“Le moment est peut-être venu de renoncer au rêve de métamorphoser les dirigeants de l’Autorité palestinienne en de fervents sionistes qui, non contents de lutter contre les mouvements islamistes dans le seul désir de sauver des Israéliens, reconnaîtraient Israël en tant qu’État juif“, observait Avi Issacharoff dans Ha’aretz, le 16 novembre dernier. Plusieurs années correspondant du quotidien aux Affaires arabes et palestiniennes et coauteur avec Amos Harel de deux ouvrages, dont un sur la deuxième intifada sous-titré “comment nous avons gagné et pourquoi nous avons perdu la guerre avec les Palestiniens“ [1], il enseigne aujourd’hui l’histoire moderne des Palestiniens à l’université Ben-Gourion du Néguev. Plus encore qu’une occasion ratée, c’est le paradoxe d’une politique allant à l’encontre de ses objectifs autoproclamés qu’il souligne ici, rappelant la déclaration par Yasser Arafat, il y a 22 ans, de l’État palestinien : “Pour peu que Netanyahu persévère dans sa stratégie du ‘que nenni’, conclut-il, il fera de cette déclaration un fait.“ T.A.
Le rapport de Ha’aretz affirmant, la semaine dernière, qu’il ne reste plus de Palestiniens recherchés en Samarie [2] a suscité de nombreuses réactions émanant de groupes palestiniens et des médias arabes. Une fois de plus, l’Autorité palestinienne s’est vue accusée de collaborer avec Israël et de vouloir empêcher toute réconciliation avec le ‘Hamas.
Côté israélien, d’autre part, il n’y eut quasiment pas de réactions. Cela peut provenir de la mémoire relativement courte du public israélien, qui cherche à oublier les vieilles réalités sécuritaires et s’agrippe peut-être obstinément au slogan de “l’absence de partenaire“ palestinien. Dans une large mesure, les décisionnaires en Israël et la majeure partie de l’opinion se refusent à reconnaître la révolution qui a eu lieu en Cisjordanie ces trois dernières années. Il est tellement plus facile de s’accrocher aux vieux slogans – comme “On ne peut pas se fier aux Arabes“ ; ou “Il n’y a pas de quoi parler, ni avec qui“ – que d’admettre que l’Autorité palestinienne a fait l’impossible et créé en Cisjordanie des conditions de sécurité que les habitants de Lod, Netanya et d’autres villes israéliennes ne peuvent qu’envier.
L’Autorité palestinienne est engagée dans une guerre totale avec le ‘Hamas et le Djihad islamique. La loi et l’ordre sont revenus dans les rues des villes. Partout la croissance s’affiche, même dans les zones de grande pauvreté. Les Palestiniens, à en croire un sondage récent, s’intéressent à l’économie bien plus qu’à l’occupation ou aux colonies. Il suffit de parcourir les sites internet du ‘Hamas pour prendre la mesure de l’activité des organes de sécurité palestiniens, non seulement à l’encontre de la branche armée du ‘Hamas, mais aussi contre son infrastructure civile.
La révolution en Cisjordanie est si radicale que les Israéliens ont du mal à la prévoir. À l’été 2003, sous le gouvernement Sharon, l’avocat Dov Weisglass [3] négocia avec l’Autorité palestinienne des mesures de sécurité incluant le désarmement de quelque 400 militants recherchés en Cisjordanie. En Judée, on peut aujourd’hui les compter sur les doigts de la main. Weisglass rapporte que les collaborateurs de Yasser Arafat disaient à leurs homologues israéliens ne pouvoir mettre cet accord en œuvre parce qu’ils craignaient pour leurs vies.
La droite continue cependant à se plaindre de l’Autorité palestinienne, soutenant qu’elle n’agit en Cisjordanie que pour contrer la menace du ‘Hamas, et non dans la volonté sincère d’aider Israël. C’est exact, mais le moment est peut-être venu de renoncer au rêve de métamorphoser les dirigeants de l’Autorité palestinienne en de fervents sionistes qui, non contents de lutter contre les groupes islamistes dans le seul désir de sauver des Israéliens, reconnaîtraient Israël en tant qu’État juif. Même ceux des critiques de l’Autorité palestinienne qui décrivent la situation ici comme fragile et explosive ont raison. Si ce constat est juste, c’est surtout du fait que les négociations sont bloquées et que le gouvernement israélien donne l’impression de ne pas vouloir parvenir à un accord de paix.
Le ‘Hamas n’a pas disparu en Samarie. Il continue d’y jouir d’un soutien de l’opinion, et cela ne fera que croître aussi longtemps que les négociations seront retardées. Ainsi, le refus gouvernemental de toute avancée drastique ne sert-il que la cause du ‘Hamas. Bizarrement (ou peut-être pas), de nombreuses voix au sein de l’Autorité palestinienne se félicitent du Premier ministre israélien et de sa politique. Un journaliste palestinien résidant en Cisjordanie expliquait il y a peu, qu’au vu de l’énorme mouvement de soutien aux Palestiniens provoqué par la politique israélienne il projette d’accrocher dans son bureau une photo de son nouveau héros, Benjamin Netanyahu, à côté de l’ancien, Yasser Arafat.
À Alger, il y a 22 ans et un jour, Arafat proclamait la fondation de l’État palestinien. À en croire certains des “partisans“ de Netanyahu au sein de l’Autorité palestinienne, pour peu qu’il persévère dans sa stratégie du “que nenni“, il fera de cette déclaration un fait.
NOTES
[1] Amos Harel et Avi Issacharoff, La Septième Guerre : Comment nous avons gagné et pourquoi nous avons perdu la guerre avec les Palestiniens, traduction Jean-Luc Allouche, éd. Hachette, 2005.
[2] Amos Harel et Avi Issacharoff, “West Bank most wanted terrorist list has dwindled to almost nil“, Ha’aretz le 8/11/2010 :
[->http://www.haaretz.com/print-edition/news/west-bank-most-wanted-terrorist-list-has-dwindled-to-almost-nil-1.323465]
dont nous donnons la traduction sur le site de La Paix Maintenant, sous le titre “En Cisjordanie, la liste des terroristes les plus recherchés se réduit à zéro“ :
[->http://www.lapaixmaintenant.org/article2082]
[3] Dov Weisglass, avocat et homme d’affaires, fut le chef de cabinet d’Ariel Sharon et son négociateur à l’époque du retrait unilatéral de la bande de Gaza.