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Maariv, 2 juin 2004

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La semaine dernière, deux livres ont atterri par hasard sur mon bureau. Le premier, une nouvelle édition du célèbre ouvrage de Lena Kichler Zilberman, Cent de mes enfants. Le second, le rapport 2003 d’Amnesty International sur la violation des droits de l’homme dans le monde (dont Israël et les territoires).

Un coup d’œil rapide aux deux livres révèle un parallèle désagréable : les deux parlent de « cent enfants ». Le livre de Kichler décrit comment cent enfants ont été sauvés des horreurs de la Shoah. L’auteure elle-même a consacré toute son énergie à les sauver. Amnesty rapporte que 600 Palestiniens ont été tués par Tsahal en 2003, dont plus de cent étaient des enfants. D’après Amnesty, « la plupart des enfants sont morts à la suite de tirs et de bombardements irresponsables dans des zones habitées, d’exécutions sans procès et d’usage exagéré de la force ».

En tant que Juif et Israélien fier de l’être, le parallèle entre les deux livres m’a plus que perturbé. Dans le livre de Kichler, le judaïsme et l’État d’Israël représentent la morale, l’humanité et le respect de l’homme. Son livre témoigne du grand courage montré par des Juifs pour préserver ces valeurs dans un monde où elles étaient tenues pour obsolètes. Bien que l’humanité ait touché le fond devant les pires cruautés que l’homme ait jamais inventées, Kichler a refusé de considérer que la bestialité faisait partie inhérente de l’homme. Les horreurs de la guerre ne l’ont pas empêchée de créer un institut consacré à la restauration de la foi des enfants en l’héritage d’Abraham. Elle a réussi : les enfants ont considéré la bestialité des nazis comme une exception à la règle plutôt que comme la règle.

Israël tel qu’il est décrit dans le rapport d’Amnesty est tout le contraire. Puissant et brutal, il est dépeint comme un pays qui suit la loi de la jungle où seuls survivent le fort et le cruel. Rien ne semble plus éloigné du livre formidable de Kichler que la destruction des maisons palestiniennes à Rafah, où l’on n’a même pas laissé aux habitants le temps de rassembler quelques affaires. Rien n’est plus éloigné du voyage de Kichler et des enfants d’Israël, quand chaque enfant était pris en considération, que les incursions brutales de Tsahal dans les villes palestiniennes, quand les routes sont détruites, les arbres déracinés, et les voitures écrasées sous les chenilles des tanks.

Même si l’on accepte la nécessité de telles opérations, on ne peut éviter d’être perturbé par la cruauté avec laquelle elles sont menées.

Les réactions au rapport d’Amnesty montrent, elles aussi, combien nous sommes loin des valeurs auxquelles nous tenions dans la pire période de notre histoire. Le porte-parole de Tsahal ne voit aucun problème dans le nombre d’enfants tués, mais seulement dans le fait qu’Amnesty définit un enfant comme quelqu’un de « 18 ans ou moins, car certains des kamikazes étaient bien plus jeunes ». Cela nous enseigne que certains enfants méritent d’être tués. Zeev Boïm, vice-ministre de la Défense, a déclaré qu’il « ne contestait pas les faits », mais a ajouté qu’« Amnesty n’a absolument pas tenu compte des circonstances particulières ». Quelles circonstances particulières ? Le vice-ministre est muet, car il semble que l’armée n’ait pas enquêté sur tous les cas cités dans le rapport.

Sans entrer dans la problématique de la justification de la guerre contre le
terrorisme palestinien et la manière dont elle est menée, nous ne devons pas ignorer le prix moral très lourd que nous payons en tant que nation. Le passage d’un temps où nous, Juifs, combattions pour les valeurs auxquelles nous tenions pendant la période la plus brutale de l’histoire, à une époque où nous acceptons la brutalité comme une nécessité, devrait faire perdre le sommeil à ceux qui croient encore qu’il n’y pas de plus grande mission pour les Juifs que celle de Kichler. Nous avons le devoir de préserver les mêmes valeurs et « leurs » enfants, comme nous l’avons fait pour « nos» cent enfants.