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Haaretz, 9 fevrier 2004


GAZA – « Ici, personne ne pleurera le depart des colons juifs de la Bande de
Gaza, mais… ». Voila la phrase qui resume le sentiment dominant a Gaza. Le
« mais » renvoie aux soupcons quant aux motivations du premier ministre Ariel
Sharon, et aux plans qui se cachent derriere ses declarations.
« Il faut voir le depart des colons juifs de Gaza (pas tous, d’apres les
informations en provenance d’Israel) dans le contexte d’un plan d’Ariel
Sharon, ancien et coherent », dit Jamal Zakout, qui a participe activement au
pacte de Geneve, qui declare en meme temps que personne ne prendra le deuil
si « les 5.000 colons israeliens, qui pendant tant d’annees ont rendu la vie
impossible a 1.250.000 personnes, quittent enfin nos terres ».

Pour Jamal Zakout, le plan de Sharon a pour objectif d’eliminer toute
direction palestinienne centralisee : « c’est a dire de faire echouer le
projet national palestinien qui revendique independance et souverainete,
plan fonde sur une position politique claire par rapport aux solutions a
apporter au conflit. Sharon ne s’interesse pas a une direction palestinienne
qui ait un plan de paix rationnel avec Israel et qui soit capable de mettre
ce plan en oeuvre ».

Bien que Zakout appartienne a un petit parti politique (la FIDA, Union
Democratique Palestinienne, parti de gauche qui, au debut des annees 90, a
scissionne du FDLP avec son leader, Yasser Abed Rabbo, et qui, depuis,
participe a l’Autorite palestinienne), il exprime la l’opinion de nombreux
Palestiniens, de Gaza comme de Cisjordanie, sur le depart d’Israel de Gaza.

Les soupcons relatifs aux intentions de Sharon n’empechent pas les gens de
discuter de sa declaration a chaque occasion. Comme en Israel, on se demande
a Gaza dans quelle mesure le plan est lie a l’enquete de la police
concernant une possible corruption de la famille Sharon. En tout cas, dit
Zakout, « Sharon a deja reussi. Au lieu de discuter des scandales lies a son
comportement corrompu, la presse parle de l’evacuation de Gaza, et d’un
referendum. » Pour Zakout, Sharon a aussi reussi a « semer la confusion dans
l’opinion publique internationale : tout d’abord, il la manipule par la
publication de son plan, faisant ainsi oublier la cloture de securite et la
segregation qu’il est en train de construire en Cisjordanie. Il est clair
que Sharon veut renforcer son image a la veille des deliberations de la Cour
internationale de Justice de La Haye sur la cloture. Et il est probable que
Kofi Annan, le secretaire general des Nations Unies, lui parlera et trouvera
dans son plan des aspects positifs ».

A Gaza, on a du mal a se souvenir si l’Autorite palestinienne a pris
officiellement position. Quelqu’un croit avoir entendu Yasser Arafat dire
que le plan est contraire a la feuille de route, un autre jure avoir entendu
Ahmed Qorei s’en feliciter, puis emettre certains soupcons. De toutes
facons, on prefere a Gaza suivre les details du plan Sharon tels qu’ils sont
reveles heure par heure par les medias israeliens, et ce qu’on en dit en
Israel.
Deux details, rapportes peu de temps apres la declaration de Sharon sur
l’evacuation de colons juifs de la Bande de Gaza, font naitre les soupcons
sur les plans du premier ministre : le transfert des colons de Gaza vers des
colonies de Cisjordanie, et le fait que trois colonies resteraient en place
au nord de la Bande de Gaza, la ou la population est particulierement dense
et a beson de tout bout de terrain disponible. « Sharon a l’intention de
creer un ghetto dans la Bande de Gaza, et des containers en Cisjordanie : le
container de Ramallah, le container de Hebron, le container de Naplouse,
etc. », dit Zakout. Le grand danger, craint Zakout, est que derriere ce plan,
il n’y ait un accord americain, c’est a dire que l’administration de George
Bush ait deja donne son feu vert a l’application de ce plan, ou qu’elle le
donne bientot.

