La présence de partis de gauche dans la coalition n’a pas empêché le « gouvernement du changement » de poursuivre la construction en Cisjordanie et de détruire des résidences palestiniennes.


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Auteur : Hagar Shezaf, correspondante en Cisjordanie pour Haaretz, 26 juin 2022

https://www.haaretz.com/israel-news/2022-06-26/ty-article/.premium/a-year-behind-the-green-line-how-the-bennet-lapid-government-ruled-over-the-west-bank/00000181-9eba-db6b-afbf-fffe02260000

Photo :  Des Palestiniens ont construit de nouvelles maisons dans l’implantation juive de Bruchin en Cisjordanie, près de la  ville palestinienne de Naplouse, en 2021.©: Ariel Schalit /AP

Mis en ligne le 3 août 2022


Dans une réalité alternative, Har Bracha serait considérée comme une banlieue de Naplouse, portant probablement un autre nom. La colonie, avec ses 3 000 résidents, jouxte la deuxième plus grande ville de Cisjordanie, mais elle est relativement isolée. Lorsque les Israéliens parlent de « blocs de colonies », ils ne parlent pas de celui-ci. Et pourtant, l’année dernière, le gouvernement Bennett-Lapid a pris quelques mesures pour créer encore davantage de faits accomplis.

Au nez et à la barbe du Meretz, des travaillistes et de la Liste arabe unie, le gouvernement a supervisé la construction d’un nouveau quartier à cet endroit, avec 300 unités de logement. Ce n’est là qu’un exemple. En fait, au cours de sa première et dernière année au pouvoir, le gouvernement a encouragé la construction de milliers d’unités de logement au-delà des frontières de 1967, principalement en dehors des blocs de colonies, au cœur de la Cisjordanie.

Le plan controversé de construction dans la zone E1 près de Ma’aleh Adumim a également été mis en œuvre récemment. En outre, pour la première fois, des fonds ont été transférés aux conseils régionaux des colons dans le but de prendre des mesures contre les constructions palestiniennes.

Si les partis de gauche de la coalition en voie d’éclatement tentent de cacher ces faits dans les mois à venir, il est possible que leurs partenaires de droite ne se précipiteront pas pour révéler d’autres tendances de l’année écoulée. Il s’agit notamment de l’application plus rigoureuse de la loi contre les colons, communément appelés « jeunes des collines », et du fait qu’une pléthore de promesses, telles qu’un accord sur le statut de l’avant-poste d’Evyatar et le raccordement des avant-postes au réseau national électrique, sont loin d’être réalisées.

Plans de construction dans les colonies

Si l’histoire se résumait à des chiffres absolus, les 7 292 nouvelles unités de logement en attente d’approbation dans les territoires en diraient long, surtout si l’on considère que la moyenne sous l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu était inférieure à 6 000 par an.

Mais les chiffres, compilés par Shalom Arshav, montrent que les choses sont un peu plus complexes. Tout d’abord, parce que les dernières années de Netanyahou ont été marquées par une augmentation de la construction, par rapport à ses premières années. Ensuite, parce que la plupart des plans qui ont été approuvés doivent encore parcourir un long chemin administratif avant d’être officiellement autorisés à se matérialiser. En fait, seuls 3 000 logements ont franchi toutes les étapes requises.

La complexité de ces chiffres se reflète également dans l’identité de ceux qui les ont rendus possibles. Contrairement aux politiques qu’ils promeuvent, le Meretz et le parti travailliste ont fait partie d’un gouvernement qui a approuvé la construction dans des colonies isolées, notamment Har Bracha et Elon Moreh, près de Naplouse, Kiryat Arba près d’Hébron, et à Dolev, près de Ramallah. Le fait que le gouvernement ait approuvé une multiplication par cinq de l’expansion de la colonie de Shvut Rachel, située au cœur de la Cisjordanie et non incluse dans les « blocs de colonies », a été particulièrement remarquée. La principale personne derrière toutes ces approbations d’expansion était le ministre de la Défense Benny Gantz (Kahol Lavan).

Ces faits ne cadrent pas forcément avec les déclarations des partis de gauche à l’aube de leurs campagnes électorales, et ils ne sont pas sans décevoir plusieurs. La communauté internationale, qui surveille la construction en Cisjordanie occupée, est inquiète. Des sources ont déclaré à Haaretz que le fait que le gouvernement Bennett-Lapid a en réalité poursuivi les politiques du gouvernement Netanyahu, d’une manière manifestement incompatible avec la croissance naturelle de ces colonies, a provoqué une grande déception..

