Les lauriers qui couronnent l’entreprise coloniale, cette grande start-up dont l’objectif est de faire disparaître les Palestiniens et leurs aspirations nationales, ne reposent que sur la croissance naturelle de deux villes ultra-orthodoxes », souligne ici Shaul Ariéli.

Derrière les discours triomphalistes de l’extrême-droite et d’une droite de gouvernement craignant de perdre le pouvoir, il déchiffre une toute autre réalité – celle des données statistiques démontrant une saignée démographique des résidents des implantations – mis à part dans les grands blocs limitrophes de la ligne verte, au sein de la municipalité étendue de Jérusalem, qui devraient faire l’objet d’échanges de territoires dans le cadre d’un accord de paix.

En clair, le sort et l’importance de ces deux seules colonies ne sont jamais qu’un prétexte à marchandage, voire à annexion.

 

 

Ha’Aretz, version originale en hébreu et traduction anglaise, 2 et 5 mars 2017

Par Shaul Ariéli

Traduit de l’anglais par Michel Goldberg pour LPM

Harmonisation avec la version originale en hébreu, chapô & notes, Tal Aronzon pour LPM

Photo : ”Bienvenue à Beitar-Îllit” annonce le panneau.

 

 

L’article de Shaul Ariéli

Oubliez tout ce que vous saviez des faits alternatifs, les interprétations alternatives sont de retour. En d’autres termes, nous nous basons sur les faits mais les analysons à notre gré. La photo sera peut-être différente ; néanmoins, le pays ne s’effondrera pas, ne s’embrasera pas.

Juste avant que nous adoptions l’une des propositions du président Donald Trump afin de résoudre le conflit [israélo-palestinien], il importe de savoir qu’il n’y a pas eu d’augmentation du nombre de colons [1] durant le second semestre 2016.

Cet échec suscita des réactions désespérées de la part du camp nationaliste et messianique dirigé par le parti HaBayit-HaYéhoudi [2] de Naftali Bennett, Uri Ariel, Ayelet Shaked et leurs amis au sein du Likoud. Les députés de HaBayit-HaYéhoudi ont cherché à masquer leur déconvenue par toutes sortes de manœuvres et de programmes, comme la proposition de loi de confiscation des terres (Shouli Moualem) ; l’annexion de Ma’aleh Adoumim (Yoav Kisch et Betzalel Smotrich) ; l’annexion de blocs de colonies et de la zone C (Naftali Bennett) [3] ; ainsi que l’annexion de la totalité de la Cisjordanie (Tzipi ‘Hotovely et Miri Réguev).

Des mesures qui visent apparemment à une remise en ordre de la vie des colons, avec pour arguments l’urgence de ces décisions et l’irréversibilité de leur présence dans la totalité de la Cisjordanie – laquelle aurait fait ployer les Palestiniens et leurs aspirations nationales. Ces fausses affirmations entendent justifier le flux de dizaines de millions de shekels vers ceux qui accaparent des terres à Âmona, et les dizaines de millions de shekels du ministère de l’Éducation nationale dévolus aux visites scolaires dans les implantations sous ce slogan cynique : « Apprenez à connaître l’autre et ceux qui sont différents » ; Puis, il y a encore les millions attribués aux écoles en Israël afin de gagner les cœurs et les âmes des écoliers.

Tout cela sans parler des milliards supplémentaires répandus à flots pour étancher la soif d’infrastructures et les besoins des forces de sécurité ; ni du prix politique, moral et social dont la société israélienne paie ces rêves insensés.

 

Les implantations de Beitar-Îllit et Modi’în-Îllit

Mais qu’affichent vraiment les statistiques ? Elles montrent que, durant le second semestre 2016, la population de Cisjordanie s’est accrue de 7 053 personnes. Cela vous paraît beaucoup ? Cette augmentation s’est faite en réalité à 43% dans les implantations ultra-orthodoxes de Beitar-Îllit et Modi’în-Îllit ; et elle est majoritairement due à la croissance naturelle de la population. Un tiers des Israéliens qui résident en Cisjordanie vivent dans ces deux villes. C’est, pour nombre d’entre eux, la solution éhontée à la crise du logement dans la communauté ultra-orthodoxe, car eux-mêmes se considèrent comme des « colons malgré eux ».

En d’autres termes, tout le discours en vue de « renforcer les colonies » est seulement basé sur la croissance naturelle de ces deux villes ultra-orthodoxes, qui comptent pour 1,6% du nombre d’implantations. Ce sont des villes très pauvres, qui figurent au plus bas niveau de l’échelle socio-économique établie par le Bureau central des statistiques. Elles devraient être annexées par Israël dans tout scénario qui prévoirait un échange de territoires dans le cadre d’un traité de paix.

