Il ne s’agit pas d’un incendie fortuit. Cela fut (et reste) l’œuvre de pyromanes. Mais qui sont les suspects?


Jérusalem est en armes, une fois encore. Tandis que la violence gagne, depuis la capitale, d’autres parties d’Israël, il semble que la question ne soit pas tant si le pays vacille au bord d’une intifada, mais comment on devrait définir cette insurrection.

D’aucuns l’appellent “l’Intifada des pétards”, en honneur des fusées pyrotechniques que les protestataires palestiniens jettent contre la police. D’autres se contentent d’évoquer une “intifada silencieuse”, bien que cette dénomination soit très contestée. Quoiqu’il en soit, le terme de “silencieuse”, auparavant utilisé pour décrire la violence à Jérusalem, se justifie difficilement aujourd’hui.

Au centre de cette folie se trouve le mont du Temple, ou ‘Haram al-Sharif, tel qu’on le connaît parmi les musulmans. Le mont du Temple est le site le plus saint du judaïsme, et le troisième des lieux saints de l’islam. C’est l’un des sites religieux les plus sensibles au monde – un énorme baril de poudre, si vous préférez.

Maintenant que ce baril paraît sur le point d’exploser, notez que l’incendie n’a rien d’accidentel. Cela fut (et reste) l’œuvre de pyromanes.

Les suspects immédiats, comme l’ont fait remarquer nombre d’observateurs, sont les politiciens de droite qui contestent le statu quo en vigueur depuis des décennies sur le mont du Temple, dont le Waqf (ou Fonds islamique) a conservé le contrôle religieux depuis la prise de Jérusalem-Est par Israël en 1967 [1]. Ces éléments de droite insistent pour que les Juifs soient autorisés à y prier; parmi eux, des membres de la Knesseth, tels les députés du Likoud Miri Reguev et Moshé Feiglin.

Tous deux, ainsi que le ministre du Logement Uri Ariel et d’autres, ont été la clef de l’incroyable résurgence du mouvement pour la rejudaïsation du mont du Temple ces dernières années, une résurgence qui a conduit à la rumeur selon laquelle Israël voulait changer ce délicat statu quo.

La semaine dernière, Feiglin est de nouveau venu sur les lieux, malgré les mises en garde des forces de police. D’autres, comme la députée Likoud Tzipi Hotovely, ont exprimé le vœu de lui emboîter le pas, malgré l’accusation d’attiser les flammes.

Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et le ministre de la Défense Moshe Ya’alon les ont admonestés; dans un entretien diffusé sur la 10e chaîne, Ya’alon a reconnu que la violence actuelle avait été au moins en partie nourrie par les bravades des ministres et députés qui se sont rendus sur le mont du Temple.

Si Lieberman et Ya’alon en viennent à vous dire que vous êtes allé trop loin, vous pouvez être carrément sûr d’être allé trop loin.

Ce n’est pas pour rien que Lieberman et Ya’alon – sans compter le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, le président Reuven Rivlin et une bonne partie des services de Sécurité du pays – ont paru si préoccupés par le mont ces jours-ci.

Au fil des ans, il devint critique de maintenir le statu quo en interdisant aux Juifs de prier sur le mont du Temple afin de prévenir une guerre de religion à outrance. À de multiples égards, le statu quo n’était pas idéal, mais il permettait un équilibre délicat entre les composantes nationales et religieuses.

Cet équilibre est maintenant sujet à une érosion rapide.

Les tensions depuis 1929

L’histoire du mont du Temple est, évidemment, chargée de conflits. Pendant de nombreuses années, les extrémistes – tant juifs qu’arabes – ont bataillé au sujet, ou à l’encontre, du cadre de ce tempétueux lieu saint.

En 1929, 133 Juifs furent tués par des Arabes en partie poussés par les rumeurs de prise de contrôle juive sur le mont. En 1996, des émeutes y éclatèrent à la suite de la décision de Nétanyahou de donner au tunnel du “mur occidental” une sortie en Vieille Ville [2] – décision qui mena à des rumeurs de menace imminente contre l’administration du site par les musulmans. Dix-sept soldats israéliens et plus de cent Palestiniens trouvèrent alors la mort, et nombreux furent les blessés.

Dans les années quatre-vingt, la clandestinité juive, une organisation terroriste constituée de membres du Bloc de la Foi [Goush Emounim], faillit faire sauter les mosquées posées sur l’esplanade du Temple, dont le Dôme du Rocher [3]. L’idée était de faire progresser la rédemption messianique qui culminerait avec la construction d’un troisième Temple.

