Huffington Post , 26 janvier 2009

[->http://www.huffingtonpost.com/2009/01/26/obama-al-arabiya-intervie_n_161127.html]

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’interview est réalisée par Hisham Melhem (Al-Arabiya), dans la salle des cartes de la Maison-Blanche

Q. M. le Président, merci pour l’occasion que vous nous offrez, nous apprécions réellement.

Barack Obama : Merci beaucoup à vous.

Q. Monsieur, vous venez de rencontrer votre émissaire spécial au Moyen-Orient, le Sénateur Mitchell. Il semble que sa première tâche soit de consolider le cessez-le-feu. Mais, au delà, vous avez déclaré rechercher activement et agressivement la paix entre Palestiniens et Israéliens. Dites-nous un peu comment vous concevez votre rôle personnel. Vous le savez, si le Président des Etats-Unis ne s’implique pas, rien ne se passe, comme le démontre l’histoire des accords de paix. Comptez-vous proposer, lancer des propositions, des paramètres, comme l’a fait l’un de vos prédécesseurs [allusion à Bill Clinton, ndt] ? Ou vous contenterez-vous d’exhorter les parties à venir avec leurs propres solutions, comme l’a fait votre prédécesseur immédiat [Bush, ndt] ?

B.O : Je pense que le plus important pour les Etats-Unis est de s’engager immédiatement. Et George Mitchell est quelqu’un d’une stature exceptionnelle. Il est l’une des rares personnes à avoir une expérience internationale de médiation qui a abouti à un accord de paix [Irlande du Nord, ndt]. Je lui ai dit de commencer par écouter, parce que, trop souvent, les Etats-Unis ont commencé par dicter (par le passé, sur certaines de ces questions), alors que nous n’en connaissons pas toujours tous les facteurs. Alors, écoutons. Il [Mitchell] va parler aux principales parties impliquées. Puis il me fera part de ses conversations. A partir de là, nous formulerons une réaction précise.
Au bout du compte, il nous est impossible de dire aux Israéliens et aux Palestiniens ce qui est le mieux pour eux. Ils devront prendre un certain nombre de décisions. Mais ce que je crois, c’est que le moment est mûr pour que les deux parties se rendent compte que la voie qu’elles ont choisie ne va apporter à leurs peuples ni prospérité, ni sécurité. Il est donc temps de retourner à la table des négociations.
Et cela va être difficile, cela va prendre du temps. Je ne souhaite pas avoir d’idées préconçues sur beaucoup de ces questions, et je souhaite m’assurer que nous ne soulevons pas des espoirs qui porteraient à croire que cela va se résoudre en quelques mois. Mais, si nous commençons à progresser avec constance, je crois fermement que les Etats-Unis (en oeuvrant de concert avec l’Union européenne, la Russie et les Etats arabes de la région) sont capables de faire d’importants progrès.

Q. En substance, vous avez dit que ces questions, tel le problème israélo-palestinien, devaient être considérées dans une approche globale de la région. Devons-nous nous attendre à un paradigme différent, au sens où, dans le passé, l’une des critiques adressées aux Etats-Unis, du moins du côté arabo-musulman, était que tout ce qui avait été testé l’avait toujours été pour voir si cela fonctionnait du seul côté israélien ? Aujourd’hui, nous avons un plan de paix arabe qui concerne toute la région. Et vous-même l’avez indiqué. Assistons-nous à un changement de doctrine ?

B.O. Ici, je pense que c’est très important. Considérez la proposition avancée par le roi Abdallah d’Arabie saoudite.