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, je le répète : les lauriers qui couronnent l’entreprise coloniale, celle-la même dont l’objectif est de faire disparaître les Palestiniens et leurs aspirations nationales, ne reposent que sur la croissance naturelle de deux villes ultra-orthodoxes vouées à être, de toute façon, annexées par Israël dans le cadre d’un accord de paix.

 

La dépression de Ma’aleh Àdoumim et l’anémie d’Ariel

Et qu’en est-il des valeurs laïques de Ma’aleh Adoumim, que la droite souhaite si ardemment annexer ? Ses habitants votent depuis longtemps avec leurs pieds : leur nombre a chuté de 8 personnes durant le second semestre 2016 ; autrement dit, si l’on prend en compte l’accroissement naturel de la population [les naissances intervenues dans le même temps], il appert que des dizaines de familles ont quitté la ville.

Plutôt que de construire une nouvelle zone E1 à l’est de Jérusalem [4], et avant de dépenser de l’argent à bâtir des maisons bon marché pour de pauvres gens poussés contre leur gré à vivre dans les Territoires, ne serait-il pas préférable d’utiliser ces précieuses ressources pour construire des logements à un prix abordable à l’intérieur d’Israël ?

Que dire aussi de la lointaine Ariel, capitale de la Samarie ? Elle reste la plus petite ville juive des Territoires ; durant le second semestre 2016, sa croissance [naturelle là encore] n’a compté que pour 4,5% de celle de la population juive en Cisjordanie.

 

Toujours plus près de la ligne verte…

Quant au reste de ceux qui ont rallié la Cisjordanie, la plupart ont choisi des implantations non religieuses aux abords de la ligne verte, lesquelles seront annexées par Israël lors d’un futur accord permanent : Guivât Ze’ev (4,7%), dont de nouveaux venus ultra-orthodoxes ont peuplé l’un des quartiers, entraînant l’appauvrissement général de la colonie ; Alfei Ménasheh (2,5%) ; Oranit (1%) ; Har-Adar (0,6%) ; et Éfrat (4,8%).

Les “places-fortes” nationalo–messianiques sont justement celles qui ont perdu des résidents et dont la population a baissé : Beit-El a perdu 34 habitants, sa communauté chutant au nombre de 3 “fidèles” ; Elkanah a diminué de 50 personnes, sa communauté descendant à 7 ; Kyriat Arbâ s’est réduite de six habitants, tombant à une misérable communauté de 2 ; et même le [très militant Comité juif de ‘Hévron [Hébron] [5] a perdu l’un de ses membres.

 

Une désaffection ancienne

Ces chiffres sont révélateurs d’un processus qui dure depuis deux décennies. La baisse de croissance de la population de Cisjordanie a été de 60% en dépit des efforts pour endiguer le phénomène et le masquer (grâce à des sommes colossales versées par le contribuable).

L’augmentation de la population n’est plus due à l’arrivée de nouveaux résidents : à 80%, elle s’explique par la croissance naturelle. En clair, le taux de croissance de la population juive en Cisjordanie augmente exclusivement dans deux villes ultra-orthodoxes ; tandis qu’il continue de décliner dans plusieurs implantations, en particulier celles qui sont isolées.

 

Les blocs frontaliers, un futur assuré ?

La conclusion qu’appellent la situation et les tendances décrites est que la meilleure chance de garantir l’avenir de la majorité des Israéliens vivant en Cisjordanie – y compris les nombreuses agglomérations juives à Jérusalem-Est et dans sa périphérie – est une solution permanente garantissant le maintien de 80% d’entre eux dans leur habitat et sous souveraineté israélienne.

Aussi, les résidents des “blocs” accolés à la Ligne verte devraient-ils réclamer ce type de solution.

À l’inverse, toute régularisation “blanchissant” les implantations illégales ne ferait qu’empirer les choses et conduirait à des explosions de violence et à une tension économique : la part la plus solide de leur population abandonnerait les implantations les mieux établies de Cisjordanie.

 

Du mirage à la réalité : vers la solution à deux États

Les milliards que ce gouvernement messianique d’Israël entend déverser dans les colonies n’y attireront que les populations les plus pauvres, sans aucune chance de progrès matériel du fait de la pénurie d’emplois dans ces agglomérations.

Leurs résidents viendraient en guise d’avenir s’ajouter, soit aux 60% de travailleurs israéliens des Territoires qui, pour gagner leur vie, rejoignent chaque jour les marges de la ligne verte ; soit à la ronde des assistés dans les villes ultra-orthodoxes.

Les faits parlent d’eux-mêmes. L’interprétation des faits, c’est autre chose. On peut toujours en débattre, mais l’overdose de pilules d’exta-fantaisie ou le glissement vers des trips hallucinés de mirages messianiques ne sont pas un gage de vie éternelle.

