Le budget pour les années 2023 et 2024 vient d’être adopté. Le sort en est jeté et, en principe, ce gouvernement va dorénavant disposer de temps pour accomplir les mauvaises actions qu’il prévoit de faire et de laisser faire. Certes, ce n’est pas véritablement une surprise. Malgré le suspense surfait de ces derniers jours, alimenté par les exigences gargantuesques et menaces de membres de la coalition de ne pas voter le budget si on ne les laissait pas perpétrer leur hold-up sur les ressources publiques, l’issue était connue d’avance : chacun savait qu’il n’y aurait jamais de « meilleur » gouvernement et donc qu’il n’y avait aucun intérêt à le faire tomber. Il s’agissait de ne pas aller « trop loin » tout en allant « jusqu’au bout », ce qui permettait au passage d’empocher des dizaines de millions que l’on pourrait distribuer ensuite qui à ses amis, qui à sa tribu ou à son clan, pour le plus grand malheur du pays.

Ce budget est mauvais pour Israël et, quelques heures après son adoption, le shekel a chuté par rapport au dollar à 3,73 shekels, son plus bas niveau depuis décembre 2018. Les avertissements de 280 économistes ont été balayés d’un revers de main : « Nous, experts dans les domaines de l’économie et de la gestion, (…) avertissons que le transfert de fonds qui font partie des accords de coalition reflétés dans le prochain budget devrait causer des dommages importants, et à long-terme à l’économie d’Israël et à son avenir en tant que pays prospère… L’allocation des fonds de la coalition est actuellement accordée pour des considérations politiques à court-terme, mais elle transformera Israël à long-terme d’un pays développé et prospère en un pays en régression dans lequel une grande partie de la population n’a pas les compétences de base pour vivre dans le XXIe siècle. » En effet, on le sait, c’est rendre un très mauvais service aux jeunes générations ultra-orthodoxes que de financer massivement des établissements d’enseignement privés non supervisés qui n’enseignent pas les matières profanes (anglais, mathématiques…) indispensables pour leur avenir économique.

Maintenant que le budget est voté et qu’une « stabilité » est assurée, retour à la case départ s’agissant de l’instauration d’un régime illibéral vers lequel Israël s’achemine à grands pas. Certes, dans la presse américaine, Netanyahu s’efforce de donner l’impression de vouloir « geler » le projet judiciaire et d’aspirer à un large consensus avec l’opposition. Sur la base de ce que réclame la coalition, on discerne mal les contours d’un compromis possible. On voit par contre quelles pourraient être les compromissions auxquelles certains pourraient succomber. Reste à savoir si les leaders de l’opposition accepteront de se déconsidérer et si la protestation citoyenne laissera faire. Au moment où à l’étranger Netanyahu veut créer une impression de modération, en Israël, ses alliés adoptent une position « dure » et avertissent qu’accord ou pas, la réforme passera. On a l’impression qu’il y a un discours en anglais pour les Américains et Européens et un autre en hébreu pour les Israéliens… On se souvient du temps où Israël reprochait à Y. Arafat son double discours, modéré en anglais pour l’opinion occidentale, intransigeant en arabe à l’attention de sa propre opinion publique. Le danger principal reste bien entendu la méthode du « salami », un changement de régime se déroulant en catimini, tranche par tranche, loi par loi, comme cela s’est passé en Hongrie qui sert d’exemple à Netanyahu. Peu de chance cependant que celui-ci tienne compte de la leçon que constitue le fait que les législateurs hongrois ont été contraints en début du moi de mai de voter à une écrasante majorité en faveur d’un projet de loi visant à renforcer « l’indépendance » de la justice dans le but de débloquer des fonds gelés par l’UE en raison de la situation en matière d’État de droit et de corruption. La communauté internationale ne tolère pas tout (parfois…), elle peut faire mal à ceux qui font le mal. Israël, sans doute plus que d’autres États, ne peut se passer du soutien politique et économique dont il en bénéficie.

