Source : Common Grounds [->http://www.commongroundnews.org/]
(article paru dans le numéro d’Ha’aretz du 14 juin 2006)

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Mardi dernier, environ 200 personnes s’étaient rendues dans l’après-midi au Centre Notre-Dame, à Jérusalem, pour écouter deux dirigeants politiques parler des pièges et de problèmes que posent le dialogue israélo-palestinien et la coopération. Ces deux dirigeants sont célèbres : Yossi Beilin, président du parti Meretz, et Yasser Abed Rabbo, membre du comité exécutif de l’OLP. Ils occupent une place importante dans les relations entre Israéliens et Palestiniens, ayant été à la source de l’Initiative de Genève lancée en 2003 [Nous avons consacré de très nombreux articles à Genève. Vous en trouverez la liste à : [
Le texte des Accords : [->http://www.lapaixmaintenant.org/association708] ]]
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Le meeting, hautement médiatisé, devait commencer à 14h. Le temps passait. Pas d’orateurs à l’horizon. Le public s’impatientait. Les organisateurs annoncèrent alors qu’Abed Rabbo n’avait pu obtenir l’autorisation de la part de l’armée israélienne d’entrer en Israël depuis la Cisjordanie. Ils espéraient toujours sa venue. Il semble qu’il fait sa demande d’autorisation il y a 10 jours. Beilin, ancien ministre de la justice, et donc a priori capable de faire jouer son influence, était en train de tenter de lui obtenir le permis. (Beilin, entre-temps, n’a pu venir, retenu à la Knesset).

L’après-midi s’écoula, et les organisateurs durent finalement annoncer qu’Abed Rabbo ne viendrait pas. Plus tard, il s’avéra qu’il avait bien obtenu son permis, mais deux heures et quart après le début du meeting. A l’heure où il était terminé et tout le monde parti.

Bavure bureaucratique ? Tour joué par les militaires ? Sorte de jeu pour s’assurer qu’Abed Rabbo ne pourrait pas parler, tout en faisant en sorte qu’Israël ne soit pas accusé de ne pas le laisser parler ? En tout cas, un autre dirigeant palestinien n’a pu se rendre au meeting : Ziyad Abou-Zayad, ancien ministre, et co-hôte du meeting en sa qualité de co-rédacteur en chef du Palestine-Israel Journal.

Le Palestine-Israel Journal est un magazine trimestriel unique en son genre, car il s’agit d’un projet commun israélo-palestinien. Abou-Zayad en est le rédacteur en chef avec Hillel Schenkner, journaliste israélien confirmé spécialiste des affaires israélo-arabes. Le comité de rédaction (auquel il se trouve que j’appartiens), est composé d’Israéliens et de Palestiniens. Le comité se réunit pour discuter de chaque sujet, et les décisions comme le travail sont partagés. L’objectif du magazine est d’apporter des éclairages sur les questions qui divisent Israéliens et Palestiniens, vues par des écrivains célèbres, des personnalités politiques, des journalistes et des artistes.

Récemment, le magazine a reçu de l’Union européenne une subvention pour financer huit numéros. Le présent numéro est consacré à « Peuple-à-Peuple : qu’est-ce qui n’a pas marché et comment réparer ? ». C’était aussi le thème du meeting de mardi, pour lequel Abed Rabbo et Beilin étaient les orateurs rêvés pour expliquer les contacts sur le terrain qui ont suivi les accords d’Oslo, il y a plus de 10 ans, et pour s’interroger sur les raisons pour lesquelles la paix n’a pas été instaurée, et sur ce qu’il convient de faire aujourd’hui.

Alors, pourquoi deux Palestiniens clés ont-ils été empêchés de participer au meeting ? Schenkner a dit à la tribune qu’il n’y avait « aucune raison logique ou rationnelle » expliquant l’absence d’Abou-Zayad, et il a fait remarquer que le domicile de celui-ci n’était qu’à 12 minutes en voiture. Elias Zananiri, militant palestinien pour la paix qui a parlé à la place d’Abou-Zayad, a condamné avec colère la « collusion de fait » entre le gouvernement israélien et les extrémistes du côté palestinien, pour empêcher les Palestiniens de parler aux Israéliens et vice-versa.

Qu’Abed Rabbo et Abou-Zayad aient été empêchés de participer au meeting n’est pas chose inhabituelle. Nombreux sont les hommes et les femmes qui œuvrent au rapprochement entre Israéliens et Palestiniens et qui ont connu cette expérience. Les Palestiniens qui habitent Jérusalem peuvent assister à des réunions sans problème. Mais en Cisjordanie, tout le monde a besoin d’un permis de l’armée israélienne. La procédure habituelle consiste à s’adresser d’abord à l’Administration civile (également des militaires), qui contrôle la Cisjordanie. Si le permis est accordé, il faut alors obtenir un permis de l’armée elle-même. On peut penser que le Shin Bet est partie prenante quelque part. (Pour la bande de Gaza, n’y pensons même pas. C’est comme une autre planète, et il est rare que quelqu’un de là-bas assiste à des réunions consacrées au dialogue).

Il peut s’ensuivre un jeu harassant du chat et de la souris

Les fonctionnaires de l’Administration civile, qui sont des officiers militaires, sont en général sympathiques et attentionnés. « Téléphonez cet après-midi », ou « téléphonez demain matin », disent-ils. Et cela dure. Finalement, la réponse est non, sans explication, ou bien l’explication est qu’il y a un bouclage dans les territoires et que seuls les « cas humanitaires » sont examinés, ou bien encore le permis est accordé beaucoup trop tard, comme pour Abed Rabbo.

De même, les Israéliens ne sont pas autorisés à franchir les check points pour se rendre à des réunions dans des villes cisjordaniennes. La raison est sécuritaire et, bien sûr, cela peut se comprendre car un certain nombre de Juifs qui avaient traversé la frontière ont été assassinés. Autre chose est de savoir si cela justifie une politique en bloc qui empêche tout Israélien juif de pénétrer en Cisjordanie.

L’ensemble de ces refus et de ces obstacles a eu un effet dévastateur sur le dialogue israélo-palestinien. Et ces refus suscitent la question de fond, la plus angoissante de toutes : s’agit-il d’une politique délibérée du gouvernement israélien qui fait tout son possible pour bloquer les rencontres entre Israéliens et Palestiniens, cela pour étayer l’argument qu’il martèle : « il n’y a pas de partenaire palestinien pour la paix  » ?

Le fait est qu’il existe en Cisjordanie un grand nombre de Palestiniens réputés qui souhaitent parler et travailler avec des Israéliens pour la paix, et qui refusent bravement de se soumettre aux pressions venues de leur côté contre ce qu’on appelle la « normalisation » [des relations avec Israël, ndt]. Le gouvernement israélien veut-il nier l’existence de ces Palestiniens en faisant en sorte qu’il leur soit impossible de rencontrer des Israéliens ?

Ce serait alors le comble du cynisme et de la manipulation. Cela ne peut pas être vrai. Le gouvernement d’Ehoud Olmert doit plutôt, et d’urgence, examiner ce qui se passe sur le terrain et ouvrir grand les portes pour que Palestiniens et Israéliens puissent se rencontrer facilement et librement. Quel espoir de paix possible peut-il y avoir si les gens ne peuvent même pas se rencontrer pour partager des idées et débattre de ce qui les oppose ?