Ami Ayalon, Gilead Sher et Orni Petruschka, tous trois engagés au cours de leurs carrières dans la défense de la sécurité d’Israël, ont repris leur liberté de parole et d’action en atteignant la retraite — ou dans le cas du troisième dès la fin de son service dans Tsah’al.

Diversement impliqués dans la recherche de médiations et les processus de négociation aujourd’hui comme on sait enrayés, ardents défenseurs de la solution à 2 États pour sortir du conflit, ils ont ensemble fondé en 2009 Âtid Ka’hol-Lavan (Un avenir bleu-blanc), qui entend faciliter la re-localisation en Israël des colons afin que tous les citoyens du pays résident au sein de frontières permanentes sécurisées garantissant une majorité juive dans un État démocratique.

Ils nous disent ici que tout espoir n’est pas perdu, loin de là, si l’on lit attentivement les questions précises et les réponses qui leur sont apportées dans le cadre d’une double enquête d’opinion effectuée la semaine précédente en Israël et en Cisjordanie. Et enfoncent le clou : il n’est pas trop tard, certes, mais  tard déjà et la menace est grande de la fin chaotique de l’État juif et démocratique dont rêvait l’idéal sioniste.


Par Ami Ayalon, Gilead Sher & Orni PetruschkTraduction; Chapô & Références, Tal Aronzon pour LPM

Photo : Yasser Arafat, Shimon Pérès et Yitz’ak Rabin tenant les cartes futures des 2 États d’Israël et Palestine coexistant sur la terre partagée par les 2 Peuples. [DR]

Washington Post, le 28 février 2018

https://www.washingtonpost.com/news/posteverything/wp/2018/02/28/why-a-two-state-solution-for-israel-and-palestine-is-closer-than-you-think/?utm_term=.e31020df4e21


L’Article d’Ami Ayalon, Gilead Sher & Orni Petruschka

Au moment où le président Trump s’apprête à accueillir la semaine prochaine à la Maison Blanche le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, l’opinion est plus pessimiste que jamais concernant les chances de paix entre Israéliens et Palestiniens. Le gouvernement Trump affirme travailler à un plan, mais le transfert dont il a l’intention de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem et les critiques qu’il émet ouvertement contre la quête palestinienne d’indépendance ont fait quitter la table de négociation aux [États] arabes. Pendant ce temps, l’adhésion à une solution à 2 États est tombée à 46%  parmi les Israéliens et les Palestiniens ; et chacune des populations élit des politiciens s’opposant à tout accord. Le Likoud, le parti dirigeant en Israël, dit n’être pas intéressé à négocier (de fait, nombre de ses membres et de leurs partenaires dans la coalition avouent préférer divers schémas permettant d’annexer des parties substantielles de la Cisjordanie). Nétanyahou est confronté à des allégations de corruption susceptibles de le faire démissionner, mais son successeur adopterait probablement les mêmes positions.

Les choses cependant ne sont pas aussi désespérées qu’il paraît. Une enquête d’opinion — effectuée le mois dernier par le Centre Tami Steinmetz de Recherche sur la Paix de l’université de Tel-Aviv et le Centre palestinien d’Études politiques et de Sondages — évoque un plan élaboré par le gouvernement Trump qui serait acceptable par les 2 parties. Pour qui est attaché à la sécurité d’Israël et à son caractère d’État juif et démocratique, les résultats, qui montrent que « les 2 côtés préfèrent la solution à 2 États à tout autre option de résolution du conflit », donnent de nombreuses raisons d’optimisme.

Le sondage cite des incitations politiques concrètes qui, s’ajoutant aux lignes fondamentales des plans formulés ces 18 dernières années, augmenteraient drastiquement le soutien à une proposition neuve. Par exemple, 44% des Israéliens juifs opposés à une solution à 2 États changeraient d’opinion si le gouvernement palestinien s’engageait à maintenir la coopération israélo-palestinienne en matière de sécurité, y compris les échanges d’information avec les forces israéliennes, la prévention des attentats et l’arrestation des suspects de terrorisme. L’adjonction de cet élément à un plan de paix ferait monter le soutien israélien de 46 à 59%.

