Les camps pro-israélien et pro-palestinien n’ont pas de langage commun: même les mots de “paix”, de “justice” et de “droits” se sont vus récupérés par les parties adverses dont chacune rejette farouchement toute comparaison avec l’autre, écrit ici en substance Joël Braunhold.

Pour décrié qu’il soit, le travail des associations qui jettent des ponts «entre Israéliens et Palestiniens, Juifs et Arabes ou au sein même de chacun des groupes», est selon lui utile, voire indispensable.

Tous ces «bâtisseurs de paix», entendent faire bouger la société en de multiples domaines, afin «de tirer quelque chose de neuf des décombres» laissés par les guerres dans leur sillage.


L’été 2014 fut une horrible expérience. Les enlèvements, les émeutes, les meurtres et la guerre, qui entraînèrent dans leur engrenage Israéliens et Palestiniens, ont laissé une plaie ouverte et encore purulente.

Ces violences ont également mis en évidence l’existence d’univers parallèles au sein de chacune des populations et des groupes qui les soutiennent. Les recherches d’avant-garde menées par Gilad Lotan sur les réseaux sociaux ont montré comment chacune des parties parle du passé de l’autre. Même les approches “de peuple à peuple”, ces tentatives de nouer une forme de dialogue, ont rencontré des difficultés croissantes à trouver un langage commun dans la violente cacophonie qui a submergé la région cet été.
En fouillant un peu dans les données rassemblées par Lotan, on découvre que le langage et les concepts mêmes utilisés par chacune des populations sont maintenant entièrement distincts. Le terme de “paix” est devenu la propriété du groupe pro-israélien. Par contraste, la question des “droits” occupe une place prééminente dans les analyses proposées sur les réseaux pro-palestiniens; elle est absente du débat de l’autre côté.

Au long de mes années de travail sur le conflit israélo-palestinien et autour de lui, l’appropriation du langage est allée empirant. Dans le camp israélien, on entend parler de “sécurité”, de “paix” et de “coexistence”; dans le camp palestinien, de “justice”, de “droits” et de “liberté”.

Ces principes sont tous nécessaires à l’élaboration d’une solution durable au conflit, et pourtant notre incapacité à le résoudre a conduit les deux camps à s’entourer de concepts que chacun croit seuls garants de l’imprescriptibilité de ses droits. La justice n’est pas un idéal que l’on puisse diviser; la sécurité doit être globale pour être viable.

L’appropriation de ces termes est cependant plus qu’une simple anecdote, intéressante encore qu’un peu déprimante. Elle a eu pour implication dans le monde réel que des programmes visant à promouvoir une ou plusieurs de ces valeurs furent aussitôt étiquetés comme partisans.

Nombreux sont ceux, au sein du mouvement pro-palestinien, qui ne mentionnent la paix qu’entourée de guillemets. Trop de fausses aurores les ont amenés à la conclusion que tout discours de paix ne sert que de feuille de vigne à la poursuite de l’occupation.

Pour beaucoup de pro-israéliens, parler de droits (le droit à l’auto-défense excepté) est instantanément suspect. Le défi institutionnel que représentent des forum internationaux tel que le Conseil international des droits de l’homme a suscité l’apparition d’un réflexe de défense au sein du groupe dès qu’on aborde ce thème.

Derrière tout cela, il y a deux lectures radicalement différentes de la situation. Pour les Palestiniens, il s’agit de l’occupation sioniste de la Palestine, où un net déséquilibre prévaut entre occupés et occupants; toute tentative de poser une équivalence entre les deux côtés participe d’une normalisation de la situation et profite aux Israéliens.

Pour les Israéliens, il s’agit d’un conflit israélo-arabe qui voit Israël encerclé par un monde arabe fanatique fort de centaines de millions [de ressortissants], un monde qui refuse de leur parler et les dépeint à l’aide des pires caricatures de leur histoire. Un mur d’acier doit être érigé pour protéger la villa dans la jungle – lieu où la démocratie libérale peut fleurir avec tous ses attributs. La moindre fissure dans ce mur sera exploitée et Israël cessera d’exister. Il faut traiter le monde extérieur avec la plus grande méfiance et dicter la paix en des termes capables d’assurer la sécurité sur laquelle Israël s’est reposé pour survivre.

Chacun des groupes rejette farouchement toute comparaison avec l’autre. La réalité quotidienne montre que si que les Israéliens peuvent en général poursuivre le cours normal de leur vie et prospérer (fût-ce au prix d’invraisemblables niveaux de stress), les Palestiniens continuent de subir les humiliations journalières induites par l’occupation.

Il est facile de disqualifier les programmes d’échanges entre peuples, que ce soit entre Israéliens et Palestiniens, Juifs et Arabes ou au sein même de chacun des groupes. De prime abord, ils peuvent sembler fantaisistes et naïfs. Comme toute autre démarche, ils ne sont jusqu’ici pas parvenus à résoudre le problème, et sont récusés à ce titre. Mais c’est une erreur.

Ces programmes portent tous en eux des éléments indispensables à la mise en œuvre de quelque solution que ce soit. Leurs initiateurs et leurs membres sont les premiers à se dire conscients que leur action ne suffit pas en soi – mais doit s’insérer dans une mosaïque pour contribuer à inverser le cours des choses, à l’encontre de ceux qui tablent sur le statu quo et l’aggravation du déséquilibre en termes de pouvoir. Ils restent cependant nécessaires.

Ces dialogues, ceux qui ont résisté aux procès et vicissitudes de ces vingt dernières années, ne sont ni vains ni futiles. Il ne s’agit pas de s’asseoir à manger du humus tandis que le monde brûle alentour. Ces tentatives ont plutôt pour objectif de faire bouger la société dans tel ou tel domaine, qu’il s’agisse d’éducation, d’environnement, d’économie, de culture, de religion ou de politique.

En coordonnant et associant diverses approches, ces bâtisseurs de paix entendent tirer quelque chose de neuf des décombres que cet été, et tant d’autres auparavant, ont laissé dans leur sillage.