Q. Exact.

B.O. Je peux ne pas être d’accord avec chacun des aspects de cette proposition, mais il a fallu beaucoup de courage…

Q. Absolument

B.O. … pour avancer quelque chose d’aussi important. Je crois que, partout dans la région, il y a des idées pour parvenir à la paix.
Je pense réellement qu’il nous est impossible de réfléchir uniquement en termes de conflit israélo-palestinien, sans tenir compte de ce qui se passe en Syrie, en Iran, au Liban, en Afghanistan ou au Pakistan. Tout cela est lié. Et ce que j’ai dit, et je crois qu’Hillary Clinton l’a exprimé lors de sa nomination, c’est que si nous considérons la région dans son ensemble, et si nous envoyons un message au monde arabe et musulman qui dit que nous sommes prêts à lancer un nouveau partenariat fondé sur le respect et les intérêts mutuels, alors je pense que nous pouvons faire d’importants progrès.
Cela dit, Israël est un allié fort des Etats-Unis, et cela ne s’arrêtera pas. Et je continuerai de croire que la sécurité d’Israël est d’une importance capitale. Mais je crois aussi qu’il y a des Israéliens qui reconnaissent qu’il est important de parvenir à la paix. Ils seront prêts à faire des sacrifices si le moment est approprié et s’il y a un partenaire sérieux de l’autre côté.
Ce que nous voulons donc, c’est écouter, mettre de côté certaines idées préconçues qui ont existé et se sont renforcées ces dernières années. Et je crois que, si nous faisons cela, alors il y a au moins une possibilité d’effectuer une percée.

Q. Avant d’aborder le monde arabe de façon générale, une dernière question à propos du théâtre palestino-israélien. De nombreux Palestiniens et Israéliens sont frustrés par leur situation actuelle et ils sont en train de perdre espoir. Ils ont perdu toute illusion et pensent que le temps de la solution à deux Etats est compté, essentiellement à cause de la colonisation dans les territoires palestiniens occupés. Sera-t-il possible de voir un Etat palestinien (vous en connaissez les contours) au cours de votre premier mandat ?

B.O. Je pense qu’ il est possible (je ne vais pas fixer de calendrier) de voir naître un Etat palestinien ayant une continuité géographique, qui permette à ses citoyens la liberté de circuler, qui permette de commercer avec d’autres pays, qui permettre la création d’entreprises et de commerces, afin que les gens aient une vie meilleure.
Vous savez, je pense que quiconque a étudié cette région reconnaît que la situation du Palestinien moyen, dans la plupart des cas, ne s’est pas améliorée. L’important, au fond, est qu’avec toutes ces négociations, tous ces pourparlers, est-ce qu’un enfant des territoires palestiniens va s’en trouver mieux ? A-t-il un avenir pour lui-même ? Et un enfant en Israël va-t-il se sentir plus en sécurité, plus en confiance ? Et si nous gardons le cap qui consiste à rendre la vie meilleure et à regarder en avant, et non pas seulement tous les conflits, toutes les tragédies du passé, alors, je pense que nous avons une chance d’avancer réellement.
Mais cela ne sera pas facile. C’est la raison pour laquelle George Mitchell se rend dans la région. Il est doué d’une patience et d’une habileté extraordinaires, cela va être nécessaire.

Q. Absolument. Considérons maintenant la région au sens large. Vous comptez vous adresser au monde musulman depuis une capitale musulmane dans les cent premiers jours de votre mandat. Tout le monde se demande de quelle capitale il s’agit (rires). Si vous aviez des précisions, ce serait très bien. Et êtes-vous inquiet ? Parce que, franchement, quand je vois certaines choses sur l’Amérique – dans certaines parties du monde, je ne veux pas exagérer – il y a une diabolisation de l’Amérique.

B.O. Absolument

Q. C’est devenu une sorte de nouvelle religion, qui a ses propres convertis et ses propres prêtres.

B.O. Exact.

Q. Il n’y a plus que le texte religieux.

B.O. Tout à fait.

Q. Traditionnellement (depuis le 11 septembre et à cause de l’Irak, l’aliénation est grande entre le monde arabe et les Américains), et pendant des générations, les Etats-Unis jouissaient d’un certain prestige, étant la seule puissance occidentale sans héritage colonial.

