’histoire de son long conflit avec Israel – et avec le justicier supreme Sharon.

« Si Israel tient vraiment sa promesse de ne pas toucher a Arafat et qu’il n’est ni blesse ni expulse, dans quelques jours ou quelques semaines, lorsque nous quitterons les lieux, il sortira d’ici en triomphateur, dote d’un pouvoir enorme », dit Rubinstein, indiquant que le soutien nouvellement trouve par Arafat pourrait signifier, en cas de negociations de paix futures, que l’obstine leader palestinien
s’assierait a la table en position de force.

Ran Cohen, du Meretz (gauche), a declare que le gouvernement de centre-droit de Sharon etait incapable d’assigner quelque but que ce soit a cette guerre parce qu’il se refusait a regarder en face la seule alternative – nous separer de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza pour laisser s’edifier un Etat palestinien aux cotes d’Israel. « Cette politique est un echec total. Ce n’est pas faute d’actions militaires – il y en a. Mais il n’y a ni orientation ni objectifs diplomatiques. »

Le president de la Knesset, Avraham Burg, chef de file de l’aile colombe du parti travailliste, a egalement pris position sur les actions militaires en cours, affirmant que la negociation etait la seule voie vers une solution. « Le plus grand probleme des Israeliens est que certains d’entre nous sont tombes sous le charme de la stupidite palestinienne. Juste parce que les positions palestiniennes sont
stupides, juste parce qu’ils ne peuvent vaincre le terrorisme et ont
abandonne le processus de paix dans la violence, cela impliquait-il que
nous entrions dans ce cycle de folie ? »

Mais le ministre des Finances Silvan Shalom, une personnalite du Likoud,
le parti de Sharon, rejette les appels a une reprise des pourparlers, disant qu’Israel devrait bannir Arafat et non lui ouvrir la route du retour a la table de negociation.

« Qui parle d’accord de diplomatie egare le peuple », dit Shalom, evoquant les negociations manquees de 2000-2001 durant lesquelles le premier ministre de l’epoque, Ehud Barak, soutenu par la Maison Blanche de l’administration Clinton, avait fait de larges concessions a Arafat, qui les avait finalement repoussees.

« Il n’existe aucun moyen d’arriver a un accord avec un homme qui a recu une offre de 100% [de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza], comprenant un Etat independant avec Jerusalem [Est] pour capitale, comprenant des echanges de territoires pour partie du droit [des Palestiniens] au retour, et la encore a dit non. »

Shalom dit qu’au lieu d’entretenir « l’illusion » qu’Israel n’avait pas su proposer a Arafat la formule magique de paix, « nous devrions savoir prendre la decision courageuse… la simple decision d’expulser cet homme d’ici. »

Le depute d’extreme-droite Avigdor Lieberman, qui a demissionne de son poste de ministre ce mois-ci en signe de protestation contre l’adoucissement de la politique de retorsion contre Arafat et l’Autorite palestinienne, est alle plus loin, declarant que le quartier general d’Arafat a Ramallah – president de l’Autorite palestinienne compris – devrait etre « efface de la surface de la terre ».

Faisant allusion aux batiments du quartier general d’Arafat, Lieberman a
affirme : « Je ne vois pas pourquoi nous n’effacons pas cette Muqata de la face de la terre. Si cela dependait de moi, nous avons assez de F-16 et d’helicopteres, nous devrions tout simplement ecraser tout ce complexe, avec tout ce qu’il contient – y compris tous ceux qui s’y trouvent. »

Parlant a la radio israelienne, Lieberman declarait que les Israeliens de toutes tendances devaient s’unir derriere le gouvernement et l’armee. Mais il ajoutait aussitot que cette operation manquait « d’une orientation claire. Nous n’allons pas dans la bonne direction et cette operation echouera elle aussi a arreter le terrorisme », a-t-il dit.

« Qu’est-ce que cela peut bien faire a Arafat qu’un fou de Daheisheh [camp de refugies proche de Bethleem] se fasse sauter au centre de Jerusalem ou de Tel-Aviv. En ce qui le concerne, cent, mille ou vingt mille d’entre eux peuvent bien se faire sauter – plus ils seront mieux cela vaudra. Il n’est pas sensible au prix de la vie humaine. »

Avec une inhabituelle largeur de vue, cependant, Lieberman declara qu’en maintenant Arafat encage et vivant le gouvernement avait choisi le pire dans chacune des options.

Citant deux declarations faites separement dimanche par Sharon et le ministre des Affaires etrangeres Shimon Peres, Lieberman notait que « d’un cote le premier ministre declare qu’Arafat est l’ennemi du peuple d’Israel et de l’humanite, alors que de l’autre le ministre des Affaires etrangeres persiste a dire qu’il est un partenaire [dans le cadre de negociations]. »

« Si c’est un ennemi, nous devons en finir. Si c’est un partenaire, nous n’avons pas a l’humilier, il faut lui accorder un espace de negociation. Mais l’abandonner ainsi, comme un animal blesse, c’est la pire des choses a faire. »