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Trad. : Marie-Hélène Le Divellec, pour La Paix Maintenant


On s’accorde assez largement, sur le plan international, pour dire qu’Arafat « n’est pas un partenaire dans le processus de paix ». Il s’agit probablement d’une évaluation correcte, mais non parce qu’Arafat a pour intention de
détruire l’Etat juif, comme tant d’Israéliens le pensent. En dépit de ses nombreux échecs en tant que dirigeant, Arafat a une perception réaliste des forces et de la vitalité de la société israélienne, et de l’énorme puissance de son armée.

Paradoxalement, les échecs d’Arafat sont la conséequence de son incapacité à être à son image, celle d’un autocrate qui agit à sa guise. …/ Confronté à des situations ou à des initiatives qui devaient être prises, et qui auraient amélioré de façon radicale les chances de mettre fin à l’occupation israélienne et de progresser sur la voie d’un Etat palestinien, situations qui exigeaient de sa part des décisions qui lui auraient aliéné plusieurs segments de l’opinion palestinienne, Arafat, invariablement, a choisi de ne rien faire plutot que de prendre le risque de perdre des soutiens. Il se lance rarement dans une nouvelle direction sans d’abord s’assurer de disposer d’un large consensus en faveur de ce changement.

Pour la meme raison, Arafat a rarement osé avoir recours à la violence pour modifier le statu quo. Arafat n’a pas été à l’origine de la premiere intifada en 1987. Celle-ci a été lancee (de façon spontanée) par de jeunes Palestiniens sans aucune implication de l’OLP. Arafat a affirmé son autorité sur cette intifada une fois, et une fois seulement, qu’elle fut en route et qu’elle eut attiré l’attention au plan international.

La première vague d’attentats importante après les accords d’Oslo a suivi le meurtre par Baroukh Goldstein de 29 fidèles palestiniens qui priaient à Hebron en 1994, et a été l’oeuvre du Hamas, et non d’Arafat. Arafat n’est pas non plus à l’origine de l’actuelle intifada Al-Aqsa, contrairement à l’opinion répandue en Israël selon laquelle il l’aurait planifiée avant meme l’échec du sommet de Camp David. Le chef du Shin Bet d’alors, l’amiral (de réserve) Ami Ayalon, a déclaré de facon catégorique, et à plusieurs reprises, que ni Arafat ni personne au sein du Fatah n’a organisé quoi que ce soit envisageant une intifada violente avant la visite provocatrice d’Ariel Sharon au Haram al-Sharif (Mont du Temple) en septembre 2000 et le grand nombre de Palestiniens tués par les forces de sécurité israéliennes au cours de la manifestation qui a suivi cette visite. Et même alors, ce ne fut pas Arafat qui lança la nouvelle intifada, mais des éléments du Tanzim, un groupe assocé au Fatah d’Arafat. Arafat accepta la violence, car il est incapable d’arrêter la violence quand elle jouit d’un large soutien de la part des Palestiniens, comme il est incapable de l’impulser quand il craint qu’elle pourrait provoquer des dissensions internes et ébranler son autorité.

Plus récemment, des Palestiniens de premier plan (Abou Mazen, Hanane Ashraoui, Mohamed Dahlan, etc.) se sont prononcés contre les attentats à la bombe contre des civils israéliens et en faveur d’un cessez-le-feu de la part des Palestiniens. Ce ne fut que lorsque cette position fut devenue acceptable au sein des cercles dirigeants palestiniens et chez la jeune génération de militants du Fatah qu’Arafat l’adopta lui-même. (Arafat a toujours condamné le terrorisme, mais son manque de sincérité faisait en sorte que l’on savait à quoi s’en tenir à l’intérieur de l’Autorité palestinienne)

