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IPCRI, 8 mars 2004

par Gershon Baskin[[Dr Gershon Baskin est le co-directeur israelien de l’IPCRI
(Israel/Palestine Center for Research and Information)]]


Aujourd’hui, nous apprenons de source palestiniene que 27 Palestiniens, dont
quatre enfants, ont ete tues a Gaza en moins d’une semaine. Le general Gadi
Shanni, commandant en chef sortant de Tsahal dans la Bande de Gaza, a
declare a Haaretz : « Nous sommes en train de gagner ce conflit.
Militairement, nous le gagnons chaque jour, et plusieurs fois ». Des
dirigeants palestiniens d’organisations comme les Brigades des Martyrs d’Al
Aqsa ont declare qu’ils « allaient se venger violemment de l’entite sioniste
pour les massacres dans les camps de refugies de Brej et de Nusseirah ». Le
Hamas, lui, a promis « que le le premier ministre sioniste et terroriste
Ariel Sharon paierait tres cher pour les crimes commis dans la Bande de
Gaza. » Les officiels du Hamas ont demande a leur branche militaire
« d’intensifier les raids de resistance contre toutes les cibles situees en
Palestine occupee ».

Sommes-nous en train de gagner, comme l’assure Gadi Shanni au public
israelien? A mon avis, la reponse est claire : NON! La guerre contre le
terrorisme, je le dis a mes amis, collegues et dirigeants israeliens, ne
sera pas gagnee sur le front militaire. Les actions a Gaza de cette semaine
ne feront pas diminuer l’envie de Palestiniens de tous ages de hair Israel
et de combattre Israel jusqu’a leur derniere goutte de sang. Les televisions
arabes, dans tout le monde arabe, ont diffuse les images du sang qui coulait
de la tete du jeune enfant palestinien tue hier dans l’echange de tirs entre
les forces israeliennes et palestiniennes. Meme les voix moderees en
Palestine ne pouvaient refouler un desir brulant de vengeance en voyant ces
images.

Depuis le debut de cette intifada, en septembre 2000, j’ai dit et repete
qu’on ne gagne pas une guerre contre un peuple qui lutte pour sa liberation
et sa liberte contre une puissance occupante. Cela, nous devrions le
savoir, de par notre propre histoire et notre propre experience, bien mieux
que d’autres nations et que d’autres peuples. Il est clair qu’au bout du
compte, les Palestiniens seront libres et que l’occupation israelienne
prendra fin. La question est quand, et a quel prix. Ces tueries quotidiennes
sont vaines.

Il y a ceux qui disent : que voulez-vous que nous fassions, deposer les
armes et laisser l’ennemi nous tuer? A ceux-la, je repondrai : il faut
changer de logiciel, et agir differemment. Dans le paradigme present des
relations israelo-palestiniennes, la seule logique est celle de la
destruction reciproque. Cette logique se retrouve clairement exprimee dans
les phrases suivantes, dites tous les jours par des gens des deux cotes :

« Nous ne pouvons pas deposer les armes parce qu’ils ne deposeront pas les
leurs »
« Nous devons combattre le terrorisme parce qu’on ne fait pas de compromis
avec le terrorisme »
Nous devons continuer a combattre l’occupation parce que le seul langage
qu’ILS comprennent est le langage de la force »
« Nous devons combattre le terrorisme parce que le seul langage qu’ILS
comprennent est le langage de la force »
« Si nous declarons le cessez-le-feu, ILS prendront cela pour de la
faiblesse »
(…)
« Un retrait serait une victoire du terrorisme »
« ILS sont tous terroristes de naissance, ILS tetent la haine au sein de leur
mere »
« De toute facon, il n’y a personne a qui parler de l’autre cote »
« ILS ne veulent pas la paix, seulement nous detruire »
Etc., etc., etc.

Peu importe qui prononce ces phrases. Pour un conflit aussi asymetrique, la
symetrie de la rhetorique est frappante. Ce que nous pensons d’eux, ils le
pensent de nous. Et le cycle continue, encore et toujours. Toutes les
ressources des deux peuples, humaines, financieres, et cette terre que nous
aimons tous les deux, toutes sont jetees a la poubelle de la logique
militaire, de la securite, des armes et de la defense.