B.O. C’est vrai

Q. (…) Parce que les gens sentent que vous tenez un discours politique différent. Et je pense, à en juger par (inaudible), Zawahiri et Ben Laden et tous ceux-là, vous savez, comme en chœur …

B.O. Oui, j’ai remarqué. Ils semblent nerveux.

Q. Très nerveux, exactement. Alors, dites-moi pourquoi ils devraient se sentir encore plus nerveux.

B.O. Eh bien, je pense que quand on considère la rhétorique qu’ils utilisent avant même ma prise de fonction …

Q. Je sais, je sais.

B.O. C’est ce qui me dit que leurs idées ont fait faillite. Aucune de leurs actions n’a donné à un enfant musulman une meilleure éducation, ou de meilleurs soins.
Dans mon discours d’investiture, j’ai parlé de cela : on sera jugé sur ce que l’on aura construit et non sur ce que l’on aura détruit. Tout ce qu’ils ont fait, c’est détruire des choses. Sur le long terme, je pense que le monde musulman a pris conscience que cette voie ne menait nulle part, sinon à davantage de mort et de destruction.
Aujourd’hui, mon travail consiste à dire que les Etats-Unis ont un rôle à jouer dans le bien-être du monde musulman, que le langage que nous utilisons doit être celui du respect. J’ai des membres de ma famille qui sont musulmans. J’ai vécu dans des pays musulmans.

Q. Le plus grand.

B.O. Le plus grand, l’Indonésie. Je souhaite donc transmettre le fait que, au cours de tous mes voyages de par le monde musulman, j’en suis arrivé à comprendre que peu importe leur foi (et l’Amérique est un pays de musulmans, juifs, chrétiens, non-croyants), peu importe leur foi, les gens ont tous en commun des espérances et des rêves.
Et mon travail est de faire savoir au peuple américain que le monde musulman est empli de gens extraordinaires qui veulent simplement vivre leur vie et voir leurs enfants mener une vie meilleure. Mon travail auprès du monde musulman est de faire savoir que les Américains ne sont pas vos ennemis. Nous avons parfois commis des erreurs. Nous n’avons pas été parfaits. Mais si vous considérez l’histoire, comme vous le dites, l’Amérique n’est pas née en tant que puissance coloniale, et il n’y a aucune raison de ne pas restaurer la relation de respect et de partenariat qui régnait avec le monde musulman il y a encore 20 ou 30 ans. Je pense que cela sera une tâche extrêmement importante.
Mais, au bout du compte, les gens me jugeront sur mes actes et sur ceux de mon administration, et non sur mes paroles. Et je pense que ce que vous allez voir au cours des prochaines années, c’est que je ne vais peut-être pas être d’accord avec ce que tel ou tel dirigeant musulman dira, ni avec ce qui sera dit sur une chaîne de télévision arabe, mais je crois que ce que vous verrez, c’est quelqu’un qui écoute, qui est respectueux et qui essaie de promouvoir, non seulement les intérêts des Etats-Unis, mais aussi ceux des gens ordinaires qui, en ce moment même, souffrent de la pauvreté et d’un avenir bouché. Je veux m’assurer que je m’adresse à eux aussi.

Q. Dites-moi, il nous reste peu de temps, y a-t-il une décision prise concernant le prochain pays musulman auquel vous allez rendre visite ?

B.O. Là, je ne vais pas vous donner de scoop.

