La leçon à tirer de l’apparente victoire de la réélection de Benjamin Netanyahu est simple et connue depuis longtemps. Frederick Douglass1 l’exprimait il y a 162 ans : « Le pouvoir ne cède rien qui ne soit exigé ».


Traduction : Bernard Bohbot

Révision, chapô et notes :   Yvette Métral pour LPM

Photo Élections en Israël : le comité électoral confirme la victoire de Netanyahu – © THOMAS COEX – AFP

The Forward, 10 avril 2019 – The Lesson Of Netanyahu’s Victory: Israel Will Not Change Without Pressure – https://forward.com/opinion/israel/422343/the-lesson-of-netanyahus-victory-israel-will-not-change-without-pressure/


Depuis une décennie déjà, les commentateurs déplorent la disparition de la gauche israélienne. Ils ont attribué son déclin à l’augmentation de la population orthodoxe. Ils l’ont attribué à l’héritage de la deuxième Intifada, qui a traumatisé et aigri les Juifs israéliens. Mais il y a une explication plus fondamentale: la gauche veut qu’Israël change de cap. Elle veut créer un État palestinien en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, ce qui nécessiterait le déracinement d’environ cent mille colons. Pour Israël, qui resserre de plus en plus son emprise sur la Cisjordanie depuis plus de cinquante ans, cela constituerait un changement radical. Yitzhak Rabin a été assassiné pour avoir simplement lancé un processus de paix avec l’OLP même sans avoir promu l’idée d’un État palestinien. Toute tentative sérieuse d’Israël d’en négocier un déclencherait les protestations massives de la droite favorable aux colons. Les unités de l’armée pourraient refuser d’évacuer les colons. Il y aurait de nouvelles menaces d’assassinat politique. Les experts s’interrogeraient sur le risque de guerre civile. Et un État palestinien lui-même créerait des risques imprévisibles.

En règle générale, les gens ne choisissent pas un changement douloureux et convulsif quand ils sont à l’aise avec le statu quo. Et, comme Noam Sheizaf2 l’a longtemps soutenu, les Juifs israéliens se sentent à l’aise. Certes, il y a parfois des tirs de roquettes depuis Gaza, mais Israël a assez bien dissuadé le Hamas. Certes, il y a parfois des attaques terroristes en provenance de la Cisjordanie, mais en partenariat avec l’Autorité palestinienne, Israël les maintient au minimum. L’économie israélienne est forte. Et Israël est de plus en plus accepté – et non le contraire –  sur la scène mondiale. Dans ces conditions, il était tout à fait prévisible que, lors des élections de cette année, ni Netanyahu ni son principal concurrent, Benny Gantz ne soutiendraient la création d’un État palestinien.

Barack Obama avait prédit cela. Au début de sa présidence, Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines, a tenté de convaincre Obama que le meilleur moyen d’amener Israël à négocier un État palestinien serait de soutenir son gouvernement de manière inconditionnelle. « Si vous voulez qu’Israël prenne des risques« , a déclaré Hoenlein, « alors ses dirigeants doivent savoir que les États-Unis sont à leurs côtés« . Obama a déclaré son désaccord : « Quand les choses ne sont pas claires [entre les deux gouvernements] », a-t-il répondu », Israël ne fait que se tenir sur la touche. »

La dernière décennie a prouvé qu’Obama avait raison. Lorsque Obama a fait pression  sur lui en 2009, Netanyahu – opposant de longue date à la création d’un État palestinien et défenseur du mouvement des colons – a changé de cap et approuvé le principe d’un État palestinien, tout en instituant un gel partiel de la construction dans les colonies de peuplement. Mais lorsque la pression américaine s’est relâchée – en grande partie parce que le Congrès ne l’a pas maintenue – la croissance des colonies a repris et Netanyahu a réaffirmé son opposition à un État palestinien. A présent que Donald Trump est au pouvoir et que toutes les pressions américaines sur Israël ont été levées, le soutien à un État palestinien a pratiquement disparu du courant politique israélien.

Ce soutien ne réapparaîtra pas aussi longtemps que les Juifs israéliens accepteront que des millions de Palestiniens leur soient assujettis. Premièrement, les Palestiniens doivent cesser de servir d’agents de leur propre oppression. À l’heure actuelle, l’Autorité palestinienne est le sous-traitant israélien en Cisjordanie : elle collecte les ordures ; elle dirige les écoles ; elle réprime la dissidence à la fois contre elle-même et contre Israël. Lorsque cela changera – lorsque l’Autorité palestinienne se séparera et cessera de faire le sale boulot d’Israël – les Juifs israéliens se sentiront mal à l’aise parce qu’ils seront forcés de choisir entre le chaos en Cisjordanie, qui pourrait menacer la sécurité israélienne, et l’occupation directe de la Cisjordanie, ce qui obligerait chaque Israélien âgé de 19 ans à patrouiller toutes les villes et villages palestiniens.

