Le général de réserve Danny Yatom, ancien chef du Mossad et ancien membre de la Knesset (parti travailliste) s’est exprimé jeudi sur 103 FM au sujet des effets d’une éventuelle annexion de la vallée du Jourdain. « Je suis hostile à toute action unilatérale. Je suis opposé à une quelconque annexion de la vallée du Jourdain, de la zone C ou de tout autre zone. […] J’étais favorable au désengagement, et de fait c’était une action unilatérale, mais elle était d’un autre ordre.[…] l’annexion n’est pas une action comparable au retrait. Nous faisions une action unilatérale qui était censée faciliter les choses pour les Palestiniens dans la Bande de Gaza. Je suis hostile à une action unilatérale qui heurte l’autre camp », a-t-il expliqué.

Traduction : Nicole Belayche pour LPM
Photo : La vallée du Jourdain (Hadas Perush, Flash 90)
Interview  de Danny Yatom, ancien chef du Mossad (1996-1998) par Roni Daniel, Yoav Limor et Inon Magal pour Maariv, 23 /01/2020 (en hébreu)
Article mis en ligne le 31 janvier 2020

Interviewers : Vous êtes donc opposé à présent à l’annexion et à l’unification de Jérusalem ?

DY : J’étais bien plus jeune alors. En regardant en arrière, oui, assurément. Toute action unilatérale fait empirer les choses.

Vous étiez le secrétaire militaire de feu Yitzhak Rabin, qui, sans ambiguïté, désirait conserver la vallée du Jourdain sous contrôle israélien et la considérait comme l’arrière-pays stratégique de l’État d’Israël.

DY : Et il avait raison, mais cela ne signifie pas que les choses doivent être faites de façon unilatérale. Le Premier Ministre de Jordanie avait déjà signifié clairement que toute modification unilatérale serait très dangereuse pour la région. Vous n’avez pas besoin d’entendre cela pour comprendre qu’une fois qu’Israël annexerait 20% du territoire, les relations israélo-palestiniennes atteindraient un point extrême de rupture et qu’Israël serait confronté à la nécessité de prendre le contrôle sur la Judée et la Samarie – ce qui à mon avis est contraire aux intérêts de l’État d’Israël, compte tenu du contrôle de 2,6 millions de Palestiniens. Les Jordaniens sont liés aux habitants de Judée et de Samarie, et il existe des liens familiaux forts. Le roi Abdullah ne pourrait pas se retenir de réagir en cas d’annexion unilatérale sans négociations.

Quelle relation y a-t-il avec la Jordanie ? Le roi Hussein a déjà abandonné ce territoire. Pourquoi nous disent-ils ce qu’on doit faire là-bas ?

DY : Ils ne décident pas. Nous avons besoin de regarder le problème de façon large et pas à travers « le chas d’une aiguille ». Nous devons comprendre les implications dans un contexte large. Les Jordaniens sont des voisins des Palestiniens. Dans le passé, le roi Hussein avait demandé à Rabin s’il pouvait être partie prenante dans toutes les négociations entre Israël et les Palestiniens. Rabin lui avait assuré qu’il en serait ainsi. Les Palestiniens ont intérêt à savoir quel sera le pouvoir de l’autre côté du Jourdain, avec lequel ils auront à collaborer. Mon idée est qu’à la fin, nous devrons rendre la vallée du Jourdain si nous voulons la paix. […] Si nous continuons à croire en la paix, je pense que nous devrons continuer à contrôler la Vallée pendant un certain nombre d’années et, progressivement, transférer la responsabilité à une force internationale […] Cette force multilatérale ne serait pas là pour prévenir une guerre entre la Jordanie et Israël mais pour s’assurer que des bataillons terroristes ne pénètrent pas dans le territoire.

Est-ce que cela préviendra les armes et missiles lancés de tout l’Iraq et des territoires iraniens et jordaniens contre la route 6 [la route 6 longe l’essentiel de la frontière avec la rive ouest du Jourdain].

DY : Si l’on suit votre position, nous devrions continuer à contrôler la Bande de Gaza et nous devrions y retourner.

C’est possible. Vous aviez assuré que le désengagement apporterait la sécurité, or pour l’instant, une armée s’est installée là-bas.

DY : Je ne sais pas qui est ce “vous”. Pour mettre fin au conflit entre nous et les Palestiniens dans la bande de Gaza, il faut trouver d’autres voies.

Depuis combien de temps est-ce que nous faisons confiance à une force internationale ? Regardez ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale.

DY : Nous sommes en train de parler d’une force multinationale dont le fondement serait américain.

Vos propos sont un peu curieux pour nous. Si nous vous avions posé la question d’une alliance de défense avec les États-Unis, vous auriez répondu qu’il est hors de question de dépendre d’une puissance étrangère. C’est la position de l’IDF. Et maintenant nous mettrions la sécurité d’Israël entre les mains des soldats américains ? Cela va complètement à l’encontre de la théorie de la sécurité de Ben Gourion.

DY : Ainsi donc vous pensez que, si une force américaine, ou une présence américaine importante, patrouille sur la rive occidentale du Jourdain aux côtés d’une force palestinienne ou jordanienne, cela mettrait en péril la sécurité de l’État d’Israël ?

Imaginez qu’un Palestinien ouvre le feu en direction d’Israël et qu’un soldat israélien touche accidentellement un soldat américain et le tue ?

DY : Tout cela est une question de priorités. Si l’un de vous pense que les choses iront mieux et que la situation sera tranquille si nous annexons la vallée du Jourdain, il se trompe. À mon avis, c’est une meilleure solution que de n’avoir aucune force internationale engagée du tout. Vous êtes en train de parler d’une situation dans laquelle l’IDF aurait à reconquérir toute la Judée et la Samarie. Est-ce un meilleur scénario ? […] L’annexion de la vallée du Jourdain pourrait conduire à des émeutes en Judée et en Samarie, et pourrait aussi fragiliser le royaume jordanien. […] S’il se crée une situation confuse avec le royaume jordanien du fait que les Palestiniens prendraient le contrôle de la rue dans la vallée du Jourdain, alors ce pays, dont les bases sont précaires, pourrait faire appel à un engagement iranien, parmi d’autres. Nous risquons donc de ne pas trouver seulement des Jordaniens de l’autre côté du Jourdain, mais aussi des milices pro-iraniennes ou iraniennes. Tout cela est une question de priorités.