On ne peut ouvrir un poste de télévision sans tomber sur une émission consacrée à l’antisémitisme, à la multiplication des expressions et actes anti-juifs.

Ce qui, il y a peu encore, mettait mal à l’aise et était rapidement mis sous le tapis pour passer à autre chose, fait désormais « la une ». C’est en cela, nous semble-t-il, que réside la nouveauté : non pas tant en la résurgence d’un antisémitisme en France qu’en sa reconnaissance. Minoré, mis sous le boisseau, attribué à des secteurs particuliers de la population et du territoire, tout cela est désormais fini, sa prégnance est (enfin) incontestée.

Le mouvement des gilets jaunes a sans conteste joué un rôle dans ce phénomène en ayant contribué à le rendre visible, visible aux yeux de ceux qui ne voulaient pas voir. Non pas que ce mouvement soit par nature antisémite. Mais il a fait descendre dans la rue des gens qui jusqu’à présent n’y allaient pas, il a fait entendre des propos qui jusqu’à présent ne se disaient pas. Ce qui était là, présent, tapi dans les recoins, est sorti, est devenu visible, audible. C’est là un dommage collatéral, positif – même si inquiétant – du mouvement des gilets jaunes. Positif en ce qu’il révèle au grand jour ce qui était dans l’ombre.

Or la révélation est un préalable à la prise de conscience collective.

Le rassemblement prévu mardi 19 février en est l’une de ses manifestations. On a trop souvent regretté ces dernières années que la dénonciation de l’antisémitisme ne soit le fait que des juifs et de leurs organisations, on a trop souvent déploré « l’entre-soi » de certaines commémorations, pour ne pas prendre acte de cette réappropriation par « la communauté nationale » de ce qui avait fini par ne relever (presque) que de la seule « communauté juive ».

S’en réjouir? Sans doute pas. Mais faire preuve d’esprit chagrin au motif que cette réappropriation serait tardive, voire calculée et insincère, est tout à la fois mesquin et erroné.

La période à venir va être difficile car, pourrait-on dire, « tout commence ». La lutte contre l’antisémitisme ne se réduit pas à la dénonciation, à la répression, à la compassion, à l’injonction… Rien de tout cela pris isolément ne fonctionne. En outre il convient de ne pas se tromper sur la nature de l’antisémitisme pour le contrecarrer là où il le faut et comme il le faut. D’aucuns mettent l’accent sur la « nouveauté » de l’antisémitisme contemporain cohabitant toujours avec un antisémitisme plus « classique ». La haine du juif ne viserait plus à protéger le système mais à le dénoncer. Les juifs incarneraient le système. C’est parce qu’on déteste la société que l’on détesterait les juifs. Du diagnostic dépend la thérapeutique qui, si elle existe, ne peut être que complexe, incertaine et sur le long terme.

Et puis, bien entendu, il y a Israël. Dans les insultes proférées à l’encontre de Alain Finkielkraut, la référence à Tel Aviv est très vite apparue. Sur cette thématique également nous sommes présents. Pour certains, notre opposition résolue à la politique du gouvernement israélien encouragerait l’antisémitisme et, en toute mauvaise fois, ceux-là se refusent à considérer  la totalité de notre action et notre attachement inconditionnel à l’existence d’Israël et à sa nature telle que l’ont voulue ses pères fondateurs. D’autres, parmi nos opposants « d’en face », nous reprochent notre « sionisme » (et ils ont raison, nous le sommes et le revendiquons) et accusent Israël d’être derrière cette dénonciation de l’antisémitisme.

C’est ainsi que dans un texte appelant à un rassemblement parallèle à celui de mardi, tout en dénonçant l’antisémitisme, noyé dans une énumération à la Prévert (« tous les actes racistes et toutes les violences policières islamophobes, négrophobes, romophobes, visant les asiatiques, les personnes LGBT »), ses auteurs ont « osé » écrire : « Nous ne nous laisserons pas prendre en otage entre les instrumentalisations du gouvernement ou celles des officines et ambassades poursuivant un agenda n’ayant rien à voir avec le combat contre le racisme et l’antisémitisme. »

De quelle ambassade s’agit-il? Poser la question est y répondre. Ainsi Israël serait derrière cette focalisation sur l’antisémitisme et, pourquoi pas, derrière les actes eux-mêmes.

Chassez le naturel…

Les uns et les autres seraient bien aise que nous nous effacions. Il n’en est pas question. Nous ne nous laisserons pas impressionner. Nous ne laisserons rien passer, que ce soit dans la dénonciation de l’antisémitisme comme dans celle, sans rapport ni connexion, des dérives de la politique du gouvernement israélien et dans notre soutien au camp de la paix qui, sur le terrain, les combat.

Ilan Rozenkier

17 février 2019