Nisreen Shehada et Alon-Lee Green : « La plupart des habitants de ce pays sont victimes du gouvernement Netanyahu. Un partenariat entre eux est le seul moyen de lutter contre les différentes formes d’oppression – y compris l’occupation. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Activistes israéliens, arabes et juifs, de Standing Together*, font acte de désobéissance civique pour protester contre la discrimination raciale dans les bus, à l’entrée du Centre médical Barzilai, le 20 janvier 2019. © Standing Together 

+972 Magazine, 11 mai 2019

https://972mag.com/giving-jewish-arab-partnership-give-hope/141151/


Il est si facile pour ceux qui occupent une situation privilégiée, de reprocher aux actions menées par les gens qui travaillent sur le terrain de n’être « pas assez radicales », et de regarder le monde avec cynisme et découragement. Il n’est pas étonnant que, dans leur récent article écrit du haut de leur perchoir confortable et intitulé « Arrêtons de parler d’un faux « partenariat judéo-arabe », Rami Younis** et Orly Noy** aient choisi de ne pas voir les chances réelles qui se présentent – et de ne pas croire au changement.

Nous, par contre, nous savons qu’il y a de l’espoir. Nous n’avons pas abandonné les lieux et nous n’avons pas désespéré des gens qui y vivent. L’optimisme est bien une position politique.

Deux aspects de l’article de Younis et Noy méritent l’estime. Tout d’abord, parler de partenariat judéo-arabe, l’une des questions politiques les plus importantes à envisager de nos jours, est digne d’éloges. Deuxièmement, insistant sur la nécessaire séparation des Arabes et des Juifs, ils démontrent involontairement comment la droite en Israël s’est maintenue au pouvoir grâce à sa stratégie de division et de conquête et en créant un fossé entre les luttes sociales arabes et juives.

Leur point de départ esquive la question de savoir comment parvenir à un changement sur cette terre – et qui a intérêt à y parvenir – et c’est ce qui les amène à la conclusion erronée que le partenariat judéo-arabe est inutile.

Dans le pied de page de l’article original, publié en hébreu, Rami Younis se décrit lui-même comme « un Arabe pas gentil qui croit que les Juifs ont besoin de soutenir les luttes palestiniennes » et Orly Noy se dépeint comme « une Juive qui se déteste et qui croit que les Palestiniens doivent mener eux-mêmes leur lutte« . Au-delà de l’intention humoristique, ces biographies ironiques révèlent leurs postulats sous-entendus : les Arabes palestiniens ont à mener des luttes légitimes, au contraire des Juifs israéliens (et si ces derniers en ont, elles ne sont pas assez importantes ou suffisamment radicales). Mais l’on ne peut ignorer les luttes légitimes des quartiers et des villes mal desservis, des femmes, des Juifs orientaux, des handicapés, des logements sociaux, de la communauté éthiopienne, des demandeurs d’asile et ainsi de suite. Vous ne pouvez rayer de la carte des communautés entières en déclarant simplement qu’elles font partie d’une « majorité destructrice et violente« .

De plus, en effaçant les problèmes de ces communautés et en assimilant celles-ci à une « majorité destructrice et violente« , Younis et Noy suggèrent que la majorité des Juifs israéliens votent pour la droite simplement parce qu’ils sont racistes et tentent de protéger leurs privilèges. En bref, Younis et Noy pensent que les Juifs israéliens sont un peuple de merde. À Standing Together, nous croyons que le gouvernement de droite actuel et les gens qui vivent dans ce pays ont des intérêts diamétralement opposés, et que c’est le rôle de la gauche de montrer à quel point les politiques du gouvernement sont néfastes – et d’organiser les luttes contre ces institutions et leurs politiques.

Les politiques économiques de la droite nuisent constamment aux travailleurs et aux segments les plus faibles de la population, comme l’a prouvé au moins en partie la série de manifestations sociales en Israël au fil des ans. Les politiques sociales de la droite ne tiennent pas compte des opinions de la majorité de la population ; rien que l’année dernière, ces politiques ont donné lieu à des manifestations massives contre la violence faite aux femmes et pour la défense des droits de la communauté LGBT. La droite se maintient au pouvoir non pas en améliorant la vie de ses électeurs, mais en attaquant la minorité nationale arabo-palestinienne vivant en Israël. L’incitation au racisme, entre autres choses, est une façon pour la droite de cacher le fait qu’elle n’a pas amélioré la vie de ceux qui votent pour elle.

Combattre Netanyahu comporte deux aspects : montrer comment ses politiques économiques nuisent au grand public ; et combattre à la fois son incitation au racisme contre les Palestiniens en Israël et le contrôle militaire continu par Israël des territoires palestiniens. D’après les écrits de Younis et Noy, on peut supposer, sans risquer de se tromper, que les luttes en faveur d’un logement abordable, du féminisme, des droits des travailleurs et de l’égalité des Palestiniens en Israël viennent après la lutte pour faire cesser l’occupation. Nous pensons différemment.

