Traduction, Chapô & Notes, Tal Aronzon pour LPM

Photo : Au-delà de la Ligne verte ©gettyimages [DR].

The Forward, le 26 février 2018

https://forward.com/scribe/395245/the-israeli-settlement-movement-is-failing/


Shaul Ariéli, dont nous avons souvent publié les textes et prises de position, tente ici une fois encore de remettre les pendules à l’heure. 

Analyste des évolutions démographiques et fin connaisseur, de par sa carrière militaire, des problèmes de frontière et de sécurité, ce partisan de la solution à 2 États démonte à l’occasion de la publication par Yaakov Katz, chef du mouvement pro-colonisation, de son annuaire statistique 2017, la rhétorique — pour ne pas dire la propagande – qui y paraît.

La situation, démontre-t-il chiffres à l’appui, est loin d’être désespérée : un État palestinien aux côtés d’Israël avec Jérusalem-Est pour capitale, seule solution viable pour les deux peuples, est en bonne voie… 


La Tribune de Shaul Ariéli

Plus tôt dans la semaine, Yaakov Katz, le chef du mouvement pro-colonisation, se vantait auprès de l’Associated Press de la croissance de la population des colons en Cisjordanie, illustrant la vieille maxime « nous croyons en Dieu, tous les autres doivent apporter des preuves ».

Katz donne des statistiques — mais celles-ci n’ont rien de crédible. Contrairement à ses allégations, les données réelles montrent que l’entreprise de colonisation a échoué à atteindre son objectif principal, qui était d’empêcher la fondation d’un État palestinien en posant matériellement des faits irréversibles sur le terrain.

Dans la mesure où cela s’avère primordial pour l’avenir d’Israël, il importe de tordre le cou aux fausses allégations du mouvement pro-colonisation — et de remplir les vides que Katz a délibérément laissés. Les données utilisées par Katz dans son annuaire statistique 2017 concernant la démographie juive en Cisjordanie proviennent des registres d’état-civil israéliens ; elles sont de loin moins précises que celles du Bureau central de statistiques [1]. En 2016, par exemple, selon le Bureau central de statistiques il y avait 399 000 Israéliens en Judée et Samarie [2], tandis que d’après les registres d’état-civil ce nombre était de 421 000.

Si Katz a raison quant à une croissance annuelle de la population des colons dans les territoires occupés plus grande, en effet, que celle de la population en Israël même, il néglige de mentionner que la courbe  correspondante durant les vingt dernières années affiche elle un déclin constant. En 1996, le taux de croissance annuelle était de 10,3% ; en 2016, il était tombé à 3,4%.

En outre, l’origine de cette croissance s’est inversée durant ces mêmes vingt années. En 1996, 2/3 des nouveaux habitants des implantations venaient d’Israël intra-muros [3], cependant qu’un tiers de cette augmentation était dû à la croissance naturelle. À l’heure actuelle, l’émigration n’est responsable que de 20% de la croissance — et en 2016, ce taux a chuté jusqu’au très bas seuil de 14%.

Les Israéliens votent avec leurs pieds, et ils sont franchement moins enthousiastes [qu’auparavant] à l’idée d’emménager en Cisjordanie. L’origine d’environ la moitié de la croissance naturelle (43%) est à chercher dans deux cités ultra-orthodoxes, Modi’in Illith et Beitar Illith, dont les populations constituent plus de 30% de la population juive en Judée et Samarie. Ces villes et leurs résidents ne s’identifient pas à “l’entreprise de colonisation” ; ni à son projet politique de blocage de la création d’un État palestinien et de domination permanente de la Cisjordanie entière. À l’exception de cette croissance naturelle dans le secteur ultra-orthodoxe, le taux de croissance annuel des Israéliens en Cisjordanie s’est notablement effondré.

Quelques implantations voient de fait leurs résidents décroître en conséquence d’une migration négative [4] non compensée par la croissance naturelle. Les autres grandissent moins vite que la moyenne annuelle israélienne. La plupart perdent aussi du terrain sur le plan socio-économique si l’on en croit l’index publié par le Bureau central de statistiques. En réalité, les deux plus vastes cités ultra-orthodoxes se classent [en termes de niveau de vie] au degré le plus bas des 255 municipalités israéliennes.