Un danger peut en voiler un autre… Certes l’attention se focalise sur les budgets vertigineux accordés aux ultra-orthodoxes mais des budgets non moins colossaux sont transférés aux colonies. Les ultra-orthodoxes captent ces budgets énormes dans le but de préserver leur autonomie alors que les colons usent des leurs afin d’établir un État alakhique et raciste. Il ne s’agit de choisir entre deux dangers mais, de s’y opposer « en même temps ». Il n’est pas certain que la protestation citoyenne ait pris pleinement conscience de cette réalité qui constitue la plus grande menace pour l’avenir d’Israël en tant qu’État libre et démocratique. De nombreuses ONG se sont efforcées de promouvoir cette prise de conscience. Certaines seront d’ailleurs présentes à Paris lors de la rencontre que JCall et La Paix Maintenant organisent mardi 30 mai au Cercle Bernard Lazare. Grâce à elles, mais pas seulement, la thématique de l’occupation est plus fréquemment mentionnée qu’elle ne l’était au début, lors des manifestation hebdomadaires qui se tiennent maintenant depuis 21 semaines sans interruption. Et ce n’est sans doute pas en toute innocence que la coalition entend accentuer l’étouffement des ONG qui la dérangent.

Ce dimanche 28 mai, à l’initiative d’un député du Likud, un projet de loi scélérat, un de plus, qui causera des dommages considérables à la société civile et aux organisations de défense des droits de l’homme en Israël, entamera son parcours législatif. Selon ce projet, toute organisation engagée dans la promotion d’une politique et recevant des dons d’une « entité politique étrangère » (par exemple pays amis d’Israël, Royaume-Uni, États-Unis, Union européenne, Nations unies…) devra ne plus être considérée comme une institution à but non lucratif dans le but de recevoir des dons en Israël. De plus, 65% seront déduits de tout don qu’elle recevra de ces « entités étrangères ». Bien entendu, les dons privés, opaques, dont bénéficient souvent les ONG de « droite » ne sont pas concernés alors que le sont tous les financements émanant d’une source publique étrangère qui eux sont parfaitement identifiés et transparents.

De nombreuses organisations de la société civile en Israël, qui s’occupent des droits des femmes, des enfants, des minorités, des personnes handicapées, de la protection de l’environnement, de la qualité du gouvernement et bien d’autres, perdront ainsi une part importante de leur budget et donc, de leur capacité à donner une voix aux populations en butte aux problèmes critiques de la société israélienne. On comprend mieux pourquoi il importe de museler la Cour Suprême qui, en temps normal, ne devrait pas « laisser passer » un projet qui a sa place en Russie peut-être mais pas en Israël.

Nous aurons l’occasion de revenir sur tous les projets et toutes les décisions qui renforcent le développement des colonies et l’annexion rampante des territoires. Ce dimanche (encore!), le Comité ministériel pour la législation discutera d’un projet de loi qui permettrait l’application de la loi israélienne aux parcs et sites nationaux en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Par ailleurs, un autre projet de loi sera discuté par la commission stipulant qu’un étudiant qui agite un drapeau palestinien ou exprime son soutien au au terrorisme (quel rapport?) sera suspendu de l’institution universitaire où il étudie.

On le voit, comme le martèle Shalom Akhshav, de l’occupation des territoires par Israël on passe de plus en plus à une occupation d’Israël par les territoires. C’est cela qu’il importe d’éviter. C’est cet objectif que poursuit -difficilement- « le camp de la paix » sur le terrain. Alea jacta est! Plus que jamais, ont leur mot à dire la diaspora juive (après tout, il y a dans le gouvernement israélien un ministre qui en a la charge) et tous ceux, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, qui sont attachés à l’existence d’un Israël fidèle à sa tradition, à la reconnaissance du droit des Palestiniens à un État… bref à une solution à deux États, ce dont parleront les ONG israéliennes et palestiniennes le 30 mai au Cercle Bernard Lazare.

 

Mis en ligne le 25 mai 2023