Par le passe, j’ai ete attaque par des Israeliens qui disaient de moi et de
mes semblables que nous etions des Quisling, ou des juifs ayant la haine de
soi, pour avoir dit ne serait-ce qu’il existe une occupation. Mais
aujourd’hui, Sharon lui-meme parle d’occupation : « je pense que l’idee qu’il
soit possible de garder 3,5 millions de Palestiniens sous occupation – oui,
‘occupation’, le mot ne vous plait peut-etre pas, mais ce qui se passe,
c’est une occupation – est mauvaise pour Israel, pour les Palestiniens, pour
l’economie d’Israel. Controler 3,5 millions de Palestiniens ne peut pas
durer eternellement. Vous voulez rester a Naplouse, Ramallah et Bethleem? »
(26 mai 2003) Sharon prepare un desengagement unilateral. Je suis totalement
en faveur d’une fin de l’occupation de Gaza par Israel, et je soutiens toute
mesure qui prepare le peuple israelien a l’eventualite d’un retrait total et
definitif de Gaza, et le plus tot sera le mieux. Mais cela n’apportera pas
la paix. Il doit etre clair pour tout le monde, a commencer par Sharon
lui-meme, que cela n’arretera pas la tuerie.

Dans le cadre d’un retrait unilateral, Israel ne quittera pas Gaza
definitivement. Israel reviendra, l’armee y refera des incursions, les
helicopteres Apache continueront a lancer des missiles dans les rues de
Gaza. La loi et l’ordre ne regneront pas a Gaza. La seule chose dont nous
pouvons etre surs dans ce scenario de l’uniteralisme, c’est que la haine
contre Israel continuera a grandir. Et que les Israeliens reagiront avec le
meme degre de haine.

Les Palestiniens ne sont pas nes terroristes, et rien dans leurs genes ne
les predispose au terrorisme. Les Israeliens ne sont pas nes en haissant les
Palestiniens, et eux non plus ne sont pas des terroristes de naissance. Ce
sont des comportements acquis. Et cette acquisition est principalement le
resultat de la peur. La peur nourrit les generaux, les esprits des
militaires, et les politiciens, qui sont faits dans le meme moule,
Israeliens comme Palestiniens. C’est la peur qui explique les augmentations
des budgets militaires, les contrebandes d’armes et les salaires verses aux
« combattants de la liberte ». Ces ressources si rares devraient servir a
construire, et non a detruire. Mais la peur regne en maitre. Sauf que nous
sommes trop fiers pour l’avouer. Seuls les laches ont peur. Or, moi, je ne
suis pas un lache, et pourtant j’ai peur. J’ai peur que la tuerie et la
destruction continuent, et que le souhait si souvent entendu, celui qui dit
que peut-etre, nos enfants n’auront plus a se battre, soit encore entendu,
encore et toujours, et que tous nos enfants auront a se battre. Et les
citoyens sont pris en otages, et leurs voix sont silencieuses.

Ou sont les voix qui disent que c’en est assez de la tuerie? Ou sont ceux
qui savent, dans leur coeur et dans leur esprit, qu’il n’existe aucune facon
de briser la volonte de l’autre cote? Je bouillis de rage. J’en veux a mes
compatriotes et j’en veux aux Palestiniens. Pourquoi ce silence? Je n’espere
rien de nos dirigeants, ni des leurs, ni des dirigeants du monde qui
viendraient nous sauver de notre propre desastre. Et j’en veux moins a nos
dirigeants qu’a nous-memes. D’eux, je n’attends plus rien. Eux continueront
a faire ce qu’ils savent faire le mieux, et nous continuerons a en payer le
prix, avec de plus en plus de victimes, israeliennes et palestiniennes.
Combien de cadavres faudra-t-il pour que les Israeliens et les Palestiniens
« d’en bas » descendent dans la rue et disent « ASSEZ! »? 5.000, 10.000, 20.000,
100.000? Chaque nouvelle victime meurt pour rien. Ce ne sont pas des heros,
mais des imbeciles, comme nous tous, et si nous devons etre honnetes envers
nous-memes, nous devons reconnaitre, Israeliens comme Palestiniens, qu’ils
sont morts en vain.

Ne croyez pas aux mythes. Nous combattons pour rien, Israeliens et
Palestiniens. Cette guerre n’apportera rien a personne. Il n’y aura ni
victoires, ni triomphateurs, seulement des defaites, et des perdants. Nous
sommes tous en train de perdre, et nous sommes tous des perdants. Israeliens
comme Palestiniens allons continuer dans cette folie et cette
irresponsabilite jusqu’a ce que nous, les peuples, israelien et palestinien,
nous levions courageusement et luttions contre le courant. Des vies perdues,
de chaque cote, nous sommes tous responsables et coupables.

Tous les jours, je parle avec des Israeliens et avec des Palestiniens de
tous horizons. Je sais qu’il y a des gens a qui parler de l’autre cote. Je
sais qu’il est possible de parvenir un accord et de trouver des solutions
qui garantissent une vie dans la dignite et dans la liberte. Cela fait trop
longtemps que je travaille dans ce sens pour ceder a la peur et au
desespoir. Nous devons montrer de la compassion pour leurs souffrances comme pour les notres. Il y a de l’espoir, il doit y avoir de l’espoir. Il y a
assez d’Iisraeliens et de Palestiniens raisonnables qui, comme moi, en ont
marre. A nous de jouer, a nous de faire la difference.