Le fait qu’Arafat ait fait preuve d’un fatale incapacité à prendre des décisions difficiles et impopulaires n’est pas contredit par ce que rapportait Haaretz le 28 novembre dernier : l’Autorité palestinienne envisage sérieusement d’utiliser la force contre le Hamas et le Jihad islamique pour mettre fin à leurs attentats suicides contre les civils israéliens. Je doute fort qu’Arafat agisse de la sorte, d’abord parce que les forces de sécurité palestiniennes ont ete si affaiblies par l’action de Tsahal qu’ils ne peuvent plus prendre le dessus en cas de confrontation avec le Hamas. Mais si l’on envisage une telle confrontation, c’est tout d’abord à cause de la parution d’un nouveau sondage, qui montre que les Palestiniens s’opposent maintenant à la continuation de la violence, à une grande majorité. Une majorité approuve également l’usage de la force par l’Autorité
palestinienne contre le Hamas et le Jihad. Si Arafat devait entreprendre cette action sans précédent, c’est parce que, comme par le passé, il collerait alors au consensus palestinien plutot que d’avoir à le forger.

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Après les attentats du 11 septembre, le président Bush rendit publique une déclaration souhaitant à Arafat la bienvenue dans sa coalition anti-terrorisme. Et si quelqu’un saisit bien alors les implications de l’esprit de décision inhabituel montré par Arafat et ses conséquences vis-à-vis des efforts de Sharon pour l’isoler, ce fut bien Sharon lui-même. Celui-ci abandonna la toute nouvelle modération qui avait marqué la première partie de son mandat, et accusa de facon hystérique le president Bush de vendre Israël, en rappelant la vente de la Tchécoslovaquie par Chamberlain à Munich, en 1938.Cette accusation choqua la Maison Blanche et attira un reproche salé et tres peu caractéristique de la part du cabinet du Président, soulignant par là-même ce que pourrait signifier un changement de position américaine suscitée par l’initiative d’Arafat.

Malheureusement pour les Palestiniens, les Américains ne mirent pas longtemps à se rendre compte qu’Arafat n’avait pas changé. Les services de renseignement américains confirmèrent que le nouvel allié de l’Amerique dans sa guerre globale contre le terrorisme continuait d’approuver les attentats terroristes contre les civils israéliens, en dépit de ses condamnations officielles. L’attitude trompeuse d’Arafat n’a pas seulement ruiné les bénéfices potentiels que la cause palestinenne aurait pu retirer de sa réponse initiale à Bush, elle a aussi renforcé l’hostilité de Bush à son égard, et renforcé les éléments à la Maison Blanche qui n’avaient déjà pas beaucoup de sympathie pour lui ni pour la cause palestinienne. La dévastation de tous les aspects de la vie des Palestiniens depuis un an mesure le prix que le peuple palestinien a dû payer à cause de l’incapacité chronique d’Arafat à saisir les occasions qui se présentent a lui.

Rien de ce qui précède ne signifie qu’Ariel Sharon ait de meilleurs arguments à faire valoir qu’Arafat en tant que partenaire d’un processus de paix. Il est vrai que depuis le début de son mandat de Premier ministre, il y a un an et demi, Sharon a su cultiver avec beaucoup de réussite une image de modération, en contraste saisissant avec l’image qui l’a accompagné toute sa vie, celle d’un homme impulsif et irresponsable, réputation qui lui a valu le surnom de « bulldozer ». Mais nous parlons d’image, pas de la réalité.

Sharon a déclaré la guerre au terrorisme palestinien, et il est déterminé à recourir à tous les moyens nécessaires pour la gagner. Tous, sauf un. Il a refusé toutes les mesures de nature politique, bien que les services de renseignement israéliens lui aient dit depuis longtemps que cette guerre contre le terrorisme ne pouvait pas être gagnée si elle n’incluait pas la pespective de nouveaux accords politiques. Son conseiller personnel en matière de sécurité, Ouzi Dayan, lui a dit la même chose. Ce qui fit qu’Ouzi Dayan devint alors ex-conseiller de Sharon en matière de sécurité. De manière assez ironique, le conseiller qui a remplacé Ouzi Dayan, l’ex-chef du Mossad Ephraïm Halevy, pense que le jour viendra où il Israël devra négocier avec le Hamas.