Q. L’Afghanistan ?

B.O. Peut-être la fois d’après. Mais je veux dire quelque chose d’important. Je veux que les gens sachent que nous préparons une série d’initiatives. L’envoi de George Mitchell au Moyen-Orient est l’écho d’une promesse faite au cours de ma campagne : nous n’attendrons pas la fin de mon administration pour nous occuper de la paix entre Palestiniens et Israéliens. C’est dès maintenant que nous commençons. Cela peut prendre du temps, mais nous allons le faire dès maintenant. Nous allons respecter notre engagement : je m’adresserai au monde musulman depuis une capitale musulmane. Nous allons respecter nos engagements et effectuer un travail plus efficace pour toucher le monde arabe, l’écouter et lui parler.
Vous me verrez aussi réduire les troupes en Irak, pour que les Irakiens assument davantage de responsabilités. Et, finalement, je pense que vous avez déjà vu une promesse tenue, Guantanamo a été fermée. Même si nous réaffirmons clairement que nous serons aussi déterminés qu’auparavant à lutter contre les organisations terroristes qui tuent des civils innocents, nous allons le faire à notre manière, en respectant l’Etat de droit qui fait que l’Amérique est grande.

Q. Le président Bush avait parlé de « guerre contre le terrorisme » dans un sens très large, et parfois d’une terminologie particulière, le fascisme islamiste. En revanche, vous avez toujours replacé cela dans un cadre différent, en particulier contre un groupe nommé al-Qaïda et ses collaborateurs…

B.O. Il s’agit d’un point très important. Car la terminologie que nous utilisons, cela compte. Ce qu’il nous faut comprendre, c’est qu’il existe des organisations extrémistes (musulmanes ou d’autres religions, dans le passé) qui se servent de la religion pour justifier la violence. Or il ne faut pas se servir d’un rouleau à peinture pour dépeindre une religion comme une conséquence de la violence qui s’exerce au nom de cette religion.
En conséquence, je pense que vous verrez que mon administration se montrera très claire dans la distinction entre des groupes comme al-Qaïda, qui adoptent la violence et le terrorisme comme seuls moyens d’action, et des gens qui peuvent être en désaccord avec mon administration et certaines de ses actions, ou qui peuvent avoir un point de vue particulier sur la manière dont leur pays doit se développer. Nous pouvons avoir des désaccords légitimes tout en ayant du respect. Je n’ai aucun respect pour des organisations terroristes qui tuent des civils innocents, et nous les pourchasserons. Mais envers le monde musulman en général, nous tendrons la main de l’amitié.

Q. Puis-je terminer par une question rapide sur l’Irak et l’Iran ?

B.O. C’est à votre équipe d’en décider.

M. Gibbs (qui est-il ? ndt) Vous avez 30 secondes (rires).

Q. Les Etats-Unis vont-ils vivre un jour avec un Iran nucléarisé ? Et jusqu’où irez-vous pour empêcher cela ?

B.O. Vous savez, j’ai dit pendant ma campagne qu’il était très important que nous nous assurions de l’adéquation des moyens à notre disposition, y compris la diplomatie, dans nos relations avec l’Iran.
Le peuple iranien est un grand peuple, la civilisation perse est une grande civilisation. L’Iran a agi d’une façon qui n’est pas profitable à la paix dans la région : les menaces contre Israël ; la recherche de l’arme nucléaire qui pourrait déclencher une course aux armements dans la région, ce qui ne contribuerait en rien à la sécurité ; le soutien à des organisations terroristes dans le passé. Rien de tout cela n’a aidé.
Mais je pense réellement qu’il est important pour nous d’être prêts à parler à l’Iran, d’exprimer très clairement où sont nos différences, mais aussi où sont nos perspectives de progrès. Dans les prochains mois, nous allons proposer un cadre général et une approche. Comme je l’ai dit dans mon discours d’intronisation, si des pays comme l’Iran sont prêts à desserrer le poing, ils trouveront de notre part une main tendue.

Q. Laissons-nous l’Irak pour une prochaine interview, ou bien…

M. Gibbs : Oui, laissons cela. Nous avons dépassé, et je dois le ramener à un dîner avec son épouse.

Q. Monsieur, j’apprécie vraiment.

B.O. Merci beaucoup.

(la fin en longs remerciements réciproques)