Associated Press, 14 juillet 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’été est chaud dans le monde artistique palestinien : des hommes en armes
ont interrompu le concert d’un chanteur populaire de Cisjordanie après qu’il
eut refusé de limiter son répertoire à des chants patriotiques ; une ville
dirigée par le Hamas a interdit un festival de musique pour ne pas que les
sexes se mélangent.

Aujourd’hui, Mahmoud Darwish, le poète national palestinien, répond en
disant que les fanatiques n’ont aucun droit de priver les Palestiniens des
beautés de la vie.  » Il y a dans notre société des éléments de type taliban,
et c’est un signe extrêmement dangereux « , a dit Mahmoud Darwish cette
semaine lors d’une réunion d’artistes et d’intellectuels.

Il ne s’agit pas d’un débat sur la liberté d’expression artistique, mais
sur la question de savoir si le futur Etat de Palestine sera une théocratie
ou une démocratie pluraliste.

Comparés à d’autres sociétés arabes, les Palestiniens ont toujours été
largement laïques et ouverts à la culture occidentale, même si l’islam est
majoritaire. De nombreux Palestiniens ont des liens étroits avec l’Occident,
et en particulier des membres de leurs familles qui vivent à l’étranger ou
qui ont fait leurs études dans des universités occidentales.

Mais les quatre années du conflit israélo-palestinien ont conduit un certain
nombre de Palestiniens à se tourner vers la religion ou la tradition.
Phénomène qui reflète d’ailleurs une tendance générale à l’échelle de toute
la région du Moyen-Orient.

De leur côté, les fondamentalistes musulmans s’affirment de jour en jour.
Ces derniers mois, le Hamas a enregistré plusieurs victoires aux élections
locales, et espère même l’emporter sur le Fatah laïque du président Mahmoud
Abbas aux prochaines élections législatives.

Dans la ville de Qalqiliya, en Cisjordanie, le Hamas a gagné les élections
locales en promettant de meilleurs services municipaux, mais aussi en
s’engageant à ne pas imposer ses positions religieuses. Néanmoins, il y a
une quinzaine de jours, le Hamas a interdit un festival de musique d’une
journée qui devait se tenir dans la ville, en arguant que le mélange entre
hommes et femmes lors d’un événement de cette nature était  » haram « ,
interdit par l’Islam.

Mustafa Sabri, porte-parole de la municipalité de Qalqiliya, a déclaré que
cette interdiction était démocratique, car elle reflétait le souhait de la
majorité.  » Nous ne sommes pas des Taliban « , a dit Sabri,  » mais nous les
respectons parce qu’ils ont choisi quelque chose qui convenait à leur peuple
« .

Mohammad Ghneim, 30 ans, ambulancier à Ramallah, qui espérait assister aux
concerts, dit qu’il craint que le Hamas ne tente de plus en plus de se mêler
de sa vie privée :  » aujourd’hui, ils interdisent un concert, demain ils
pourraient interdire la télévision par satellite « .

La semaine dernière, les amateurs de musique ont de nouveau été secoués
quand des hommes armés ont interrompu le concert que le chanteur populaire
Amar Hassan donnait à l’université An-Najah de Naplouse, en Cisjordanie.
Amar Hassan est célèbre en Palestine depuis que l’année dernière, il est
arrivé deuxième de l’émission  » American Idol  » à la télévision libanaise
(l’équivalent de notre Star Academy).

Avant le concert de Naplouse, des activistes des Brigades des Martyrs
d’Al-Aqsa sont venus trouver Amar Hassan dans sa chambre d’hôtel. Ils lui
ont ordonné de ne chanter que des chansons patriotiques, et de renoncer aux
chansons d’amour de son répertoire. Les hommes des Brigades ont dit au
chanteur que les chansons légères étaient interdites tant qu’Israël occupera
la Cisjordanie.

Amar Hassan, sans céder à ces exigences, entama son concert devant une foule
de 6.000 personnes. Pendant le concert, plusieurs dizaines d’hommes armés,
et plusieurs centaines de manifestants manifestaient devant les murs de
l’université. Les hommes armés tirèrent des coups de feu en l’air et
lancèrent des grenades incapacitantes, forçant finalement Amar Hassan à
interrompre son show. Alors que les spectateurs quittaient le campus, les
manifestants firent irruption à l’intérieur du campus, en jetant des sièges
et en insultants ceux qui partaient.

Dans une interview, Amar Hassan déclare qu’il ne se laissera pas intimider :
 » ces gens (les activistes) ne veulent pas que nous soyons heureux. Ils
veulent nous voir assis sur les ruines en train de pleurer. Nous allons
mener contre eux une guerre créatrice, avec davantage de poèmes, davantage
d’art, davantage de chansons « .

Ahmed Al-Taki, un dirigeant local des Brigades, a déclaré que son groupe
continuerait à interdire les concerts.

Lundi, Mahmoud Darwish, poète national palestinien emblématique, qui a
décrit avec talent la lutte de son peuple pour l’indépendance, a pris le
parti d’Amar Hassan et l’a invité à une rencontre entre intellectuels et
artistes palestiniens à Ramallah. Darwish a dit aux participants :  » nous
devons résister face aux tentatives de réprimer les artistes « .

Les déclarations de Mahmoud Darwish ont été publiées mardi dans le quotidien
palestinien Al-Ayyam. Le poète reclus, qui habite Ramallah, n’a pu être
joint pour répondre à nos questions.

Les concerts à Qalqiliya et à Naplouse faisaient partie d’une tentative de
restaurer un sentiment de normalité après plus de quatre années de combats,
a dit l’organisateur, Iman Hamouri. Une série de concerts estivaux avait
commencé en 1994, mais était suspendue depuis le début de l’intifada.

Hassan Khader, spécialiste de la culture pour Al-Ayyam, dit que le Hamas est
aujourd’hui assez puissant pour imposer ses conceptions, mais que, selon
lui, il finira par le payer aux élections :  » si le Hamas veut être une force politique, il ne faut pas qu’il force les gens à adopter son idéologie ».