Parmi les Palestiniens opposés, 39% modifieraient leur opinion et appuieraient un accord si Israël reconnaissait [les événements de] la “Nakba” — l’exode des Palestiniens qui fuirent ou furent chassés de chez eux en 1948 durant ce qu’Israël appelle sa guerre d’Indépendance — ainsi que les souffrances [endurées par] ces réfugiés ; et leur attribuait une compensation équitable (sans que cela implique un droit au retour en Israël, qui constituerait pour les Israéliens un motif justifié de rupture des négociations). Inclure ces clauses dans un plan ferait grimper le soutien palestinien jusqu’à 62%.

Certaines incitations résonnent des 2 côtés. Les plus notables, qui serviraient également les intérêts américains, comprennent une approche régionale. Faire de l’accord israélo-palestinien une partie de la structure de l’Initiative de paix arabe modifierait l’opinion de 37% des Israéliens et de 24% des Palestiniens opposés au  départ à un accord. Et y inclure la garantie américaine, égyptienne et saoudienne, [États] qui établiraient une commission conjointe afin de veiller à la mise en œuvre correcte [des accords] par les 2 parties, conduirait 39% de ceux des Israéliens juifs qui étaient à l’origine opposés aux accords à les appuyer ; et 27% des Palestiniens [dans le même cas] à en faire autant.

Un troisième élément attrayant pour un côté comme pour l’autre est de s’assurer que la Palestine sera une démocratie.. Cela modifierait l’opinion de 40% des Israéliens juifs et celle de 37% des Palestiniens en faveur d’un accord.

Un résultat paradoxal à la “Catch 22” montre que la raison la plus manifeste pour laquelle les gens s’opposent à la solution à 2 États est leur impression qu’elle n’est pas réalisable. Donc, si l’on peut prouver que le plan du gouvernement Trump est réaliste et opérationnel, Palestiniens et Israéliens l’appuieront.

Ces résultats révèlent qu’existent des 2 côtés des comportements flexibles et ouverts, et que des politiques justes peuvent renverser le rejet d’une formule à 2 États par les Israéliens et les Palestiniens. Les 2 côtés ont affiché un total manque de courage politique pendant une décennie, et si le gouvernement Trump souhaite surmonter cette lâcheté, il lui faudra faire des propositions permettant aux dirigeants d’obtenir le soutien de leurs peuples [respectifs] tout en opérant des choix difficiles.

Tout progrès est cependant improbable jusqu’à ce que la Maison Blanche restaure ses relations avec la direction palestinienne et répare les dégâts causés par la déclaration de Jérusalem. Cela exige un plan juste et équilibré, incluant des termes faisant référence à la région de Jérusalem comme accueillant les capitales des 2 États et dotée d’un régime spécial en Vieille Ville.

Si l’équipe de Trump utilise les résultats de ce sondage pour construire soigneusement un plan qui engrange le soutien d’une majorité de gens tant des 2 côtés qu’au niveau régional, il se pourrait bien que le gouvernement [américain] découvre [une dynamique où] les peuples entraînent leurs dirigeants récalcitrants et invertébrés dans un processus menant graduellement à 2 États pour 2 Peuples. Même si cela n’aboutissait pas à un traité final établissant un statut définitif, cela resterait un succès historique.


Les Auteurs

Ami Ayalon, amiral en retraite et ancien directeur de l’agence de sécurité israélienne Shin Beth ; Gilead Sher, journaliste, avocat, professeur de Droit, négociateur à Camp David et Taba, ancien chef d’état-major du Premier ministre israélien Ehoud Barak et actuel directeur du Centre pour les négociations appliquées à l’Institut israélien pour les études sur la sécurité nationale ; Orni Petruschka, homme d’affaires spécialisé dans les énergies renouvelables solaires ou éoliennes et ancien pilote de chasse, sont avec Avi Gil, ex-directeur général du ministère des Affaires étrangères, les membres-fondateurs et co-présidents de l’organisation israélienne Âtid Ka’hol-Lavan (Un avenir blanc bleu), qui a pour objectif de résoudre le conflit sur la base de la formule 2 États pour 2 Peuples en facilitant la re-localisation des colons afin que tous les citoyens israéliens résident au sein de frontières permanentes sécurisées garantissant une majorité juive dans un État démocratique.

