Israël ne bruit que de l’offensive des h’aredim, les « ultra-ordothoxes“, contre la place des femmes dans la société israélienne, expression d’une modernité qu’ils abhorrent. Cela va de la relégation des femmes à l’arrière des autobus jusqu’à la mise en place dans certaines villes, comme Beith-Shemesh, de trottoirs réservés à l’un et l’autre sexe. C’est dans cette dernière ville qu’une fillette se rendant à l’école s’est fait cracher à la figure pour n’être pas couverte de la tête aux pieds comme les autres élèves (du primaire !)

Et le gouvernement s’est finalement décidé à intervenir, au moins dans ce domaine. Mais certes pas quand les religieux-nationalistes s’en prennent dans les Territoires ou en Israël, aux personnes ou aux édifices religieux musulmans… Là, si l’on multiplie les déclarations vertueuses, on n’agit guère.

Et Yoël Marcus de s’étonner : « Se peut-il que les services de sécurité israéliens atteignent des leaders terroristes à Dubaï ou Damas – à en croire des sources étrangères du moins – mais ne parviennent pas atteindre les meneurs de la terreur juive en Cisjordanie ? »


L’éducation du soussigné s’est faite dans une institution religieuse près de Kfar H’assidim, dans le Nord. Filles et garçons étudiaient ensemble. Les filles tricotaient des kippoth [calottes] au crochet pour les garçons et l’institution dépendait du Ha-Poël ha-Mizra’hi, un parti sioniste modéré duquel finirent par émerger les premiers avocats du Grand Israël.

La majeure partie des éducateurs et des enseignants étaient des « Yekkes », des Juifs allemands. La discipline était rigoureuse. Nous devions faire notre toilette quotidienne à l’eau froide et ce n’était que le vendredi que le bonheur d’une douche chaude nous était accordé. La notion d’exclusion n’existait pas, alors. Le vendredi soir, après le kiddoush [1], filles et garçons dansaient ensemble. Nul n’en mourut et aucune naissance n’en résulta.

Près de l’école, il y avait une yeshivah [2] où nous aimions à nous rendre, mais non pour provoquer les élèves, qui étudiaient à voix haute en tordant leurs papillottes. Nous, les calottes tricotées, venions là les défier à la chasse aux mouches. Je ne sais pourquoi, la yeshivah était pleine de mouches.

Nous n’avons découvert que plus tard qu’ils allaient continuer à étudier, tandis que nous irions à l’armée. Ils allaient continuer à étudier, et nous risquerions d’être tués ou blessés. En ces jours d’adolescence, nous n’imaginions pas qu’un temps viendrait où deux nations juives mutuellement hostiles se dresseraient ici : une majorité sioniste dans un État séculier face à une violente minorité ultra-orthodoxe de voyous.

Il existe une minorité qui aspire à imposer ses croyances à la majorité, et une infime minorité qui aspire à imposer le Grand Israël à la majorité à n’importe quel prix. Contrairement au mouvement légaliste, qui usait de la voie politique pour lutter contre le retrait des Territoires, et contrairement au Parti travailliste, qui prit l’initiative des implantations dans l’espoir candide que ce que nous avions conquis nous resterait acquis.

Après ce rêve, la désillusion vint en un lent processus, et pas seulement au Parti travailliste. Il n’est jusqu’au plus grand bâtisseur des implantations, lui-même, qui ne s’éveilla : Arik Sharon [alors Premier ministre] nous mit en garde, l’heure était venue de sortir du songe du Grand Israël. Il le dit, évacua des colonies, et sortit de nos vies. Puis vint Bibi [le Premier ministre Benjamin Nétanyahu].

Il est clair aujourd’hui que faute de rendre les Territoires, non seulement nous n’aurons pas la paix, mais nous dégringolerons de guerre en guerre. Le mouvement politique pour le Grand Israël a donné naissance aux « Jeunes des collines » [3], et la lutte est devenue violente. À n’importe quel prix.

Malgré leurs larges calottes ils provoquent les Arabes, arrachent leurs oliviers, détruisent leurs maisons et profanent leur mosquées. Ils n’hésitent pas non plus à lever la main contre la police et l’armée. On a peine à croire qu’Israël, dont le peuple a connu des générations durant pogroms et synagogues incendiées, puisse tolérer pareille conduite.

Il s’agit là d’une folie rampante, qui se manifeste par diverses violences. L’expression « price tag » [le « prix des représailles »] ne signifie plus « œil pour œil », mais sept yeux et sept poings pour un œil. Cela rappelle les « méchants » des westerns, qui entrent au galop dans une ville reculée et font feu tous azimuts. En français courant, on parlerait de « voyous ».

Les briseurs de paix, ceux qui l’anéantiront, surgiront d’entre nous, disent nos concitoyens faisant allusion aux fruits pourris issus des mouvements de colonisation légale. Ceux-ci crachent sur la police, l’armée et l’État et sont capables de provoquer une catastrophe en incendiant la mosquée d’El-Aqsa, par exemple, ou par tout autre acte irrémédiable.

Qui eût cru qu’un célèbre directeur de yeshivah déclarerait que « mieux vaut affronter une escouade de tireurs qu’entendre une voix de femme »? Qui eût cru que quelqu’un tenterait d’instaurer la séparation des sexes dans les autobus publics – les femmes à l’arrière, les hommes à l’avant, à l’instar de l’Afrique du Sud d’antan ? Les extrémistes faussent l’esprit du judaïsme, de tout temps porté à la modération et la conciliation.

« Sois saint, mais sois un mensch [4]« , disait le rebbe de Kotzk, rabbi Menh’em Mendl. Nous pourrions donner des centaines de citations témoignant de l’humanité du judaïsme. La question est de savoir où sont les « Admonim » – les chefs spirituels du h’assidisme – aujourd’hui ? Où sont les grands rabbins de la fonction publique ? Où sont les rabbins municipaux et les directeurs de yeshivah ? Pourquoi restent-ils muets ?

Et entre toutes questions, celle-ci : Où sont les services de sécurité ? Est-il concevable qu’ils puissent atteindre des chefs terroristes comme Ma’hmoud Mabhouh à Dubaï et Imad Mugniyeh à Damas – à en croire les sources étrangères du moins – et ne puissent atteindre les meneurs de la terreur juive en Cisjordanie ? Après les événements de la semaine écoulée, l’heure est venue de fondre « d’une main forte » sur les tenants du « price-tag ».


NOTES

[1] La bénédiction sur le vin qui marque l’entrée du Shabbath.

[2] Collège rabbinique.

[3] Génération née dans les colonies, les « Jeunes des collines » jouent avec Tsahal au chat et à la souris, montant des avant-postes reconstruits sitôt détruits, quand ils le sont, et sont désormais passés à l’action violente, de longue date contre les Palestiniens, plus récemment contre la police et l’armée.

[4] Le plus haut titre de gloire dans l’univers yiddish, être un « mensh » suppose de s’acquitter avant tout, et de préférence dans la discrétion) des valeurs humaines du judaïsme (respect de l’autre, solidarité, etc.).