« Une sortie d’Israel des colonies de la Bande de Gaza est une facon de
renforcer le projet de colonisation de Sharon, d’une maniere nouvelle », dit
Zakout. « Il est vrai que cela constitue indirectement un aveu d’echec du
projet de colonisation a Gaza, mais Sharon pourra dire que maintenant, les
Palestiniens ont un Etat, a Gaza. Le processus d’agrandissement des colonies
en Cisjordanie est toujours aussi energique. Avec la cloture de separation a
l’ouest, et celle a l’est qui coupera la vallee du Jourdain du reste de la
Cisjordanie, Sharon va annexer a Israel environ la moitie des terres
palestiniennes, et prouvera au monde qu’il n’y pas de dirigeant palestinien
a qui parler. Car il faut dire qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura pas de
dirigeant palestinien partenaire du plan Sharon ».

Sur ce point, il y a ceux qui pensent que Zakout se trompe. Le caractere
vague du plan de Sharon constitue un terreau fertile pour les soupcons entre
Palestiniens, surtout dans une periode particulierement violente comme
aujourd’hui (ce n’est pas la premiere) qui caracterise la lutte pour le
pouvoir au sein du Fatah. Les luttes internes au Fatah sont accompagnees
d’accusations mutuelles de « traitrise », de tous les cotes. Il se dit, par
exemple, que les partisans de Mohamed Dahlan ont attaque le QG de la police
palestinienne commande par Razi Jabali, parce que ce dernier avait « insulte
Dahlan »., c’est a dire qu’il avait declare que Dahlan etait partie prenante
dans toutes sortes de complots americano-israeliens. Au cours de la
bataille, un jeune policier est mort et d’autres ont ete blesses.

D’apres certaines sources a Gaza, Dahlan, personnalite reconnue par les
Americains, aurait participe a des discussions avec eux sur l’eventualite de
faire intervenir une force de protection internationale dans la region.
Certains rapprochent cela de la rumeur selon laquelle Richard Cheney et
Donald Rumsfeld auraient deja donne le feu vert au plan « sortie de Gaza » de
Sharon. Et ils se souviennent encore des plans de Sharon de creer de toutes
pieces des federations de villages, ou d’installer un regime pro-israelien
au Liban. Et ils se souviennent aussi de la periode d’Oslo, quand des
officiels palestiniens importants se sont surtout preoccupes de leur
enrichissement personnel.

Tous ces faits et toutes ces rumeurs alimentent les soupcons et les
hypotheses qui disent que Sharon cherchera, et trouvera, des barons
palestiniens locaux, chacun en charge d’une des enclaves que creera son
plan, qui pourront faire prosperer leurs interets personnels.

Zakout ne partage pas ces soupcons, ne serait-ce que parce qu’il est
convaincu que l’opinion publique palestinienne dans sa totalite s’opposera
au plan Sharon. Les activistes armes des differentes organisations se
prevalent deja du fait que le plan « sortie de Gaza » est le resultat direct
de la pression incessante qu’ils exercent sur l’armee israelienne, et a
travers elle sur la societe israelienne.

« Se retirer seulement de Gaza, et pas dans le cadre d’un retrait de tous les
territoires occupes en 1967, n’entrainera pas la fin du conflit », dit
Zakout. « Les Israeliens ne doivent pas se faire d’illusions, et laisser
Sharon les egarer. Au contraire, cela ne fera que renforcer les idees
extremistes dans la societe palestinienne, et ramenera le discours politique
palestinien et les deux peuples aux schemas du passe », dit-il.

« Au bout du compte, le plan de retrait partiel de Sharon, pour faire echouer
l’independance palestinienne, represente un danger pour le peuple israelien.
Israel passera d’une phase de colonialisme a une phase de
colonialisme/apartheid. La paix avec les Palestiniens permettra a Israel
d’etre accueilli dans la region. Mais la continuation du conflit, en oberant
les chances a court terme d’un Etat independant, mettra en danger
l’existence d’Israel, a moyen et a long terme ».