Architecte des accords israélo-palestiniens d’Oslo avec Abbu Mazen (Mah’moud Abbas) — combattant proche d’Arafat et comme lui-même universitaire de renom décidé à construire une solution de compromis — Yossi Beilin répond ici à la campagne des ultra-nationalistes contre la gauche, menée sans le dire à des fins annexionnistes. Reprenant chacun des arguments lancés contre un « faux modèle de la gauche », il remarque que rien ne démontre l’inanité de ses credo.

« Chaque fois que la droite a accédé au pouvoir, elle a oublié sa ligne “zéro compromis“ », note-t-il.. Au nom de la paix avec l’Égypte,  Menah’em Begin accéda à ses demandes territoriales comme militaires et reconnut les droits légitimes du peuple palestinien… Face à l’opposition de son propre camp, il dut en 1978 faire appel à la gauche pour réunir une majorité qui ratifie l’accord-cadre signé à Camp David. « Nul aujourd’hui ne conteste cependant plus ce traité majeur. »

Si la paix « ne peut tenir lieu de gestion responsable et de réformes », ni « la coopération des services de renseignement et les négociations secrètes de reconnaissance et de liens officiels », la vision de la gauche sioniste n’est pas obsolète. Guidée par l’amour de la vie humaine et « la pérennité d’un État juif et démocratique », elle prône la solution à 2 États.. et a « en dépit de son effritement » de bonnes chances de l’emporter si l’on compte le peu de partisans de la ligne dure à la Knesseth.


Traduction & Chapô,, Tal Aronzon pour LPM

Phoio de couverture : La poignée de mains historique entre Rabin et Arafat en septembre 1993. © AFP / J. David Ake. [DR].

Israel Hayon,, Monday February 5, 2018

<http://www.israelhayom.com/opinions/the-lefts-successful-failure>


La Chronique de Yossi Beilin

Dans une récente tribune parue dans ce journal, le militant d’extrême-droite Ariel Kaliner dénonçait ce qu’il disait être « le faux modèle de la gauche ». Selon lui, cette vision impropre du monde comprend trois principes : la paix s’obtient par des accords, des compromis et l’apaisement ; la croissance économique dépend de la paix ; la légitimité sur la scène internationale dépend du processus de paix.

Mais il se trompe en ce qui concerne la valeur de son analyse comme d’après mes propres conclusions. Il se trompe parce que la gauche se fonde sur un ensemble de valeurs totalement différent, basé sur l’amour de la vie humaine et sur la détermination à assurer la pérennité d’Israël en tant qu’État juif et démocratique.

Les trois credo dont il parle font partie de l’ensemble plus vaste de points avancés par le camp de la paix lorsqu’ils se querellent avec les nationalistes. Même s’ils appartiennent à ce prétendu « modèle impropre » de la gauche, rien n’a prouvé leur inanité. Au contraire.

Feu Mena’hem Begin, alors Premier ministre, a présidé aux concessions territoriales les plus étendues qu’Israël ait faites pour la paix. Il a rendu le Sinaï, déplaçant des villes et démantelant d’importantes et modernes bases aériennes israéliennes. Dans ce processus engagé afin de gagner la paix, il a accepté de renoncer à une région correspondant à près de trois fois la taille d’Israël et de démilitariser la zone bordant la frontière égyptienne. Il a également accepté de reconnaître les droits légitimes du peuple palestinien.

Il ne s’est pas même agi d’un compromis — c’étaient les demandes égyptiennes telles quelles.

En 1978, quand Begin revint du sommet de Camp David, où l’on était arrivé à un accord-cadre de paix avec l’Égypte, son parti se ligua contre lui. Il dut par conséquent faire appel à la gauche pour réunir une majorité à la Knesseth afin de ratifier l’accord. Pourtant, il est difficile de trouver quelqu’un à droite qui s’oppose encore à ce traité majeur.

Le Premier ministre Yitz’hak Rabin aurait bien pu ne jamais signer de traité avec la Jordanie s’il n’avait pas ratifié en 1993 les accords d’Oslo avec les Palestiniens. Israël dut faire là-aussi des compromis pour parvenir à ce traité, sous forme d’une démilitarisation limitée et de la cession à la Jordanie de deux petites parcelles sitôt rétrocédées à Israël en location par le royaume hachémite.

La rapidité de la croissance en Israël dans les années 90 fut une conséquence du processus de paix enclenché à la conférence de Madrid en 1991 et qui culmina avec les accords d’Oslo. Durant ces années, le boycott arabe d’Israël fut partiellement levé et les sociétés internationales qui s’étaient détournées de l’État juif décidèrent, faisant fructifier cette atmosphère positive, d’y monter des affaires.

Il n’est pas douteux que dans le cas où Israël ferait la paix avec le reste du monde arabe, une croissance économique plus importante encore s’ensuivrait. La paix ne peut tenir lieu d’une gestion économique responsable et de réformes, mais elle est indéniablement un accélérateur de croissance.

En ce qui concerne la légitimité sur la scène internationale, s’il est vrai que les reculs de la paix n’ont pas empêché les dirigeants mondiaux de  venir en visite en Israël et de s’engager à son endroit, le pays n’en a pas moins été constamment diffamé au sein d’institutions internationales allant des Nations unies à diverses associations sportives. On continue à voter contre Israël et à le critiquer de façon sidérante. Le fait que le monde arabo-musulman — pratiquement sans exception — persiste à le boycotter blesse vivement l’État hébreu. La coopération des services de renseignement et des négociations secrètes entre Israël et les dirigeants arabes ne sauraient se substituer à une reconnaissance et des liens officiels.

La vision de la gauche sioniste est loin d’être obsolète. Historiquement, chaque fois que la droite a accédé au pouvoir elle a fini par oublier sa ligne « zéro compromis » et renoncé à des territoires ; limité la construction d’implantations ; donné son aval à la solution à 2 États. À peine un quart des députés appuient la ligne dure. Il apparaît qu’en dépit de son effritement la gauche a de fait réussi à convaincre les autres.


L’Auteur

Le docteur Yossi Beilin, ex membre du gouvernement israélien, est parmi les initiateurs des accords d’Oslo de 1993, et négocia les accords Beilin-Abu Mazen (le nom “de guerre” de Ma’hmoud Abbas) en 1995.`