La plupart des habitants de ce pays sont victimes du gouvernement Netanyahu. Un partenariat entre eux est le seul moyen de lutter contre les différentes formes d’oppression – y compris l’occupation. Depuis sa fondation, les adhérents de Standing Together ont toujours pensé qu’il est possible et nécessaire d’œuvrer à la fois pour la paix israélo-palestinienne et pour la justice sociale, l’égalité civique et les droits nationaux. Sur tous les fronts de ce combat, nous insistons sur la nécessité de travailler ensemble sur la base d’intérêts partagés.

Nous adoptons cette approche en étant pleinement conscients du fait que différents groupes de la société israélienne souffrent d’exploitation, de discrimination et d’oppression de différentes manières. Les citoyens palestiniens d’Israël ne sont pas seulement lésés plus sévèrement par les politiques socio-économiques de la droite, ils sont également victimes de discrimination sur la base de leur identité nationale : la législation raciste vise spécifiquement la langue et la culture arabes et la légitimité de la participation politique arabe. Cela a été exprimé de la manière la plus poignante par la loi sur l’État-nation juif, qui a renversé le principe de l’égalité et a conféré aux citoyens palestiniens d’Israël un statut de seconde classe.

Il n’y a pas de symétrie entre les réalités vécues par les Juifs et les Arabes en Israël. Mais la droite en Israël survit précisément en utilisant cette asymétrie comme une barrière pour quiconque souhaite le changement. Cela devient particulièrement efficace lorsque la droite alimente systématiquement les craintes des Israéliens juifs en suggérant que les symboles nationaux et culturels palestiniens incarnent un désir de « jeter les Juifs à la mer ». C’est ainsi que la droite manipule les symboles nationaux palestiniens, en particulier le drapeau palestinien et la célébration de la Nakba.

En dépit des relations de pouvoir et des complications inhérentes à tout partenariat judéo-arabe dans une société aussi divisée et polarisée que la nôtre, nous croyons qu’un tel partenariat est le seul moyen de promouvoir une alternative et de changer notre réalité. Oui, c’est un défi. Il n’est pas facile de parvenir à l’égalité dans un cadre politique commun, comme l’a écrit Noam Sheizaf***. Mais nous, membres de Standing Together, choisissons de relever ces défis tous les jours de la semaine. Parfois nous réussissons, parfois nous échouons. Mais nous n’abandonnons pas, nous ne cédons pas au désespoir et nous ne cessons pas d’essayer.

Dans leur article, Younis et Noy déclarent que les adhérents arabes de Standing Together ne croient pas vraiment à ce partenariat judéo-arabe – qu’ils prétendent le faire uniquement pour calmer les Juifs privilégiés parmi eux. En écrivant cela, ils diminuent les contributions des membres palestiniens de Standing Together – des partenaires de la direction du mouvement qui fixent son ordre du jour, travaillent à promouvoir les intérêts du public arabo-palestinien en Israël, et qui paient parfois un prix personnel pour leur leadership. Plus grave encore, en attaquant Standing Together, Younis et Noy ne font que renforcer l’argument de la droite, selon lequel les Palestiniens qui disent vouloir vivre en paix avec les Israéliens juifs mentent en réalité.

Telles sont nos convictions et nous y croyons fermement. Nous pensons que les politiques de la droite nuisent davantage aux familles arabes qu’aux familles juives et que ce mal a des racines historiques. Nous savons aussi que le partenariat judéo-arabe est le moyen de lutter pour les droits de toutes ces familles, juives et arabes, et de faire en sorte qu’elles puissent toutes vivre ensemble dans ce pays. Telles sont nos valeurs. Telle est notre théorie du changement. Telle est la source de notre espoir. Nous croyons en la voie que nous avons choisie et nous construisons un vaste mouvement – juif, arabe et socialiste – pour apporter des changements fondamentaux dans la société, l’économie et la politique d’Israël.

*Standing Together est un mouvement citoyen d’Israël, unissant Juifs et Arabes dans des actions locales ou nationales, au sein de campagnes pour la paix, l’égalité, la justice sociale, afin de transformer la société israélienne.

**Rami Younis, professeur à l’Université de Tulsa (USA) et Orly Noy, militante politique qui a travaillé dans différentes associations, notamment l’Union des femmes pour la paix et l’Union démocratique Mizrahi Rainbow. Dans leur article « Let’s stop talking about a false ‘Jewish-Arab partnership », ( https://972mag.com/false-jewish-arab-partnership/141069/), ils estiment qu’en instaurant une symétrie entre les Israéliens et les Arabes,  les juifs de gauche sont non seulement à côté de la plaque mais participent activement à l’effacement de la lutte des Palestiniens.

***Noam Sheizaf, journaliste, directeur de +972 Magazine

Nisreen Shehada et Alon-Lee Green sont membres de la direction de Standing Together. Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call.

 

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Nisreen Shehada et Alon-Lee Green