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Yediot Aharonot, 4 octobre 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Cela peut paraître banal, mais c’est un fait : l’atout le plus précieux d’Ariel Sharon est son manque de crédibilité. Depuis 50 ans pour le moins, depuis l’époque où David Ben-Gourion écrivait qu’il (Sharon) aurait pu faire un excellent officier s’il avait pris l’habitude de dire la vérité, Sharon s’est bâti une image de bulldozer cynique qui fait ce dont il a envie et qui ment sans un battement de cil, à ses amis comme à ses ennemis.

Par le passé, cette image a joué négativement sur la carrière de Sharon, car elle en faisait un personnage qui ne pourrait jamais parvenir à occuper un poste important d’où il pourrait dicter sa politique. Mais aujourd’hui, il me semble que si un ange venu du ciel lui proposait de se débarrasser de cette image et d’en faire quelqu’un de digne de confiance, le Premier ministre ferait tout pour que cela n’arrive pas.

Le retrait de Gaza n’était pas le plan de Sharon. Il a été élu deux fois au poste de Premier ministre, et ce n’est qu’après un an de son deuxième mandat qu’il a sorti le plan de désengagement. Il avait parfaitement compris qu’un retrait de cette nature renforcerait le Hamas et affaiblirait l’Autorité palestinienne, mais il choisit d’aller jusqu’au bout, à cause des pressions qu’il subissait : la Feuille de route lui faisait peur, l’Initiative de Genève et le bon accueil qu’elle avait reçu en Israël et à l’étranger le perturbaient, et l’enquête policière autour des affaires de corruption le concernant, tout cela ne lui laissait pas beaucoup d’autre choix que de parier sur le désengagement, une décision qui lui paraissait absurde deux ans plus tôt.

Une fois la décision prise, Sharon fut traité comme le cancre qui réussit malgré ses mauvaises notes. Si tu faisais un petit effort, lui disait-on, tu deviendrais Einstein. Le Parti travailliste, qui ne demandait qu’un prétexte pour revenir au gouvernement, l’acclama comme un prophète. Le président Bush, dont les performances sur la scène internationale étaient en chute libre, sauta sur l’occasion en y voyant son salut. L’Europe vit en Sharon un nouveau de Gaulle. Le président [égyptien] Hosni Moubarak parvint à la conclusion que seul Sharon pouvait le faire. Et l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, pour qui le retrait était une gifle en pleine figure, n’eut d’autre choix que de faire bon accueil au retrait israélien.

Qui est le « vrai » Sharon?

Vous vous rappelez Charlie Chaplin dans les « Temps Modernes », dans une scène où il ramasse un chiffon rouge tombé d’un camion, le lève en toute naïveté et devient un leader socialiste? Voilà Sharon. Il a voulu se débarrasser de quelques ennuis, gagner du temps, et utiliser le retrait de Gaza comme une couverture pour développer la colonisation en Cisjordanie.

Pour le moment, puisque beaucoup veulent bien le considérer comme un homme de paix après son geste limité, il a sans nul doute intérêt à préserver ce nouveau statut, qui l’a tant surpris et flatté, à la condition que la préservation de cette image ne lui demande pas un prix trop élevé. Comment le faire? Il est temps de capitaliser sur la non-confiance qu’il inspire, en tirer le maximum, en faire un atout majeur. Il s’est engagé à ne plus faire de concessions territoriales et à revenir dans le cadre de la Feuille de route (de laquelle il s’est lui-même dégagé en inventant une « pré-Feuille de route »), mais seulement si certaines conditions impossibles à réaliser sont réunies, comme une guerre civile palestinienne. Mais qui croira Sharon?

Dans son parti, on dit qu’il a viré à la gauche du parti de gauche Meretz-Yakhad. Ses proches évoquent d’autres retraits, des accords partiels et d’autres idées encore, fruits de leur imagination. Entre temps, Sharon occupe le terrain dans les médias, jure que personne ne s’exprime en son nom, et insiste pour dire qu’il n’a pas changé de politique. Ceux qui le croient continueront à se persuader que le père de la colonisation a une autre facette, qui le fera choisir la voie d’Ytzhak Rabin. Il n’aura pas investi en vain pendant 50 ans.

Depuis 50 ans, Sharon essaie de nous tromper. Et maintenant, c’est nous qui sommes vonotaires pour nous tromper nous-mêmes. Le Sharon qui repousse les rendez-vous avec Abbas et qui pose des conditions préalables à toute décision politique, est le vrai Sharon.