Sharon a ignoré la règle universellement acceptée du caractère indispensable d’un processus politique faisant partie de la guerre contre le terrorisme, parce que la guerre à laquelle il accorde la plus grande importance, au-delà de la guerre contre le terrorisme, c’est la guerre pour empêcher l’émergence d’un Etat palestinien viable. Derriere la couverture que lui a fournie la guerre contre le terrorisme (qui reste un échec), Sharon a parfaitement réussi à détruire pratiquement toutes les institutions essentielles à la vie des Palestiniens. Les couvre-feu militaires appliqués de façon brutale, les fermetures des frontières, et les autres restrictions ont transformé les villes palestiniennes en énormes centres de détention. La plus grande partie des infrastructures construites avec l’aide de la communauté internationale depuis les accords d’Oslo de 1993 sont en ruines, a l’instar de l’économie palestinienne et la plupart des institutions civiles de l’Autorité palestinienne. Sharon a pu accomplir cela sans s’attirer des critiques très fortes de la part de la communauté internationale, en faisant comme si la
dévastation de la vie nationale des Palestiniens causée par l’armée israellienne lui avait ete imposée par le terrorisme palestinien.

Ceux qui considèrent Sharon comme un modéré font resssortir son acceptation du rapport Mitchell, de « concessions douloureuses » dans l’éventualité d’un processus de paix, pour l’établissement d’un « éventuel » Etat palestinien, et de la « feuille de route » élaboréee par les Etats-Unis pour un accord israélo-palestinien, qui appelait à la création d’un Etat palestinien en 2005, en trois phases. Ils mettent aussi en avant qu’après le départ des travaillistes de son gouvernement d’union nationale, le 30 octobre, Sharon a fait un dangereux pari en choisissant d’organiser de nouvelles élections plutôt que de constituer un gouvernement droite-extrême droite, rejetant les exigences du parti Union Nationale, dont la condition pour se joindre au gouvernement était le refus de la feuille de route américaine et l’opposition à un Etat palestinien.

Mais Sharon n’est pas le modéré qu’il prétend être. En attestent son refus constant de reprendre une activité diplomatique vers un accord de paix pendant cette année et demi ou il était au pouvoir, les assassinats ciblés de Palestiniens qui, pour de nombreux Israéliens, semblent saper les initiatives palestiniennes pour mettre fin a la violence, et son exigence d’une reddition totale des Palestiniens avant qu’il permette à un processus politique de commencer.

C’est vrai, aux yeux des Israéliens, Sharon n’est plus le « bulldozer », l’aventurier irresponsable qu’il était tout le long de sa carrière, militaire et politique, avant qu’il devienne Premier ministre. Mais ce qui a changé n’est pas l’engagement de toute sa vie contre l’émergence d’un Etat palestinien viable, ou au moins qui ne serait pas sous un contrôle israelien total, objectif exigeant de multiplier et d’agrandir les colonies juives et leurs infrastructures en Cisjordanie et à Gaza. Ce qui a changé, c’est une nouvelle sophistication, une nouvelle subtilité qu’il met maintenant à accomplir sa tâche. Shimon Peres a contribué à persuader Sharon de changer de tactique. Il l’a convaincu d’accepter ces propositions « en principe », et de compter sur les conditions d’Israël, sur l’ineptie d’Arafat et sur le terrorisme du Hamas pour faire avorter l’application effective de ces propositions.

Ainsi, après avoir dans un premier temps rejeté le rapport Mitchell, Sharon changea d’avis et l’accepta « en principe ». (Le rapport Mitchell appelle à une série de mesures réciproques, israéliennes et palestiniennes, y compris le gel de la colonisation, qui mèneraient à une reprise des négociations politiques) Mais Sharon n’a jamais présenté le plan Mitchell au gouvernement pour approbation. Il rassure d’ailleurs ses proches en disant qu’il n’a jamais accepté le plan Mitchell, même s’il dit le contraire aux Etats-Unis et à la communauté internationale. Et il compte sur la violence et les erreurs palestiniennes pour ne pas avoir à rendre compte de sa duplicité.

