Selon les sondages les plus récents, il semblerait que la gauche sioniste ait été rayée de la carte des partis politiques. C’est une réalité insupportable car la gauche demeure la seule force morale qui fasse barrage à la « mauvaise » vague nationaliste qui submerge la société israélienne et menace d’engloutir l’État juif. En apparence, seul subsisterait de la gauche sioniste le parti Meretz mais, en réalité, il y a des centaine de milliers de citoyens qui en sont proches, que ce soit dans le domaine politique et social, celui de l’État de droit et des droits de l’homme. Alors pourquoi n’ont-ils pas l’intention de voter Meretz ?

La réponse est que que certains d’entre eux s’abstiennent de prendre position tant qu’ils n’ont pas trouvé le parti « idéal ». Mais plus nombreux encore sont ceux qui sont prisonniers de la toile d’araignée que constitue la légende selon laquelle le Parti travailliste parviendra à attirer de nombreux votants issus de la droite et du centre grâce à ses positions sociales, qui accompagnent son acceptation de la poursuite de l’occupation. Ils sont pourtant déchirés à la vue non seulement de la catastrophe qui se déroule dans les Territoires, mais aussi par le délitement du système judiciaire, l’annihilation progressive de l’indépendance des media, les attaques répétées contre la liberté académique. Malgré tout cela, la majorité se mordra les lèvres et donnera ses voix au parti qui garde le silence et ne dit mot ni de la construction dans les Territoires, ni des tentatives de suppression ciblée de départements à l’université Ben-Gourion [1], ni du couperet qui menace de s’abattre sur Aroutz 10 [2].

Au final, le Parti travailliste n’a aucunement l’intention de combattre la droite. Au mieux, il s’efforcera à l’avenir d’influer à la marge sur la répartition des miettes. Son équipe dirigeante parie sur la cécité du plus grand nombre, la déception qui le gagne et son emprisonnement dans la conception selon laquelle « il n’y a déjà plus rien à faire ». Sur cette base, le glissement à droite est avant tout un acte de trahison intellectuelle et morale. Au plan politique concret, il s’agit de l’expression de l’engluement dans des illusions et d’un mensonge à soi-même.

Il est douteux que Shelly Yah’imovitch comprenne que le Likoud ne renoncera pas à sa politique néo-libérale même si elle accepte de siéger au gouvernement, du fait que la majorité des électeurs de ce parti, y compris ceux qui sont au plus bas de l’échelle sociale, entérinent cette politique car ils sont d’accord avec les objectifs nationaux de la droite dans ses diverses composantes.

Ces gens là votent en toute conscience contre leurs propre intérêt économique, car ils s’identifient pleinement à la politique globale que mène l’élite droitière. La domination des Palestiniens, la poursuite des constructions à Jérusalem et dans les Territoires, ainsi que celle de leur annexion, sont à leurs yeux plus importantes que le prix du lait ou le taux d’intérêt de l’emprunt par eux souscrit pour acheter un logement. Leur foi dans le discours nationaliste est totale. L’électeur moyen du Likoud sait pertinemment que les énormes investissements dans les Territoires se font au détriment du logement, des routes, de l’éducation et de la santé. Mais il adhère à ce que prétendent ses leaders : il s’agit d’un investissement dans l’accomplissement du droit historique du peuple juif sur la terre promise.

À ses yeux, c’est bien là un véritable investissement au profit des générations à venir. Pour le combat d’Eretz Israël il est prêt à négliger le combat pour les petites choses de la vie de tous les jours. Il est conscient de la cherté de la vie, de la pauvreté qui s’étend, mais il ne voit en cette réalité pour le moins maussade que le prix de la fidélité à l’histoire juive et à la sécurité du pays.

C’est pourquoi le Parti travailliste n’attirera pas les voix de la droite même après que Yah’imovitch a déjà rabaissé le parti au niveau d’un simple groupe de pression, a renoncé au combat pour l’avenir et en a fait un simple appendice de la droite. À ce jour, elle n’a toujours pas compris que la droite pense à long terme et a réussi à persuader de larges fractions de la société israélienne qu’au nom de l’intérêt national, tel qu’elle le conçoit, il est louable de renoncer au beurre pour se contenter de pain sec.


NOTES

[1] Le département de Sciences politiques de l’université Ben-Gourion du Néguev est dans la mire du ministère israélien de l’Enseignement supérieur. Un comité d’évaluation s’appuyant sur un rapport demandé à des universitaires étrangers triés sur le volet (un volet politique, bien sûr) considère que les recherches qui y sont menées sont trop marquées par une “approche radicale” et recommande de le fermer tant qu’un rééquilibrage sur une ligne plus médiane n’est pas opéré. Ce faisant, ce comité refuse de prendre en compte les concessions importantes déjà effectuées en ce sens par le département à travers plusieurs recrutements.

Pour en savoir plus, on peut lire l’article de David Kanner pour l’édition française du Huffington Post, “Chasse aux sorcières à l’universitė Ben-Gourion” :

[->http://www.huffingtonpost.fr/david-kanner/luniversite-ben-gourion-sous-tension_b_1939587.html]

[2] La chaine privée de télévision Aroutz 10 (litt. “Canal 10”) a été confrontée à des difficultés financières et a accumulé des dettes importantes, vis à vis de l’État notamment. Parallèlement, elle a déplu au pouvoir en place en révélant l’affaire des voyages luxueux « offerts » à B. Netanyahu et sa famille (avant sa prise de fonction en tant que Premier ministre) ; celle d’un ministre d’Israel Beïtenu passant la nuit chez une autre femme que la sienne ; et, plus dramatique, celle de ce médecin de Gaza qui perdit ses trois filles lors d’une frappe aérienne au cours de l’opération « Plomb durci ». Revanche? En tout cas, autorités n’ont longtemps pas facilité la sortie de crise, et la chaine a failli fermer.

Pour l’éditorialiste vedette de Yedioth Ah’aronoth, Nah’um Barnea, s’il s’agit dans le cas d’Aroutz 10 d’un problème de gestion commerciale, cela fait bien partie par ailleurs du combat mené à la Knesseth pour le contrôle du débat public : « Beaucoup des lois en discussion ont un point commun. Il y a des gens au sein de la coalition pour penser qu’il est temps qu’ils changent les règles – celles qui concernent les Palestiniens, le secteur arabe en Israël, la gauche et les media. L’affaire d’Aroutz 10 en relève. Et s’il ne nous reste qu’une seule chaine privée, notre démocratie en sera affaiblie. »

Un accord vient d’être trouvé et l’autorisation d’émettre a été prolongée pour 2 ans après que la chaine a payé ses dettes à l’État pour un montant de 100 millions de shekel (dont un prêt… d’État de 65 millions).

Pour en savoir plus, on peut lire sur notre site la traduction que nous avions donnée en novembre 2011 d’un article de Nahum Barnea, “La Sainte Trinité : Nous ne voulons pas de la démocratie !”

[->http://www.lapaixmaintenant.org/La-Sainte-Trinite-Nous-ne-voulons]