Face à la pression croissante de certains groupuscules ultra-orthodoxes et aux atteintes portées à la démocratie, suffit-il vraiment de gémir sur Facebook ? s’interrogeait Raanan Shaked en décembre dans Yedioth A’haronoth.

Les moyens « violents, non démocratiques », qu’il propose face aux coups de boutoir assénés aux règles fondamentales de l’État, sont provocateurs voire loufoques – telle cette Brigade des Bikinis que nous avons ici reprise en titre.

Mais ne nous y trompons pas, le diagnostic posé et l’appel à résister interpellent ses concitoyens : les protestations bienséantes de la majorité silencieuse ne suffiront pas à « sauver Israël ».


Voici ce que j’aimerais sincèrement faire.

Pour commencer, je voudrais former la “Brigade des Bikinis”, une équipe de vingt jolies filles aimant à circuler en bikini même par temps froid et prenant un réel plaisir à rouler en bus. Or, tout le piquant est là, les villes préférées de ces filles en Israël seraient Beith Shemesh et Jérusalem, avec leurs merveilleux panoramas d’altitude. Et s’il est une chose qui puisse vraiment illuminer leur journée, c’est une ballade en bus, un bus “ségrégationniste”, à Beith Shemesh [1]. En bikini. Toutes.

J’aimerais par ailleurs demander à toute jeune fille en classe terminale pour qui cela compte d’informer Tsahal qu’elle ne saurait, hélas, se joindre présentement à l’armée. Elle aurait adoré s’enrôler, mais il lui importe de servir là où elle peut se rendre utile et, dans la mesure où les aumôniers militaires considèrent que son être même de femme menace la sécurité nationale, elle sent qu’elle ne peut offrir le type de contribution dont Tsahal a aujourd’hui besoin.

Et puis, un de ces quatre, il se pourrait qu’elle fredonne par inadvertance une vague chanson – désastre majeur, selon la doctrine en vigueur à l’armée, un désastre dont elle ne voudrait évidemment pas porter la responsabilité. Qui plus est, si certains élèves officiers ne peuvent assister à une cérémonie mettant en scène des femmes qui chantent, cela signifie peut-être pour Tsahal une défaite assurée lors du prochain conflit. La rumeur veut que l’armée syrienne développe une arme d’apocalypse, tout un régiment de chanteuses en uniforme, et quelle jeune fille sensée voudrait se trouver du côté des vaincus en cas de guerre.

Par conséquent, nos terminales de sexe féminin souhaiteront bonne chance à l’armée, l’exemptant pleinement du devoir d’affronter cette dangereuse féminité. Après tout, elles savent bien que Tsahal fait face à assez de menaces comme cela.

Je souhaite ensuite au vice-ministre de la Santé, Yaakov Litzman, qui semble souffrir d’une mauvaise toux, de se rendre cette nuit aux urgences. Pour la première fois de sa vie, Litzman verra un cadavre aux urgences. Celui du système de Santé publique, qu’il s’est lui-même chargé d’étrangler avec l’aide du ministre des Finances, Youval Steinitz. [Suit une description des files d’attente et des malades gisant dans les couloirs avec l’espoir d’obtenir quelques instants d’attention de la part d’un personnel débordé.]

J’aimerais aussi surgir dans les services du Premier ministre, Benjamin Netanyahu, lui tendre une caisse et lui dire [après lui avoir reproché son incurie face à la crise qui frappe l’industrie israélienne] : « Vous avez trente minutes pour emballer vos affaires avant que la Sécurité ne vous fasse quitter les lieux. Bonne chance. »

Mais je voudrais plus que cela. Je veux qu’une résistance se lève. Je veux des actions clandestines tard dans la nuit. Je veux des faits sur le terrain. Je veux ma revanche.

