Claude KLEIN : “Le gouvernement Netanyahou est légitime, mais cela ne lui donne pas le droit de modifier le système politique israélien.

 

Dans le cadre des Chroniques pour la paix, émission bimensuelle sur Radio Shalom parrainée par La Paix Maintenant et JCall, Paul Ouzi MEYERSON s’entretient avec Claude KLEIN sur le « coup de force juridique » que représente le projet de réforme de la justice présenté par le gouvernement Netanyahou.

CLAUDE KLEIN, diplômé d’études supérieures en droit public et en sciences politiques, ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, a présidé l’Israeli Association for Public Law de 1995 à 2000. Il a enseigné dans des universités françaises et américaines et publié des ouvrages consacrés à la théorie du droit, au sionisme et à l’histoire d’Israël.


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En Israël, les ennuis du nouveau gouvernement Netanyahou-Ben Gvir commencent. En effet, 80 000 citoyens se sont rassemblés à Tel-Aviv, le samedi 14 janvier 2023, pour protester contre le projet de réforme de la justice. Au même moment, d’autres manifestaient à Jérusalem et à Haïfa. En tout, il y a eu cent mille protestataires, soit plus ou moins 1% de la population. C’est beaucoup et c’est rare ! D’autant qu’au même moment des juges, des avocats, des procureurs d’Etat et l’ensemble des membres de la Cour suprême s’exprimaient vivement contre les changements prévus par le projet de loi de Yariv Levin, le ministre de la Justice.

Pourquoi une telle mobilisation contre cette réforme, après tout le gouvernement Netanyahou vient d’être légitimement élu sur la base d’un programme connu ? Face au pouvoir en place qui prétend que «la réforme fera à nouveau d’Israël une démocratie occidentale qui fonctionne», les opposants rétorquent que «le nouveau projet ne vise pas à améliorer le système judiciaire mais à l’écraser». Qu’en est-il vraiment ? Quels sont les enjeux institutionnels et politiques de cet affrontement ?

Claude Klein est catégorique : «Cette réforme n’est pas seulement une modification du système judiciaire, il s’agit de transformer l’ensemble du système politique d’Israël». Il explique que, jusqu’à présent comme dans toutes les démocraties parlementaires, la Cour suprême d’Israël contrôle le travail législatif des élus de la Knesset et des ministres, elle s’assure que les lois sont constitutionnelles. «C’est ce contrôle que le gouvernement Netanyahou veut abolir», souligne l’ancien doyen de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem. Il ajoute que, pour être certain d’éliminer tout risque de «déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi», le projet du ministre de la Justice actuel, Yariv Levin, prévoit de modifier entièrement le système de nomination des juges de la Cour suprême et de le remettre aux mains des politiques. «Il n’y aura plus de barrière entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, plus de limites à la décision politique», s’inquiète Claude Klein.

Pour Claude Klein, si cette réforme de la justice est menée à son terme, «on se trouvera devant un changement de régime». Jusqu’à présent, rappelle-t-il, la Cour Suprême a joué un rôle crucial dans la vie publique et politique du pays. Elle est intervenue souvent pour censurer ou réorienter certaines décisions du gouvernement et du parlement. Claude Klein reconnaît que «parfois la Cour Suprême a été un peu loin dans son contrôle des actes politiques, mais cela ne justifie en aucun cas le coup d’Etat constitutionnel que la majorité gouvernementale est en train de mener».

Manifestation à Tel-Aviv contre le projet de réforme judiciaire.

Claude Klein reconnaît sans hésitation que «le gouvernement Netanyahou est parfaitement légitime, élu librement et démocratiquement. Mais cela ne lui donne pas le droit de modifier l’ensemble du système politique israélien». L’ancien doyen donne comme exemple de processus de changement constitutionnel celui de la France : « pour des modifications systémiques, il faut un accord de l’opposition et réunir les deux chambres, Sénat et Assemblée nationale, en congrès pour obtenir les voix de 2/3 des élus. Sinon, il faut tenir un référendum national ». D’autres exemples vont dans le même sens. En Israël, le projet de loi sur la réforme de la justice prévoit qu’il suffira d’une majorité simple à la Knesset de 61 voix sur 120, pour bouleverser les règles constitutionnelles et le système politique. «C’est là que se situe le problème, avec ses 64 voix la majorité gouvernementale veut révolutionner la vie politique du pays, cela sans consensus et pour des objectifs partisans et des intérêts personnels», déplore Claude Klein.

L’ancien doyen envisage que la Cour suprême annule le projet de réforme de la justice l’estimant contraire à l’esprit des lois constitutionnelles d’Israël. Dans ce cas, on entrerait dans une période de conflit entre les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. «Il y a une possibilité d’éviter ce bras de fer si le gouvernement et les parlementaires de la majorité acceptent de modifier plusieurs volets du projet de loi de Yariv Levin. Dans le cas contraire, c’est une crise grave qui se dessine car les très nombreux citoyens qui manifestent contre le gouvernement de Netanyahou et son initiative judiciaire sont très attachés au caractère démocratique de l’État d’Israël», conclut Claude Klein.

Le 21 janvier, les opposants étaient encore plus nombreux que le samedi qui a précédé…(NDLR)