Les colons n’ont pas non plus accueilli favorablement les gestes posés par le gouvernement. Le conseil de Yesha (Judée et Samarie) estime que le gouvernement a en fait aggravé la situation de la construction dans les territoires, citant le fait que le comité suprême de planification s’est moins souvent réuni que par le passé (même si à la fin de l’ère Netanyahou, il n’était pas pressé de se réunir non plus). En outre, selon eux, toutes les unités de logement prévues n’ont pas été soumises à la discussion. Les colons affirment que 2 000 unités de logement promises sont restées sur le papier.

Tant les colons que les Palestiniens savent que les plans de construction pourraient très bien n’être que la première étape. Les colonies urbaines, sous la responsabilité du ministère de la Construction et du Logement, doivent lancer un appel d’offres aux entrepreneurs pour la construction – avec l’approbation du ministre de la Défense. Cette règle était bel et bien appliquée sous le gouvernement Bennett-Lapid. Selon un rapport publié par La Paix Maintenant, “The government of unequivocal annexation: One year of the Bennett-Lapid Government » [Le gouvernement de l’annexion sans équivoque : un an de gouvernement Bennett-Lapid], qui passe en revue les politiques du gouvernement actuel concernant les colonies, il semble qu’une liste d’offres assez conséquente existe.

Une liste partielle comprend les colonies d’Adam, Emanuel, Karnei Shomron et Elkana. Une offre particulièrement importante pour les colons comprenait 364 unités de logement à Beit El – sur un terrain où se trouve la brigade régionale de Binyamin. Le projet est bloqué depuis longtemps en raison du coût élevé de l’évacuation de la base militaire.

Un autre projet encore consiste à construire un nouveau quartier dans la ville d’Ariel avec 730 unités résidentielles. On pourrait croire que le projet est destiné à étendre la ville, qui est un bloc de colonies à part entière – mais ce n’est pas tout à fait vrai – le nouveau quartier n’a pas de continuité territoriale avec la zone déjà construite de la ville.

Plans stratégiques

Le terme « E1 », qui semblait avoir été relégué aux livres d’histoire, a fait un retour surprenant, en plus d’être redevenu pertinent. Fin mai, l’État a informé la Haute Cour de justice que le grand plan de construction près de Jérusalem, une partie de Ma’aleh Adumim, est de nouveau à l’ordre du jour, bien qu’il ait suscité de nombreuses critiques internationales. Il s’agit probablement du plan le plus controversé de Cisjordanie. Il est particulièrement inquiétant pour la communauté internationale, qui estime que, si ce plan se concrétise, il pourrait mettre fin à la solution des deux États.

Le mois prochain, une audience aura lieu sur les objections au plan, et il est possible qu’avec la dissolution de la Knesset, une nouvelle opposition politique à ce plan prenne forme.

Au cours du mois dernier, la construction d’un ascenseur a commencé au Tombeau des Patriarches à Hébron, un projet destiné à rendre le lieu saint accessible aux personnes handicapées du côté juif de l’enceinte.

Pendant des années, le projet a été retardé en raison d’une longue liste de requêtes judiciaires déposées par des groupes de gauche et des Palestiniens. Finalement, toutes les pétitions ont été rejetées et le projet est maintenant en cours. Ce n’est pas le seul projet concernant Hébron : cette année, la construction d’un nouveau quartier juif comprenant 31 unités de logement a débuté dans la vieille ville.

Avant-postes

Bien que l’on ne puisse pas créditer le gouvernement – ou au contraire le condamner – pour les avant-postes qui ont été construits l’année dernière, selon La Paix maintenant, six nouveaux avant-postes ont été construits sous le gouvernement Bennett-Lapid : Givat Hadegel dans le sud des collines d’Hébron, Karnei Re’em dans la région de Salfit, Havay Mevo’ot Yeriho au nord de Jéricho, la ferme de Yulious dans le nord de la vallée du Jourdain, la ferme orientale de Neria dans la vallée du Jourdain, et Givat Ohavei-Yah à l’ouest de Bethléem.

La plupart d’entre eux sont des avant-postes agricoles, ce qui signifie qu’ils n’utilisent pas la terre pour la construction mais en prennent le contrôle pour en faire des pâturages. C’est pourquoi, en principe, ils sont plus faciles à démanteler que les avant-postes qui comptent un plus grand nombre de résidents. Par exemple, Givat Ohavei-Yah a été démoli cette semaine – mais ce n’est pas la première fois – et un ordre de fermeture de la zone militaire a été émis pour le site pendant un an.

En général, le gouvernement Bennett-Lapid était fier de sa tolérance relativement faible concernant l’établissement d’avant-postes. Ceux qui furent construits par les « jeunes des collines » ont été démantelés beaucoup plus fréquemment que ne l’a fait l’administration civile dans le passé.