Plus de précisions

◊  Sur Ami Ayalon : Ses parents quittent une Europe centrale où la montée du nazisme laisse présager le sort funeste qui sera fait aux Juifs. et participent à la fondation du kibboutz Ma’agan où leur fils Ami’haï (Ami),  né en 1945 à Tibériade, grandit. Il atteint ses dix-huit ans en 1963 et entame une brillante carrière militaire, se portant volontaire au sein de la « Shayeteth 13 » (Flotille 13) — la prestigieuse et très secrète unité de commandos de la navale israélienne — où il s’illustre par des actes de bravoure hors du commun qui lui valent la plus haute distinction militaire de l’État. Nommé commandant de la Shayeteth 13 en 1979, il devient amiral en 1992. Il prend en 1996 la direction du Shin Beth, qu’il assume  jusqu’à sa retraite en 2000.

Retrouvant sa liberté de parole et d’action, Ami Ayalon (lui-même diplômé de Bar-Ilan et de Harvard) lance fin juin 2003 en collaboration avec Sari Nusseibeh, ancien représentant de l’OLP et président de l’université Al-Quds, un plan de paix dont les lignes directrices s’articulent autour d’une solution à 2 États sans droit au retour pour les réfugiés palestiniens. L’initiative, intitulée « La Voix des Peuples », vise à insuffler une nouvelle énergie au processus d’Oslo — léthargique depuis l’établissement à Camp David d’un calendrier s’étalant sur des années, et l’assassinat fin 1995 d’Yitz’hak Rabin. Il s’agit de mobiliser les opinions publiques israélienne et palestinienne afin de réunir autour de ce plan un nombre éloquent de signatures de soutien : les objectifs sont de réunir 1 000 signataires côté palestinien et 2 000 côté israélien.

Dans cette optique, Ayalon accorde en novembre avec trois autres anciens dirigeants de l’Agence israélienne de sécurité — Avraham Shalom, Yaakov Peri et Carmi Gillonau — une interview au quotidien à grand tirage Yédioth A’haronoth. Celle-ci est appelée à faire sensation : les plus hautes instances sécuritaire du pays, maintenant libres de s’exprimer en public, y mettent vigoureusement en garde contre une  « catastrophe » imminente pour Israël et exhortent les Israéliens à se rallier à la solution à 2 États sauvant les grandes lignes du plan Ayalon-Nusseibeh.   >  Voir texte de référence donné ci-dessous.

◊  Sur Gilead Sher : Né le 2 juin 1953 au kibboutz Mahanayim, il descend par sa mère de la dynastie séfarade Baruch Mizrachi, à Jérusalem depuis 1620. Son grand-père paternel a été tué lors de la guerre d’Indépendance. Diplômé de la faculté de Droit de l’Université hébraïque, il s’est inscrit au barreau de Tel-Aviv en 1981, avant de poursuivre une carrière protéiforme dans les médias, en particulier à Kol Israel qui en fait son correspondant permanent à Paris de 1981 à 1983 ; à l’Université, à Tel-Aviv où il donne des séminaires de maîtrise en résolution de conflits et médiation et partout à l’étranger, où il est régulièrement invité à donner des conférences sur le règlement des différends et les négociations en temps de crise par les universités les plus réputées ; à partir de 1989, il monte deux cabinets d’affaires parmi les plus puissants du pays.

Colonel de réserve dans les blindés, il a également servi comme  juge militaire. Chef de cabinet du Premier ministre Ehoud Barak et ministre du la Défense en 2000-2001, il a mené l’équipe de négociateurs à Camp David puis Taba, et est depuis 2012 à la tête du Centre pour la mise en œuvre des négociations de l’Institut israélien d’Études pour la Sécurité nationale.En 2012, il rejoint l’un des cinq principaux think tanks du Moyen-Orient, l’Institut national d’études de sécurité (INSS)..

Membre du Conseil pour la paix et la sécurité, de l’Association des droits civils en Israël (Acri) et membre-fondateur du Centre pour le pouvoir des citoyens en Israël. il fait également partie du conseil d’administration de “Budo pour une coexistence pacifique à travers les arts martiaux”.

Auteur d’innombrables articles, tribunes, études et publications scientifiques dans les médias nationaux et internationaux, il a rendu compte sur le vif  des négociations de paix israélo-palestiniennes (1999-2001) dans un livre publié en hébreu dès 2001 et traduit en arabe et en anglais, Within Reach,  éd. Routledge / Taylor & Francis Group, 2006.