La grande majorité de la population des colons se débat économiquement, comptant sur de grasses subventions publiques pour s’en sortir. Les implantations n’ont pas fait la preuve de leur indépendance économique ou de leur réussite. Surtout, la moitié d’entre elles sont peuplées par moins de 1 000 individus, et 15 seulement par plus de 5 000 personnes. 60% de la main-d’œuvre israélienne en Cisjordanie se rend chaque jour en Israël pour y travailler. La majorité du reste est employée par les autorités locales ou le ministère de l’Éducation. S’il leur fallait évacuer leur collectivité actuelle dans le cadre d’un accord de paix, la plupart ne perdraient pas leur travail.

On ne trouve toujours pas d’industrie importante en Cisjordanie, et le peu qu’il y a emploie une main-d’œuvre presque entièrement palestinienne. La même chose vaut pour l’agriculture israélienne infime existant dans la vallée du Jourdain.

La quasi-totalité des implantations plus vastes borde la Ligne verte ou est adjacente à Jérusalem. Par le fait, il n’y a aucun dispositif significatif de colonies juives s’enfonçant profondément en Cisjordanie. En définitive, les grandes implantations regardent vers l’ouest et se reposent pleinement sur ce lien.

Malgré des décennies d’efforts, le mouvement pro-colonisation a échoué à s’ancrer vraiment en Cisjordanie. Les Palestiniens composent toujours 82% de la population en Cisjordanie (sans compter Jérusalem-Est). Il demeure impossible d’annexer la Cisjordanie sans nuire à la majorité juive de l’État d’Israël [5] et à l’idéal sioniste d’une patrie démocratique pour le peuple juif [6].

Contrairement aux assertions de Katz, les statistiques montrent que son mouvement n’a pas créé les conditions démographiques ou matérielles nécessaires afin d’empêcher la fondation d’un État palestinien. Il reste possible d’établir une frontière israélo-palestinienne, avec de minimes échanges de terre [7] permettant à la grande majorité des Palestiniens comme des Israéliens qui vivent au-delà de la Ligne verte d’y rester.

L’obstacle à une solution pacifique à 2 États n’est ni Yaakov Katz, ni les statistiques. C’est l’absence permanente de direction politique et d’idéal de l’actuel gouvernement israélien.


Notes 

[1] Le Bureau central de statistiques publie tous les quatre ans, comme ici l’Insee, les données recensées de la population israélienne ; dans l’intervalle, les données sont actualisées année par année à partir des  registres d’état-civil — forcément imprécis quant aux allées et venues de la population.

[2] “Judée et Samarie”, l’appellation contrôlée reprenant la terminologie biblique pour les deux régions de la Cisjordanie sud et nord.

[3] “Israël intra-muros”, ou plus précisément intra-Ligne verte.

[4] “Migration négative” : la locution désigne le départ de Cisjordanie pour repasser au-delà de la Ligne verte.

[5] “Majorité juive de l’État d’Israël” : Le débat fait rage en Israël, avec en particulier diverses propositions telles que celles d’Avigdor Lieberman visant à la préserver par des transferts de territoires ou de populations arabes d’Israël en Cisjordanie, voire plus loin.

[6] Ariéli évoque ici l’État “juif et démocratique” envisagé par les fondateurs du sionisme naissant et définissant Israël depuis l’Indépendance.

[7] Échanges équitables de terres, acre pour acre, afin de compenser l’acquisition des grands blocs d’implantation — situés par exemple au Goush Etzion — dans le cadre d’un accord de paix israélo-palestinien basé sur la solution à 2 États.


L’Auteur

Écrivain, journaliste et chercheur sur le conflit israélo-palestinien, le colonel Shaul Ariéli a préparé les négociations avec la direction palestinienne en tant que responsable des accords d’intérim nommé par Rabin. En retraite depuis 2001, il est est l’un des pères de l’Initiative de Genève (2003). Auteur de tribunes publiées dans le Ha’Aretz, le Forward et bien d’autres en Israël ou à l’étranger, ses analyses font autorité en matière de frontières, d’économie et de statistique..