Si la création d’un avant-poste peut se faire sans l’accord du gouvernement, la légalisation d’une colonie de ce type déjà existante est une tout autre histoire. Il y en a trois dans cette catégorie : Mitzpe Dani, Oz et Givat Habustan. Dans le même temps, quelques étapes ont été franchies sur la voie de la légalisation d’avant-postes plus anciens et mieux établis qui s’orientaient dans cette direction. Les objections à la reconnaissance de l’une de ces colonies: Adi Ad, furent rejetées en avril.

Un autre exemple est l’avant-poste de Havat Yair, qui a été reliée au réseau électrique – selon les colons, dans le cadre d’une promesse faite à l’époque du gouvernement Netanyahou. Sous le gouvernement actuel, raccorder des avant-postes au réseau électrique était la priorité la plus importante pour MK Nir Orbach du parti Yamina.

Comme condition à son vote en faveur de la loi visant à relier les communautés bédouines non reconnues au réseau électrique, M. Orbach a demandé d’autoriser un grand nombre d’avant-postes qui n’ont pas encore été légalisés à se connecter au réseau de l’Israel Electric Corporation. Selon un responsable de la défense, l’ordre est toujours en cours d’examen par les équipes juridiques et ne devrait pas être approuvé de sitôt. À la lumière des développements politiques, il est douteux que cela se produise tant que le gouvernement actuel sera en fonction.

L’un des premiers noms à apparaître sur la feuille de route du gouvernement Bennett-Lapid est Evyatar. L’avant-poste, qui a été érigé sur un terrain situé au-dessus de la ville palestinienne de Beita pendant l’opération « Gardiens des murs » dans la bande de Gaza en mai 2021 – avec des maisons construites et des routes pavées – semble être entré dans la voie rapide de la légalisation dès les premiers jours du gouvernement.

Le gouvernement a signé un accord avec les colons selon lequel ils devaient évacuer et le gouvernement devait entamer le processus d’examen de la légalisation du statut des terres concernées. Le gouvernement a promis que, si cela était possible, une yeshiva ou une communauté y serait construite. Rien de tout cela ne s’est produit, et comme le gouvernement manque de temps, il est peu probable que cela se produise un jour. Quoi qu’il en soit, les Palestiniens n’ont toujours pas le droit de pénétrer sur le site et l’armée est déployée sur la colline 24 heures sur 24.

Démolition de structures palestiniennes

L’année dernière fut la troisième en termes du plus grand nombre de structures palestiniennes démolies depuis 2009, les années 2016 et 2020 ayant pris la première et la deuxième position de cette sinistre compétition. Le total s’élève à 614 bâtiments, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). Toutes ces structures n’étaient pas des résidences au moment de leur démolition ; certaines étaient vides, d’autres étaient utilisées pour l’agriculture ou les cuisines. En tête de liste des démolitions figure Ras al-Tin, une communauté de bergers qui vit dans la zone proche de Kochav Hashahar, où 84 personnes ont perdu leur maison.

Mais il n’y a pas eu que des destructions pour les Palestiniens. Les chiffres sont peut-être relativement faibles par rapport aux constructions pour les colons, mais au cours de l’année écoulée, la construction de 1 303 unités de logement pour les Palestiniens a été avancée – le nombre le plus élevé depuis des années. Cependant, plus de 1 100 de ces unités n’ont franchi que le stade de l’approbation préliminaire, et il semble qu’il faudra encore beaucoup de temps avant que les Palestiniens ne voient les bulldozers venir faire autre chose que démolir.

Le progrès de la construction pour les Palestiniens sur le papier n’a pas duré longtemps non plus. Après la condamnation de l’initiative par le Conseil des colonies de Yesha, la hausse de la construction en Cisjordanie a été arrêtée – pour les Palestiniens.

Budgets d’exécution

L’une des innovations dans l’allocation des fonds en Cisjordanie au cours de l’année écoulée est une sorte de dot du précédent gouvernement Netanyahou : 18,6 millions de shekels (5,4 millions de dollars) ont été alloués aux colonies dans le but d’établir un département d’arpentage.

L’objectif était clair : recenser et cartographier les constructions palestiniennes illégales dans la zone C et en rendre compte à l’administration civile, l’organisme chargé de faire respecter la loi en Cisjordanie. Outre les salaires des inspecteurs sur le terrain, ce budget a financé des drones, l’achat de photographies aériennes, des clôtures, des véhicules et des cours d’arabe pour les inspecteurs – et on ne sait pas encore si ce budget sera renouvelé l’année prochaine.

Une somme à peine moins importante, 18,5 millions de shekels, a été budgétée pour « la bataille pour la zone C », titre donné aux tentatives du gouvernement israélien afin de freiner les constructions palestiniennes illégales. Ce budget est le résultat de l’accord de coalition entre Yamina et Yesh Atid, et est destiné à payer 46 employés supplémentaires de l’administration civile, dont 15 participeront à cette unité de surveillance.