MARTINE COHEN : « Les Juifs de France doivent soutenir la forte mobilisation des démocrates israéliens. »

Dans le cadre de Chroniques pour la paix, émission bimensuelle sur Radio Shalom parrainée par La Paix Maintenant et JCall, Paul Ouzi MEYERSON s’entretient avec MARTINE COHEN sur la distanciation, voire la cassure en cours entre le gouvernement d’Israël actuel et une large fraction du judaïsme mondial. En serait-on arrivé au point où les Juifs de France ne se reconnaîtraient plus dans les valeurs morales et politiques du pouvoir en place à Jérusalem ? MARTINE COHEN, sociologue émérite, spécialiste des religions au CNRS, a durant de nombreuses années travaillé sur les Juifs et le judaïsme, en France et en Europe ainsi que sur les conditions d’intégration des Juifs et des Musulmans et les transformations de la Laïcité française. Elle a publié, en 2022, «Fin du franco-judaïsme? Quelle place pour les Juifs dans une France multiculturelle?»( Presses Universitaires de Rennes).

Illustration : « Juifs de France pour un Israël démocratique ». Martine Cohen lors de la protestation contre la venue de B.Smotrich ( Paris, réunion de l’OCDE,8 juin 2023)


https://radioshalom.fr/podcasts/les-chroniques-pour-la-paix-175/les-juifs-de-france-et-la-crise-en-israel-1666


Depuis sept mois, des centaines de milliers de citoyens israéliens défilent régulièrement dans toutes les villes d’Israël contre le putsch judiciaire qu’entend réaliser le gouvernement Netanyahu. Ils se mobilisent car ils considèrent que le changement de régime concocté par la coalition actuelle mettrait à mal les libertés et les institutions du pays, alors qu’eux veulent préserver le caractère juif ET démocratique de l’État. Certes ce gouvernement a été élu démocratiquement mais – rappelle Martine Cohen-  » …la démocratie ce n’est pas seulement le vote majoritaire, c’est la préservation du droit des minorités et le respect des contre-pouvoirs« .

Parallèlement à cette mobilisation, les mesures prises par le gouvernement ultra nationaliste et ultra religieux actuellement au pouvoir en Israël sont loin de faire l’unanimité dans la Diaspora Juive. Nous l’avons constaté, notamment aux États-Unis. L’exemple le plus significatif de ce refus est la dernière réunion du Congrès Sioniste Mondial qui a voté en faveur de résolutions libérales et progressistes aux antipodes de celles proposées par l’exécutif israélien. En France, Martine Cohen revient sur les prises de position de rabbins libéraux et massorti et elle mentionne la rencontre organisée fin mars à Bruxelles(1) par JCall et la Paix Maintenant avec des personnalités de premier plan. En fait, elle note que, si au début il y a eu un embarras certain, un silence assourdissant des leaders communautaires, les prises de position exprimant a-minima une réserve vis-à-vis des projets israéliens se sont faites plus fréquentes.

Les rabbins dont on a déjà parlé mais aussi, et c’est nouveau, l’éditorial de Yonathan Arfi, président du Crif, le 13 mars(2). On peut trouver que c’est tardif mais il faut tenir compte de la crainte de faire le jeu des ennemis d’Israël si on critique ouvertement le gouvernement israélien. Nous, dit-elle, « nous pensons que c’est en ne parlant pas qu’on fait leur jeu« . Martine Cohen mentionne également le refus des responsables des institutions les plus importantes, le CRIF, le FSJU ou le Consistoire, qui hésitent à recevoir les ministres les plus extrémistes de la coalition gouvernementale israélienne. Tel fut le cas avec Smotrich, ministre des Finances, suprémaciste et raciste, qui par ailleurs a dû faire face au tumulte de manifestants israéliens et juifs sionistes qui lui étaient hostiles, l’obligeant à s’éclipser d’un cocktail qui se tenait à l’OCDE à Paris. En sociologue, elle décrit une certaine évolution ou dérive dans le judaïsme français qui a vu « l’orthodoxie éclairée présente jusqu’aux années 1980 par la suite remplacée par une ultra orthodoxie« .
Elle note l’existence d’un courant conciliant ultra orthodoxie et ouverture et tolérance au monde. Il y a eu une rencontre de plusieurs centaines d’ultra orthodoxes en Israël, « la gauche de la foi »(3), à laquelle a participé la fille de l’ancien grand rabbin Ovadia Yossef. En France, un tel courant existe aussi …A D…ne plaise !

Notes de la rédaction :

(1) Pour voir les interventions : https://www.youtube.com/user/JCallTv

(2) Qu’est-ce qu’un État juif et démocratique ? Parce que le sionisme s’est toujours conjugué au pluriel, les Israéliens n’ont jamais apporté de réponse définitive à cette question, privilégiant pragmatisme et compromis. Pas de Constitution, donc, mais depuis 75 ans un dialogue permanent sur les contours de l’État d’Israël. C’est précisément ce sens du compromis et le désir d’un avenir partagé qui paraissent s’effacer dans la crise actuelle, marquée par une dramaturgie inédite.
https://www.crif.org/fr/content/crif-edito-du-president-du-crif-regard-juif-de-france-sur-la-crise-en-israel

(3) https://www.lapaixmaintenant.org/fideles-de-gauche-smol-emuni/

Mis en ligne le 20 juin 2023