La règle du jeu a changé

Cependant, je suis du mauvais côté pour cela. Je suis du côté de la majorité – ou peut-être est-ce maintenant une minorité ? La majorité silencieuse, effrayée, qui ne peut en croire ses yeux et a du mal à reconnaître l’endroit où elle vit. La majorité qui espère sans bruit que ses enfants se procureront un passeport étranger, au cas où.

Je suis l’un de ces Israéliens – je tiens pour acquis que vous pouvez nous qualifier de raisonnables – à qui l’on a appris à tout pratiquer, sauf la violence. « Ne pas être comme eux » fut le moto de notre éducation et la première réponse de nos parents à la question typique des bambins de 6 ans : « Pourquoi est-ce qu’on leur fout pas une raclée ? »

Parce que nous ne sommes pas comme ça. Parce tel n’est pas notre mode de fonctionnement. Parce que nous ne prenons pas la justice en mains propres – des mains chargées d’emplettes. Parce que nous adhérons à des valeurs universelles porteuses de sens, qui comprennent la tolérance, la réconciliation, l’éducation et la non-violence.

Nous nous défoulons sur Twitter ou Facebook, dans les courriers des lecteurs et les face-à-face télévisés. Nous allons leur montrer qui est le patron, faisant usage de la plus dangereuse et la plus efficace des armes : geindre.

Nous ne deviendrons pas comme eux. Et c’est pourquoi nous allons perdre. Nous allons continuer à perdre. Car l’extrême-droite, les ultra-religieux, et les politiciens du plus bas étage qu’Israël ait connu au cours de son histoire, savent être comme eux. Ils ne savent qu’être comme eux. Ils sont violents en paroles et en actes, ils sont agressifs, ils posent sur le terrain des faits accomplis, ils se relèvent la nuit pour peindre des graffiti et allumer des incendies, et considèrent que ni la loi ni nos tribunaux ne sont les leurs.

« Tout plutôt que la guerre civile », marmonnons-nous tel un autre vieux et sage mantra. Mais […] il se pourrait bien que la structure présente et à venir de l’État d’Israël appelle et mérite de notre part plus qu’une résistance passive. Quelque 400 000 Israéliens raisonnables ont battu le pavé cet été pour dire quelque chose de simple et d’apolitique : « Ça ne peut plus durer comme ça ! » Puis, nous sommes rentrés à la maison et avons lu […] que c’était fini.

Mais c’est loin d’être fini.

Il est question du genre d’endroit où nous souhaitons et voulons vivre et, à ce stade, rien ne bougera à moins de retrousser nos manches, de battre le pavé et peut-être d’autres organes sensibles d’un bon coup de boule. Les règles du jeu ont changé, elles ne sont plus exclusivement démocratiques. Aux dernières élections, la démocratie s’est vue confisquée, on l’a prise en otage et il faut que quelqu’un la sauve. D’expérience, un groupe d’amis Facebook n’y suffira pas.

Et si nous essayions la Brigade des Bikinis ?


NOTES

[1] Particulièrement fertile en incidents, entre autres lieux où les ultra-religieux se livrent à des exactions pour imposer un nouvel ordre ségrégationniste :

  • posant des panneaux pour délimiter les espaces interdits ou réservés aux femmes, trottoirs compris ;
  • attaquant celles qui ne respecteraient pas leurs règles vestimentaires (crachant, par exemple sur Naama Margolis, huit ans, dont les vêtements ne leur convenaient pas), ou celles qui ne s’en tiendraient pas aux espaces imposés par eux au sexe dont la seule vue risque de les faire fauter ;
  • demandant l’exclusion des femmes de la vie publique, voire de l’armée.

Tout cela, bien entendu, outre l’obligation de s’asseoir à l’arrière des autobus, qui s’est répandue progressivement en Israël ces derrières années sur le réseau, sans réaction des autorités – jusqu’au récent refus d’obtempérer de Tanya Roseblit sur la ligne 451 d’Ashdod à Jérusalem.

(Voir notre traduction de l’article qu’elle a publié le 18 décembre dernier, I won’t sit at the back of the bus :

[->http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4163399,00.html])