Il est fortement question actuellement, dans le débat public en Israël, d’une « ligne rouge à ne pas franchir » s’agissant du péril iranien.

Il est d’autres lignes dans d’autres domaines qu’il conviendrait de ne pas franchir. Et c’est d’Israël dont il est question cette fois. Il s’agit du comportement des autorités à l’égard des réfugiés (et non des “infiltrés”) sub-sahariens qui tentent, parfois au péril de leur vie, de pénétrer en territoire israélien. Un épisode récent illustre à quel point Israël frôle cette ligne. Dans son éditorial, Ha’aretz crie « gewalt ! »

Espérons que l’État d’Israël soit à même de l’entendre et parvienne à faire preuve d’imagination afin de préserver ses valeurs et son honneur tout en contrôlant, en toute souveraineté, le volume et le rythme des entrées. Le problème est loin d’être simple, chacun le sait. Le fait que d’autres – voir la France vis-à-vis des Roms – ne fassent pas mieux, voire pire, n’exonère en rien Israël de son ardente obligation de procéder différemment [1], mû par des raisons qu’il est ici inutile d’énumérer…


La faim et la soif étaient atroces. Les Israéliens nous ont aspergés de gaz à deux reprises et ont tenté de nous éloigner à coups de barres de fer passées à travers la barrière. Les hommes ont supplié huit jours durant ; au huitième, ils n’avaient plus la force d’opposer la moindre résistance. Certains avaient perdu connaissance. « Tuez-nous sur place ! » criaient-ils.

Tels sont les mots par lesquels un jeune Érythréen a décrit, il y a quelques  jours, ce que les soldats israéliens leur ont infligé, à lui et vingt autres réfugiés bloqués à la frontière entre Israël et l’Égypte. Ce récit à faire froid dans le dos, ainsi que d’autres témoignages de même nature recueillis par les avocats de l’association « Tous des réfugiés », n’ont pas suscité la moindre réaction du porte-parole de l’armée, ni d’aucune autre instance en Israël. Pourtant, ce récit aurait dû ébranler n’importe quel Israélien. Cette affaire des vingt-et-un réfugiés qui se sont trouvés coincés entre les barrières israélienne et égyptienne sur une portion de territoire sous souveraineté israélienne s’est conclue de façon inhumaine.

Le bureau du chef du gouvernement a décidé de n’autoriser l’entrée en Israël qu’à deux femmes et un adolescent, qui furent de suite placés en rétention, et d’expulser les dix-huit autres réfugiés. Les autorités n’ont même pas pris la peine de s’enquérir du sort des refoulés, dont il s’avère maintenant qu’ils ont été repoussés avec violence et cruauté, en usant de gaz lacrymogène et de barres de fer. L’assertion selon laquelle « les réfugiés étaient revenus sur leurs pas » est sans rapport avec ce qui s’est réellement déroulé. On ne peut en aucun cas passer sous silence un comportement aussi odieux.

Les  autorités ont l’obligation de rechercher et de punir l’auteur de l’ordre qui a engendré une telle conduite, contraire à toutes les règles et  conventions internationales relatives au statut des réfugiés – règles dont Israël est pourtant signataire.

Non moins inquiétante a été la conduite de la Cour suprême qui, dans ce cas de figure, s’est  « défilée »: elle n’a pas débattu du fond. Elle a repoussé le débat de trois jours, puis a décidé que ce dernier était désormais superflu, les réfugiés ayant été refoulés.

Israël, par son comportement à l’égard des réfugiés, est en train de glisser progressivement vers le crime contre l’humanité. Selon la convention de Rome [2], de tels crimes représentent une attaque massive ou systématique contre la population civile. Certes, l’expulsion brutale de dix-huit réfugiés ne correspond pas à cette définition, mais les intentions du ministre de l’Intérieur d’incarcérer des dizaines de milliers de réfugiés sans procès aucun pour une durée de trois ans ou plus sont, elles, susceptibles d’en relever.

Il est impératif que l’État mette un terme à ce délitement.


NOTES

[1] Rappelons ici l’accueil réservé par Menah’em Begin à un certain nombre de Boat People à une époque où beaucoup les abandonnaient à leur sort au beau milieu des mers.

[2] Le Statut de Rome prévoyant la création de la Cour pénale
internationale a été signé le 17 juillet 1998. La Cour a été officiellement
créée le 1er juillet 2002, date à laquelle le Statut de Rome est entré en
vigueur.

En avril 2012, 121 États sur les 193 que reconnaît l’ONU ont ratifié le
Statut de Rome, reconnaissant ainsi l’autorité de la CPI. Trente-deux États
supplémentaires, dont la Russie et les États-Unis d’Amérique, ont signé le
Statut de Rome, mais ne l’ont pas ratifié. Certains, dont la Chine et
l’Inde, émettent des critiques au sujet de la Cour et ont refusé de le signer.

Israël a signé le traité de la CPI en décembre 2000, mais a voté
contre les statuts de la Cour et n’a pas ratifié le traité. Le représentant israélien à la conférence de Rome, Eli Nathan, a indiqué que considérer les transferts de population comme un crime ne pouvait être accepté par Israël.

Pour en savoir plus :

[->http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1998_num_44_1_3520]