En septembre 2000, Ariel Sharon (alors chef de l’opposition) y fit une visite très médiatisée. Le jour suivant, des émeute éclatèrent après la prière du vendredi, lançant la seconde Intifada.

Mais maintenant, au début de ce qui pourrait être ou non une troisième intifada, il y a quelque chose de différent. Ce n’est pas tant la violence que la façon dont les choses s’imbriquent. En bonne part, le mouvement pour ramener le mont du Temple sous contrôle juif restait limité aux extrémistes. La visite de Sharon en 2000, par exemple, a été perçue comme une dangereuse provocation. Jusqu’il y a quelques années, toute allusion à un changement sur le mont du Temple était un symptôme définitif de délire religieux, un truc pour illuminés et fous certifiés.

Plus maintenant. De nos jours, il semble que l’idée d’un troisième mont du Temple juif soit plus largement acceptée, en phase avec le basculement de l’aile droite israélienne et l’érosion de sa résistance à la rhétorique messianique.

Le mouvement, encore minoritaire, a obtenu ces dernières années la reconnaissance du courant dominant de l’opinion et gagné à sa cause des relais influents à la Knesseth. À la tête de la Commission parlementaire des Affaires intérieures, Miri Reguev a présidé au cours de la seule années passée rien moins que quinze débats sur la question, vilipendant la «lâcheté» des fonctionnaires de police face au harcèlement subi par les visiteurs juifs.

Il ne s’agit plus d’excentriques

Il y a peu, quelques heures avant que Mutaz Hijazi, de Jérusalem-Est, ne tirât sur l’activiste de droite Yéhudah Glick, la députée Réguev rappelait qu’au début elle trouvait «délirant» [le débat sur] le mont du Temple – avant de se voir finalement convaincue.

Glick, maintenant convalescent, se fit l’outil de la sortie de la marginalité du mouvement du mont du Temple. Barbu roux et affable, il se fit souvent l’ami de ses contradicteurs, dépeignant son combat comme une pure affaire de liberté religieuse, une question de droits civiques. Ce faisant, Glick fut la clef de l’émergence massive du mouvement du mont du Temple dans les médias.

Affabilité de Glick mise à part, la multiplication des visites d’Israéliens [juifs] au mont et le débat croissant concernant les lieux – auquel la propagande pragmatique du Hamas contribue largement – a beaucoup aiguisé les tensions et conduit à la formation de groupes locaux tels qu’al-Mourabitun, gardiens auto-proclamés du site face à la supposée “prise de contrôle juive”. Les affrontements qui suivirent menèrent aux violences auxquelles nous assistons.

La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens ne veut évidemment pas d’un conflit religieux. Les autorités religieuses d’Israël les plus éminentes, au nombre desquelles le grand rabbin sépharade Yitz’hak Yosef [4], ont réitéré leurs prises de position à l’encontre des visites juives au mont. La grande majorité des Israéliens [juifs] n’a jamais vu les lieux, et n’a probablement pas la moindre intention de le faire. Et les Palestiniens, quant à eux, ont pour la plupart des soucis matériels plus pressants.

Malheureusement pour tous ces gens, il semble qu’il y ait parmi nous une profusion de pyromanes. Et, en ce moment, ils paraissent avoir la haute main.


NOTES

[1] Conscient des risques d’une conflagration majeure, Moshe Dayan fit retirer après quelques jours le drapeau israélien qui flottait sur le Dôme du Rocher depuis la prise de la Vieille Ville et restitua au Waqf l’administration des lieux saints musulmans. Ce statu quo est depuis en vigueur, avec quelques évolutions quand au droit de visite (mais non de prière) accordé aux non-musulmans.

[2] Ce tunnel, qui part du “mur occidental” (longtemps connu comme “mur des Lamentations”) et passe sous le mont du Temple, fut l’épicentre d’une controverse et d’un violent mouvement de lutte palestinien lorsque le gouvernement de Benyamin Nétanyahou décida de forer sous le Dôme du Rocher (voir infra) une voie permettant de ressortir au niveau de la Via Dolorosa. L’argument du gouvernement se voulait touristique; et Palestiniens craignaient que d’aucuns en profitent pour faire sauter les mosquées, comme cela avait déjà été tenté.

3] Dôme du Rocher [

[4] Grand rabbin séfarade d’Israël, rabbi Yitz’hak Yosef est le fils du défunt grand rabbin Ovadia Yossef, qui fut grand rabbin du pays et le fondateur du Shas, parti orthodoxe porteur des revendications sociales des Juifs séfarades défavorisés voire discriminés, plutôt que des aspirations nationalo-messianiques qu’on vit fleurir autour du Bloc de la Foi.