Oui, Sharon s’est opposé à la récente decision du comite central du Likoud de rejeter un Etat palestinien. Mais il ne l’a fait que parce qu’il avait compris qu’un tel rejet officiel aurait obligé l’administration américaine
(qui elle-même s’est fort bien accommodée de sa tactique d’évitement de tout processus politique aussi longtemps que possible) à réviser sa position et à s’opposer publiquement à la politique de son gouvernement.

Très récemment, Omri Sharon, le fils tres influent du Premier ministre, a dit au cours d’une rencontre avec des fidèles du Likoud, comme l’a rapporté Haaretz le 13 décembre, que la promesse faite par son père d’un éventuel Etat palestinien était une « déclaration à longue échéance ». Il leur a dit qu’ils devaient comprendre que nous ne vivions pas dans un espace vide, qu’il y avait une realité internationale. Mais quand on s’exprime de façon modérée, on peut manier un gros bâton. Aujourd’hui, après tout, nous sommes installés dans les zones palestiniennes, nous violons les accords internationaux, et personne ne dit rien. Les Etats-Unis sont avec nous. Nous disons « un Etat palestinien », « un Etat palestinien », mais en attendant, meme la zone A n’existe plus. Il n’y a plus d’Orient House, plus de représentation palestinienne à Jérusalem, et les Palestiniens ont peur de se promener armés dans leurs propres villes. Bien sûr, nous voulons la paix, qui ne veut pas la paix? Mais la déclaration sur un Etat palestinien n’est qu’une déclaration à très long terme.

Le soutien « en principe » de Sharon aux idées exprimées par le président Bush dans son discours du 24 juin 2002, qui engageait les Etats-Unis à créer un Etat palestinien dans les trois ans, n’a pas empêché l’agrandissemnt des colonies, ni la continuation de la destruction par Tsahal des institutions palestiniennes, ni le rejet de l’éventualité de toute colonie dans les territoires. (Il a déclaré qu’il lui etait impensable d’évacuer même les colonies les plus isolées et éloignées de la bande de Gaza, car cela revenait à remettre Tel-Aviv aux Palestiniens.) Au lieu de cela, il réitère son insistance pour une longue période de transition avant toute négociation entre Israéliens et Palestiniens sur un statut permanent. Et dans un important discours politique le 4 décembre à Hertzliya, il a retiré son soutien à la « feuille de route » pour une solution à deux Etats présentée par le Quatuor (Etats-Unis, Russie, ONU, Union Européenne), pour préférer la « vision » beaucoup plus vague décrite par Bush dans son discours du 24 juin.

Il n’existe aucune perspective de reprise du processus de paix si Sharon redevient Premier ministre et si Arafat reste le principal dirigeant de l’Autorité palestinienne. Une percée de ne peut venir que d’un camp de la paix israélien revivifié qui réussirait à porter au pouvoir un gouvernement qui se serait engagé à une reprise immediate des négociations de paix avec les Palestiniens, et à l’évacuation de la plupart des colonies.

Un tel developpement en Israël serait susceptible d’aider à porter au pouvoir un leadership palestinien opposé à la violence et prêt à faire les compromis (principalement sur le droit au retour des réfugiés et sur le statut de Jérusalem) essentiels à un accord de paix. Comme de récents sondages l’ont montré, une large majorité de Palestiniens s’oppose maintenant aux attentats contre les civils, même si cela implique de s’en prendre au Hamas et au Jihad islamique.

Ces deux développements deviendraient plus probables s’il y avait une preuve convaincante d’une détermination nouvelle de la part des Etats-Unis de produire une feuille de route pour un processus de paix menant à un Etat palestinien, qui soit claire sur ce qui constitue un Etat palestinien viable et souverain. Le vague engagement de Bush en faveur d’une « vision » de deux Etats n’a pas apporté une telle clarification.

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Pour toutes ces raisons, les perspectives de voir la fin du cycle de la violence et une renaissance du processus de paix sont bien sombres.