◊  Sur Orni Petruschka : homme d’affaires israélien à spécialisé dans les technologies de pointe, il développe les énergies renouvelables — solaire et éolienne —  source d’une indépendance qui lui est chère. Dans ce pays qui use depuis longtemps du soleil pour obtenir de l’au chaude sur le toit des maisons, il co-fonde Pythagoras Solar et Coriolis Wind, co-présidant à leurs destinées.`

Soucieux de construire un avenir commun pour les citoyens juifs et arabes d’Israël, il offre en 2008 son expérience d’entrepreneur et son dynamisme à Yékholim Nothnim” (Donnons), association à but philanthropique qui établit un nouveau paradigme d’indépendance dans la mobilisation de donateurs — et de dons — afin de mettre en œuvre des programmes dans tous les secteurs de la vie du pays. Dans le même esprit, il avait rejoint une dizaine d’années plus tôt Youzmoth Keren Avraham (Initiatives du fonds Avraham), qui emprunte le nom du patriarche commun aux trois religions monothéistes, organise des conférences et événements festifs, des ateliers de cuisine ou de couture et des échanges de toute sorte entre Arabes et Israéliens juifs afin de lutter contre le racisme ; contre le fossé linguistique qui y contribue, rendant obligatoire l’enseignement de l’arabe pour les élèves juifs du primaire au collège et veillant à la qualité de l’enseignement de la langue et la culture hébraïques dans les écoles arabes ; pour un accès égal à l’éducation dans les divers réseaux publics ;  pour le développement économique et social de tous.


 

 

 


Texte de Référence — Accord Nusseibeh-Ayalon

Préambule. Le peuple palestinien et le peuple juif reconnaissent chacun les droits historiques de l’autre concernant a même terre.

Pendant des générations, le peuple juif a désiré établir un État juif sur toute la terre d’Israël, alors que le peuple palestinien a, de la même manière, désiré établir un État palestinien sur toute la terre de Palestine.

Les deux parties acceptent par la présente un compromis historique fondé sur le principe de deux États souverains et viables existant côte à côte. La Déclaration d’intentions suivante est l’expression de la volonté de la majorité des peuples. Les deux parties croient qu’a travers cette initiative, elles peuvent influencer leurs dirigeants et, ce faisant, ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de la région. Ce nouveau chapitre sera réalisé en appelant la communauté internationale à garantir la sécurité de la région et à contribuer à remettre sur pied et à développer son économie.

Les Peuples Votent : Déclaration d’Intentions

◊ 1. Deux États pour deux Peuples.  Les deux parties déclarent que la Palestine constitue le seul État du peuple palestinien, et Israël le seul État du peuple juif.

◊ 2. Frontières. Des frontières permanentes entre les deux États feront l’objet d’un accord sur la base des lignes du 4 juin 1967, des résolutions des Nations-Unies et de l’initiative de paix arabe (connue sous le nom de ”initiative saoudienne”).

Les modifications de frontières seront fondées sur le principe de l’échange de territoires à égalité (1 pour 1) en fonction des besoins vitaux des deux parties, en tenant compte de considérations démographiques, de continuité territoriale et de sécurité.

L’État palestinien jouira d’un lien entre ses deux zones géographiques,  la Cisjordanie et la Bande de Gaza.

Après l’établissement des frontières mutuellement acceptées, aucun colon ne demeurera dans l’État palestinien.

◊ 3. Jérusalem. Jérusalem sera une ville ouverte, capitale des deux États. La liberté religieuse et l’accès aux lieux saints seront garantis pour tous.

Les quartiers arabes de Jerusalem passeront sous souveraineté palestinienne ; les quartiers juifs sous souveraineté israélienne.

Aucune partie n’exercera de souverainté sur les lieux saints. L’État de Palestine sera désigné gardien du Mont du Temple au bénéfice des musulmans. Israël sera désigné gardien du Mur des Lamentations au bénéfice des juifs. Le statu quo concernant les lieux saints chrétiens sera maintenu. Aucune excavation ne sera effectuée sous les lieux saints.

◊ 4. Droit au retour. Reconnaissant les souffrances et les difficultés des réfugiés palestiniens, la communauté internationale, Israël et l’État de Palestine créeront et contribueront à un fonds international pour les dédommager.

Les réfugiés palestiniens ne retourneront que dans l’État de Palestine. Les juifs ne retourneront que dans l’État d’Israël.

◊ 5. L’État palestinien sera démilitarisé et la communauté internationale garantira sa sécurité et son indépendance.

◊ 6. Fin du conflit. Avec la mise en œuvre complète de ces principes, toutes les revendications des deux parties prendront fin, ainsi que le conflit.