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Ha’aretz, 6 février 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


J’aimerais que cet article soit une sorte de contribution israélienne au combat pour la liberté d’expression qui se déroule actuellement dans toute l’Europe.

Les fanatiques du monde entier se sont unis, et déjà, ces fondamentalistes nous fatiguent, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, ici ou là-bas. Ils se mêlent de notre vie, la pourrissent, et malheur à nous si nous montrons quelque signe de crainte ou de faiblesse. Ils n’arrêteront pas, ils ne renonceront pas jusqu’à ce qu’ils nous paralysent, et jusqu’à ce qu’ils soumettent nos vie à leurs idées.

Aucun d’entre nous ne peut ni ne veut être tenu pour responsable de tous les membres de sa nation ou de sa religion. Si nous sommes des boucs émissaires, nous n’en sommes pas responsables, mais pour autant, nous ne fuirons pas devant notre responsabilité qui est de dire ce qui est, haut et fort, plutôt que de le chuchoter dans les couloirs.

Nous allons le dire haut et fort à cette habitante d’une colonie, interviewée sur la première chaîne de télévision. Elle a dit au journaliste (je jure que c’est vrai) que « les Nazis ont été plus corrects que les policiers à Amona, parce qu’au moins, les Nazis ne frappaient les Juifs avec des matraques ». Oh, femme, qu’avons-nous en commun ? Partez, et allez au diable !

De même, nous allons nous tourner vers les musulmans fanatiques, de Gaza à Jakarta, ces compagnons de route de cette femme et de ses maîtres spirituels, et nous allons leur dire haut et fort : vous aussi, disparaissez de notre vie ! Non seulement vous nous fatiguez, mais vos menaces et votre harcèlement mettent nos nerfs à bout.

En septembre, le grand journal danois Jyllands-Posten a publié des caricatures du prophète Mahomet, et le monde musulman est en ébullition. Après que des menaces contre la rédaction et les employés du journal eurent été proférées de toutes les directions, de nombreux journaux européens, de droite comme de gauche, ont décidé de publier les mêmes caricatures, en signe de solidarité avec les Danois et avec leur combat pour la liberté d’expression. Depuis une semaine, les Français, les Allemands, les
Norvégiens, les Italiens, les Hollandais, les Suisses ne sont plus à l’abri non plus : à partir d’aujourd’hui, ils sont tous en danger de mort.

En général, les menaces de type fondamentaliste ne sont pas vaines. Itzhak Rabin a été menacé d’assassinat, et il a été assassiné. L’ayatollah Khomeini a menacé l’écrivain Salman Rushdie, qui n’a échappé à la mort que par miracle. Il y a deux ans, un réalisateur hollandais, Theo Van Gogh, a été assassiné pour son film “Soumission” qui condamnait la violence faite aux femmes dans certaines sociétés musulmanes.

Je n’aime pas les caricatures parues dans Jyllands-Posten, question de goût. En revanche, j’aime beaucoup le combat que mène le journal pour le droit de les publier, et là, ce n’est plus une question de goût, mais de conception du monde : Mahomet n’est pas sacré, pas plus que Moïse ou Jésus ; il n’y a que la vie des êtres humains qui soit sacrée, croyants ou mécréants.

L’insulteur et l’insulté ont droit à la liberté d’expression. Si l’insulte est insupportable, les tribunaux sont là pour entendre les plaignants, et pour accepter ou rejeter la plainte. Chez les gens civilisés, la censure a posteriori pour atteinte aux sentiments d’autrui est acceptée, mais certainement pas la censure a priori, et encore moins par la rue.

Et qui sont donc tous ces fanatiques qui se sentent si profondément insultés ? Les Syriens, les Iraniens, les Saoudiens, les Libanais et le Hezbollah, qui ont déjà manifesté énergiquement, organisé des émeutes et imposé des boycotts. Ils exigent des excuses immédiates des gouvernements européens, comme si, chez les nations civilisées, les dirigeants politiques étaient aussi les rédacteurs en chef des journaux, comme il est courant dans cette région.

Ironie de l’affaire : juste au moment où je commençais à m’énerver sur les manifestations en Syrie, en Iran, en Arabie saoudite et au Liban, me revenaient en mémoire les films produits dans ces pays si sensibles, fondés sur les « Protocoles des Sages de Sion ». Quand on a montré des rabbins en train d’égorger des enfants arabes, les imams ont gardé le silence. Pas même le murmure que leur responsabilité aurait dû leur dicter.

Ce n’est pas bien d’insulter le prophète Mahomet, mais que n’a donc pas fait le monde libre contre ses propres prophètes, et que n’avons-nous pas fait contre nos prophètes à nous? La semaine dernière, le quotidien français France Soir publiait un dessin montrant les dieux des juifs, des chrétiens, des musulmans et des bouddhistes assis sur un nuage. Et le dieu des chrétiens disait : « ne te plains pas, Mahomet, nous aussi avons été victimes de caricatures avant toi ». Et nos patriarches, Abraham, Isaac et
Jacob, et nos matriarches, et les juges, les rois et les prophètes, tout au long de l’histoire, peuvent témoigner du traitement qu’ils ont subi dans nos essais, nos livres et nos articles. Et pas seulement les prophètes et les prêtres. A Dieu aussi, nous avons mené la vie dure. Et nos hérétiques qui mettent même en doute son existence -Dieu nous en préserve-, en particulier après le massacre commis par les Nazis ? Ces mêmes Nazis qui, aux yeux de certains colons, ont été plus “corrects” que la police
d’Israël. Non, nous n’avons pas plus de sympathie pour les musulmans dingues que pour les juifs dingues, et vice-versa.

Il est probable que des deux côtés, on continuera dans la folie. Et nous, le peuple, nous devons nous souvenir : si les journaux doivent être écrits en accord avec le code des lois de toutes les croyances et de toutes les religions, bientôt, nous ne trouverons plus un seul journal digne de ce nom dans lequel emballer nos harengs.