C’est le choix que les Palestiniens ont forcé Israël à faire lors de la Première Intifada. Depuis 1967, pendant deux décennies, Israël contrôlait la Cisjordanie à moindre coût. Mais lorsque les Palestiniens se sont soulevés à la fin des années 80, le prix de ce contrôle a augmenté de façon spectaculaire, ce qui a amené Rabin à soutenir le processus de paix d’Oslo. Lorsque les Palestiniens se soulèveront à nouveau – espérons-le de manière non violente, comme ils le firent surtout lors de la Première Intifada – et augmenteront à nouveau le coût de l’occupation, la politique israélienne changera une nouvelle fois.

Deuxièmement, les États-Unis doivent cesser de rendre l’occupation facile. L’establishment juif américain – qui s’emploie à faire en sorte qu’Israël puisse maltraiter les Palestiniens en toute impunité – aime à affirmer que, parce qu’Israël est une démocratie, l’Amérique doit subventionner son comportement. Mais la politique israélienne envers les Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza a autant de légitimité démocratique que la politique du Mississippi envers les Afro-Américains de Jim Crow. Vous ne pouvez pas prétendre à la légitimité démocratique de politiques qui perpétuent votre contrôle sur les personnes qui n’ont pas le droit de voter pour le gouvernement qui domine leur vie.   Beto O’Rourke3 a qualifié Benjamin Netanyahu de «raciste» la semaine dernière. C’est vrai, mais insuffisant. Le plus gros problème n’est pas que Netanyahu soit personnellement raciste. Il est raciste de maintenir des systèmes juridiques distincts pour les Juifs et les Palestiniens – comme le fait Israël en Cisjordanie. Permettre aux Juifs, mais pas aux Palestiniens, de bénéficier des droits civiques, de la libre circulation, de la citoyenneté et du droit de voter pour le gouvernement qui contrôle leur vie – tout cela est raciste. Et un candidat démocrate à la présidence doit faire preuve de courage pour exiger que les États-Unis cessent de financer ce racisme à hauteur de près de 4 milliards de dollars par an. Oui, Israël a en matière de sécurité de réels besoins qui méritent le soutien des États-Unis. Mais les États-Unis ont parfaitement le droit – en fait, ils ont l’obligation – de subordonner leur aide aux initiatives israéliennes visant à démanteler le système de racisme institutionnalisé mis en place en Cisjordanie. Cela pourrait commencer par la fin de la croissance des colonies et par un engagement public israélien de négocier un État palestinien viable. Lorsqu’un candidat démocrate le dira, le débat à l’intérieur du Parti changera pour toujours. La plupart des politiciens démocrates et des experts libéraux savent déjà que subventionner l’oppression israélienne est une mauvaise chose. Ils ont juste besoin de la permission pour le dire. Lorsque les démocrates s’accorderont cette permission – et reprendront le pouvoir – les Juifs israéliens se rendront compte que l’occupation menace leurs relations avec les États-Unis. Cela les gênera et la politique israélienne changera.   Je souhaite qu’il y ait un autre moyen. Je souhaite que mes frères dans l’État juif soient des créatures angéliques dont la seule conscience pourrait les amener à cesser d’opprimer des millions d’autres êtres humains. Mais la Haggadah que nous lirons plus tard ce mois-ci réaffirme ce que Frederick Douglass a enseigné : Le monde ne fonctionne pas de cette façon. Le pouvoir ne concède rien qui ne soit exigé. J’espère que cette exigence sera faite de manière non violente et avec amour. Mais pour les démocrates qui se présentent à la présidence – et pour les personnes qui les choisissent -, la leçon des élections israéliennes de cette semaine est claire : l’exigence doit venir maintenant.

1 Frederick Douglass, né Frederick Augustus Washington Bailey en 1817 ou 1818, et mort le 20 février 1895 à Washington DC, est un orateur, abolitionniste, éditeur et fonctionnaire américain. Né esclave, il réussit à s’instruire et s’enfuir.

2 Noam Sheizaf est un journaliste israélien qui vit à Tel Aviv. Son blog paraît dans +972 Magazine.

3 Robert Francis O’Rourke, dit Beto O’Rourke, né le 26 septembre 1972 à El Paso, est un homme politique américain. Membre du Parti démocrate, il est élu du Texas à la Chambre des représentants des États-Unis de 2013 à 2019.

 

 

L’auteur : Peter Beinart est chroniqueur au Forward and Professeur de Journalisme et de Science Politique à la City University de New York. Il écrit aussi pour The Atlantic et est commentateur politique sur  CNN. Les points de vue et opinions exprimés par Peter Beinart dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux du Forward.