Mieux vaudrait pour Israël commencer à traiter cette addiction et préparer l’alternative à deux États.

 

 

Les Notes de la Rédaction

[1] Dans les territoires occupés (dits “libérés” côté annexionniste) et plus précisément à l’heure actuelle en Cisjordanie du Nord (re-labellisée “Samarie / Shomron” comme dans l’Antiquité) ou du Sud (dite “Judée / Yéhudah” – les monts de Betel / Beit-El, autour de Ramallah ; ceux moins élevés de Jérusalem : ceux de Hebron / ‘Hévron; à quoi s’ajoute, au sud-est, le désert de Judée descendant jusqu’à la mer Morte). Rappelons que l’usage de “Territoires” (majuscule et sans autre mention) englobe l’ensemble des territoires conquis en juin 67, sans distinction géographique ni de statut…

[2] HaBayit HaYéhoudi / Le Foyer juif que Naftali Bennett – qui vit près de ‘Hévron dont il a dirigé le Comité juif – a formé au moment des élections de 2014 par la fusion du PNR – le parti national religieux, seul à entrer à la Knesset à une époque où les multiples groupes juifs regroupés à Mea Shearim refusaient de reconnaître un État proclamé sans attendre le messie – et de deux petits partis qui ne vont pas tarder à en partir. Dès lors, le parti national religieux se radicalise encore, passant à l’extrême-droite de l’échiquier israélien et influençant la coalition pour ne pas dire qu’il la fait chanter. Entre de multiples articles concernant Bennett ou le Foyer juif, y compris par Shaul Ariéli, on pourra lire celui d’Uri Misgav, Israël en route vers la théocratie (ou l’art de chevaucher l’âne du messie…) traduit sur notre site en 2015 :

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[3] La zone C est sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration. La zone C représente la plus grande portion des terres de la Cisjordanie (62%). Pour en savoir plus sur le “grand Jérusalem” dont les limites administratives annexent de fait la partie orientale de la ville et les zones limitrophes de la frontière pré-juin 67, dont les grands blocs d’implantations”, on trouvera des cartes et un dossier très complets dans Les Clefs du Moyen-Orient, Israël-Palestine : Jérusalem, une ville chargée de symboles, chap. II “Une ville divisée – La constitution de Jérusalem comme capitale unifiée et élargie de l’État israélien”.

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[4] Zone E1 à l’est de Jérusalem, zone croupion d’environ 12 m2 limitrophe de la ligne verte, elle se trouve entre le bloc de Ma’aleh Adoumim et Jérusalem-Est et abrite, outre trois villages, nombre Bédouins semi-sédentarisés ainsi que leurs troupeaux. Les plans israéliens de construction dans cette zone ont fait l’objet de manifestations et de fortes pressions, tant des Palestiniens et de la gauche israélienne que de la communauté internationale et sont pour le moment gelés : ils mèneraient, sauf importants travaux d’infrastructures (routes et ponts) à couper la Cisjordanie en deux, condamnant ainsi la solution à deux États. Pour en savoir plus, et parmi de nombreux articles traduits sur notre site, on pourra consulter : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur E1 sans jamais oser le demander

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[5] ‘Hévron (Hebron, en translittération anglaise), la ville des pires conflits :

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L’Auteur

Écrivain, journaliste et chercheur sur le conflit israélo-palestinien, le colonel (en retraite) Shaul Ariéli a commandé des unités dans la bande de Gaza.

Chef de la délégation israélienne lors des négociations israélo-palestiniennes sous les gouvernements Rabin puis Barak, membre du Conseil pour la paix et la sécurité, et l’un des pères de l’Initiative de Genève, ses analyses font autorité en Israël dans les domaines diplomatique et économique.

Auteur de douzaines de textes universitaires en hébreu et anglais, de films et de vidéos, il a publié notamment parmi de nombreux essais ou sélections d’articles :

Injustice and Folly – On the Proposals to Cede Arab Localities from Israel to Palestine [avec Hadas Tagari], Floersheimer institute for Policy Studies, 1994 ; The Territorial aspect of the Israeli-Palestinian Permanent Status Negociations, [avec Ron Pundak], Centre-Pérès pour la Paix, 2004 ;

S’y ajoutent des œuvres de fiction ou de poésie, comme Masâo shel Solo / מסעו של סולו, éd. Sâar, 2006.

Et, encore non traduit : גבול בינינו וביניכם – הסכסוך הישראלי-פלסטיני והדרכים ליישובו / Gvoul Beïnenou véBeïnekhem – haSikhsoukh haIsraeli-Palestinaï véhaDrakhim leYishouvo, Yédioth Safarim, coll. Alyat haGag, 2013 – Que l’on peut se procurer en librairie en Israël, ou télécharger librement sur le

site de l’auteur >