L’absence d’avancée dans les pourparlers de paix s’expliquerait-elle, entre autres, par le fait que les négociateurs israéliens ne jouent pas dans la même équipe ?


« On débat des aménagements à Jérusalem », clamait cette semaine le quotidien à grand tirage Yédioth A’haronoth qui rendait ces mots «aménagements à Jérusalem», en corps gras et couleur de sang, quasi effrayants. Avec pareil titre, impossible de ne pas l’acheter – comme je l’ai fait à la boutique du coin […] – car nous mourrons d’envie de savoir de quoi on parle autour de cette table : les négociateurs sont-ils vraiment arrivés à quelque chose ? Israéliens et Palestiniens cherchent-ils sérieusement à aboutir à un accord de paix ?

Yédioth ne remplissait pas vraiment cette promesse de reportage montrant des négociateurs proches d’un compromis sur Jérusalem. En revanche, l’information la plus juteuse dont il disposait était que la ministre de la Justice, Tzipi Livni, qui supervise les pourparlers avec les Palestiniens, et Isaac Molho, un juriste qui y fait office d’envoyé personnel du Premier ministre Benyamin Nétanahyaou, avaient exposé leurs désaccords sur la question de Jérusalem en présence de leurs partenaires palestiniens. Plus précisément, il était dit que Livni avait pris une position plus libérale quant à la liberté conjointe d’accès des Israéliens et des Palestiniens à certaines zones de Jérusalem. Molho, au contraire, voulait en restreindre le nombre autant que faire se peut, sinon complètement.

La dynamique décrite concorde précisément avec les prédictions de nombreux pessimistes au moment où les pourparlers furent relancés en août. Tzipi Livni avait rejoint le gouvernement de coalition de Benyamin Nétanyahou à condition d’obtenir la place du conducteur dans les négociations avec les Palestiniens ; Nétanyahou accepta, puis mit à celle du passager son bras droit en guise de co-pilote.

Considéré comme un partisan de Nétanyahou loyal jusqu’à la moelle, Molho a déjà représenté le Premier ministre a plusieurs reprises, aussi bien dans le cadre de négociations avec les Palestiniens que dans des affaires internes. D’un côté, on peut comprendre que Nétanyahou veuille avoir quelqu’un en qui il a confiance autour de la table. De l’autre, ce n’est pas sans raison qu’il y eut des journalistes israéliens pour le qualifier de baby-sitter chargé de surveiller Livni et de l’empêcher de faire des offres que Nétanyahou ne soit pas prêt à honorer.

L’article, comme peut s’y attendre, ne citait pas ses sources – mais avec si peu de gens à l’intérieur de la salle, les possibilités ne sont guère nombreuses. Ce n’est pas la première fois que les négociateurs palestiniens se plaignent de ce que les Israéliens ne se présentent pas unis sur une même position à la table de négociations, empêchant tout progrès. Le plus intéressant, c’est ce que le fossé entre Livni et Molho représente.

Il est des Israéliens qui savent que le prix d’un accord de paix comprend le partage de Jérusalem et sont prêts à payer ce prix. Tzipi Livni en fait partie comme près de 50% de ses compatriotes, selon l’institut Peace index de l’université de Tel-Aviv.

Il en est d’autres qui refusent de prendre conscience de ce prix, ou le trouvent trop élevé et préfèrent prendre le pari de prolonger le statu quo, quitte à risquer une nouvelle intifada et à accroître l’isolement d’Israël sur la scène internationale – peut-être, ou peut-être pas…

Il est fort probable que Nétanyahou soit de ces derniers, bien que nous n’en ayons pas la certitude. Son ministre des Finances, Yaïr Lapid, a clairement montré cette semaine qu’il est du nombre de ces Israéliens qui ne voient pas place à Jérusalem pour un compromis, en disant sur Radio Israël que l’«ethos fondateur» de l’État interdit que Jérusalem soit jamais divisée – curieuse déclaration, alors que la ville était en fait divisée lors de la fondation de l’État.

« Si les Palestiniens veulent un État, alors ils doivent savoir que cela a un prix et qu’ils n’obtiendront pas tout ce qu’ils désirent », a-t-il dit.

Apparemment, Lapid réfléchit lui-aussi en termes de prix – mais il pense que le prix de la paix est quelque chose que le côté palestinien doit acquitter en renonçant à ses prétentions sur Jérusalem.

Par-delà ceux qui sont prêts à payer le prix et ceux qui le refusent, la gauche et la droite, les colombes et les faucons, il y a là un autre élément qui pourrait nous aider à appréhender ce qui passe dans les négociations. Il y a peu, interviewant Dani Dayan, alors l’un des dirigeants du mouvement des colons de Cisjordanie, je lui ai demandé comment Israël devrait réagir aux pressions internationales afin d’aboutir à une solution à deux États. Il souligna qu’un État palestinien n’était pas une réponse et ne le serait jamais. « Israël devrait opter pour la gestion du conflit, m’a-t-il dit, non pour sa résolution. »

C’est, en deux mots, ce qui fonde deux camps concurrents d’Israéliens traitant avec les Palestiniens – que ce soit sur la question de Jérusalem ou sur toute autre. Il y a l’équipe de résolution du conflit, laquelle comprend Tzipi Livni et un groupe d’autres gens qui y croient encore, espérant parfois contre tout espoir qu’il est possible d’aboutir à un accord historique. Et puis il y a l’équipe de gestion du conflit. Des gens qui font profession de surmonter le conflit sans jamais prendre au sérieux la possibilité de le terminer.

Seul le temps dira à laquelle des deux Benyamin Nétanayahou appartient vraiment.