Ha’aretz, 19 octobre 2008

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Huit années ont passé depuis que 12 citoyens israéliens, tous arabes (ainsi qu’un habitant des territoires occupés) ont été tués par la police israélienne. A la lumière des récents événements d’Akko, il semble que nous n’ayons pas appris grand-chose.

Fondamentalement, ce qui a conduit à cette tuerie tient à un état d’esprit qui ne doit jamais être légitimé dans une démocratie, celui qui dit que des forces gouvernementales peuvent tirer sur des citoyens. L’Etat appartient à ses citoyens et non au gouvernement. L’Etat n’est là que pour s’occuper du bien commun. Seul un danger mortel peut justifier une réaction d’une même gravité. L’indifférence de l’opinion à la mort de ces citoyens, il y a huit ans, et le harcèlement des habitants arabes d’Akko aujourd’hui, révèle donc un autre échec, plus profond : l’attitude très rude à l’égard de la minorité arabe, niée ou refoulée par la plus grande partie de l’opinion juive qui, sûre de son bon droit, se considère comme la partie menacée.

Dans la société israélienne, trop de gens ne perçoivent pas le réel rapport de forces dans le pays et refusent de comprendre que les Juifs ne sont pas une minorité parmi d’autres, persécutée et méritant une protection particulière, mais bien une majorité nombreuse et souveraine qui est responsable de sa minorité.

L’une des difficultés particulières à la société israélienne tient à l’idée communément admise selon laquelle rien de fondamental n’a changé depuis 60 ans et que la majorité juive est toujours un agneau sacrificiel. Le grand rabbin d’Akko, par exemple, a déclaré aux médias que les émeutes rappelaient celles contre les Juifs en Allemagne.

Le peuple juif aspirait à la souveraineté. Il l’a acquise. Mais la souveraineté, dans un monde démocratique, signifie assumer la responsabilité des affaires sociales, économiques et culturelles et les gérer le mieux et de la manière la plus juste possible pour le bien de tous les citoyens. Non au bénéfice des plus forts ou des dirigeants et de leurs proches, ou pour la seule synagogue, mais pour tous.

Il est vrai que cet idéal politique est difficile à atteindre. Israël, comme la plupart des pays d’aujourd’hui, est non seulement hétérogène et multiculturel, mais aussi multinational. Non que sa politique d’immigration soit particulièrement libérale ou ouverte, mais parce qu’il inclut une importante minorité palestinienne. Pour cette seule raison, Israël devra vivre en démocratie avec des relations majorité – minorité complexes, souvent très chargées, que ce soit à cause des tentatives de l’un et de l’autre des groupes de se définir comme opposé à l’autre, ou à cause de l’animosité quasi normale de la minorité envers un Etat dirigé par des membres de la majorité. Bien sûr, le conflit historique sanglant entre Juifs et Palestiniens et la perpétuation de l’occupation fait empirer les choses. Et quand nous ajoutons, non seulement l’occupation et l’histoire insupportable des maux que se sont infligés mutuellement ces deux grands groupes nationaux et religieux, mais encore la discrimination contre la minorité par la majorité, les solutions sont encore plus difficiles à trouver.

Et pourtant, il est important de garder à l’esprit que des situations extrêmement tendues existent entre majorités et minorités dans bien d’autres endroits. Les Canadiens francophones du Québec ont voulu pendant des années faire sécession du Canada et créer leur propre Etat indépendant. Un nombre très important de latinos du sud des Etats-Unis exige que l’espagnol soit reconnu comme une langue nationale. Sans parler des tensions entre Flamands et Wallons en Belgique ou de la minorité kurde en Turquie.

On peut supposer que, dans des sociétés multinationales et multiculturelles, des tensions éclateront de temps à autre et que des individus sans scrupule feront en sorte de monter les uns contre les autres. Sans vouloir sous-estimer la gravité de ces actes, une démocratie saine doit apprendre à traiter ce genre de heurts localisés avec détermination et doigté. Pour ce faire, il y a une condition absolument essentielle : la majorité doit reconnaître sa responsabilité envers la minorité et assumer la tâche de la réconciliation et de la retenue. Si la majorité ne se reconnaît pas ce rôle, ou même le dénie, alors, malheureusement, il faudra craindre de sérieux ennuis.