Numero 11, 4 avril 2003.

En direct de Jérusalem, interview de SIMH’A EPSTEIN, chercheur à l’Institut international de recherches sur l’antisémitisme de l’Université de Jérusalem. Dernier ouvrage paru :  » Les dreyfusards sous l’occupation « , Albin Michel.

Q. Les recents actes antisémites procèdent-ils d’une nouvelle forme
d’antisémitisme par rapport aux catégories classiques ?

R. Sous certains aspects, il ne s’agit pas d’un phenomene nouveau : la
notion de vague de violence contre les Juifs est une notion classique.
Depuis 1945, en France et dans le monde, on a enregistré quatre vagues
de ce type. Et celle a laquelle nous assistons est la quatrième . C’est aussi
la plus forte. Par contre, il y a bien une nouveauté : c’est l’origine culturelle ou religieuse des auteurs d’agressions. Nous assistons pour la première fois en France a une vague antisémite d’inspiration islamiste, dont les acteurs sont
souvent de première et même deuxième génération vivant en France. Il y a un
autre aspect qui est nouveau : c’est l’étendue des violences dans les écoles.

Q. S’agit-il d’un phénomène européen ou plus specifiquement français ?

R. Le phénomène est européen et même mondial, mais il y a bien une
spécificité francaise. Comparativement par exemple à ce qui se passe en
Allemagne ou en Angleterre, l’intensité et la frequence des actes antisémites y sont plus fortes. C’est probablement lié au fait qu’en France, on observe une convergence entre un facteur religieux -l’islamisme- et nationaliste -l’identification aux Palestiniens. On ne retrouve pas cette convergence en Allemagne en Angleterre, ou respectivement les communautés turque ou pakistanaise ne montrent pas un tel degré d’identification aux Palestiniens. Ce qui explique la moindre intensité de la vague antisémite.

Q .Cet antisémitisme est-il donc principalement lié au conflit israélo-palestinien ?

R. Pas uniquement. C’est un phénomène qui est lié aussi à une problématique sociale. On y décèle également des données traditionnelles telles que la
diabolisation des Juifs ou l’identification des Juifs avec l’argent ou le pouvoir.

Q. Selon vous, ce phénomène est-il durable ? passager ? que réserve l’avenir?

R. L’antisémitisme est un phénomène cyclique et éruptif. Nous sommes
actuellement dans une phase d’éruption, elle sera suivie dans les 2 ou3
ans qui viennent d’une décrue, peut-etre même une periode de rémission. Mais
cette décrue sera elle-même suivie d’une nouvelle éruption. Or, on observe
que depuis 1945, les diverses éruptions montrent une intensité croissante.
Chaque vague enregistrée a été plus importante que la précédente. Il faudra
donc s’attendre probablement à d’autres crises -pas nécessairement
catastrophiques ou apocalyptiques- mais d’intensité encore plus élevée.

Q. Ce cycle est-il donc sans fin ? perpétuel ?

R. De mon point de vue, l’antisemitisme est un phénomène perpétuel et
inéluctable, même s’ il n’apparaît pas de manière linéaire, mais plutôt
éruptive. C’est pourquoi je suis absolument net et catégorique : on
peut certes combattre l’antisémitisme quand il est a un bas niveau. Mais au
delà d’un certain niveau de violence, on ne peut pas le combattre, on ne
peut que faire semblant de le combattre. Je réitère donc le message sioniste
traditionnel, tel qu’il a ete formulé depuis 100 ans ou 120 ans. Il n’y a pas vraiment de solution à ce problème en diaspora.