« Les intellectuels israéliens sont les meilleurs ambassadeurs du sionisme, mais ils représentent la société israélienne, pas la réalité coloniale, » écrit Ze’ev Sternhell dans sa dernière chronique du Ha’Aretz, dont le titre et le texte hébraïques usent pour l’anglais “boycott” du terme traditionnel de “h’érem”, l’exclusion de la communauté.

Et l’on ne peut, lisant ces lignes qui s’appuient sur la position “anti coloniale” de la plus grande partie des intellectuels et artistes israéliens, que se souvenir que c’est par eux, et singulièrement à Ariel (ici cité), que fut initié le boycott ciblé des institutions israéliennes érigées dans les territoires palestiniens.

Une chronique, faut-il y voir un signe, dont la revue de presse de l’ambassade d’Israël à Paris a traduit, ce vendredi 31 janvier, deux paragraphes…


Les manifestations d’antisémitisme vont croissant en Europe du fait que celui-ci n’a jamais disparu, non plus que le nationalisme radical, le racisme et la xénophobie n’ont été enterrés en 1945. Ces phénomènes n’ont été réduits au silence que par le souvenir de la guerre et les trente années de prospérité qui s’ensuivirent. Il est vrai qu’un rapport de réciprocité s’est instauré entre antisémitisme et positions anti israéliennes, et que les Juifs d’Europe en ont pris conscience : distinguer entre rejet de l’occupation et sentiment anti israélien ou anti juif se fait de plus en plus difficile – les opposants à l’occupation ont du mal à donner l’accolade à l’occupant.

Cela étant, un regard plus aigu sur la réalité nous apprend que ce n’est pas l’antisémitisme qui fonde l’extension du boycott des colonies en Europe. Le boycott est avant tout une façon de s’élever contre le colonialisme et l’apartheid régnants dans les Territoires. Les Européens connaissent mieux la situation que les Américains, car ils veulent vraiment en savoir plus et comprendre le point de vue ultra-nationaliste de l’extrême-droite, qui forge la politique israélienne ; ils ont aussi tiré les leçons de leur passé colonialiste et la gauche en a honte, au même titre que de l’antisémitisme.

Aujourd’hui, c’est la gauche en France qui combat l’antisémitisme et le racisme, jusqu’à porter sérieusement atteinte à la liberté d’expression afin de faire taire le comique antisémite Dieudonné. Mais c’est précisément cette même gauche qui n’est pas prête à accepter le maintien de toute une nation sous occupation. C’est pourquoi le soutien à l’indépendance palestinienne augmente, le silence à ce sujet étant interprété comme un assentiment donné à l’occupation et une marque d’indifférence à l’égard des droits humains.

Cette opinion, cependant, n’est pas seulement celle de la gauche européenne : la chancelière allemande néo-libérale Angela Merkel croit elle aussi que tous les êtres humains ont le droit d’être libres. Le président américain Barak Obama semble également être de cet avis ; mais ici, en Israël, l’ex militant des luttes sociales est perçu comme un utopiste, de loin inférieur à son prédécesseur, le grand conquérant de l’Irak et de l’Afghanistan.

À en juger par l’éclat [auquel s’est laissé aller] le ministre de la Défense, Moshé Ya’alon, le secrétaire d’État américain John Kerry partage des vues similaires, sans quoi il n’aurait pas été accusé de messianisme. À l’inverse, nous considérons le Premier ministre canadien, un chrétien évangéliste qui croit en la résurrection des morts, comme quelqu’un de rationnel et de réaliste.

Le refus de collaborer à l’occupation se reflète dans le boycott économique et culturel à l’encontre des colonies israéliennes. Une vaste majorité de l’opinion publique européenne voit le boycott comme un juste instrument de pression destiné à libérer les Palestiniens. Cette opinion est partagée par des gens de l’ensemble du spectre politique, y compris ceux qui méprisent l’antisémitisme et soutiennent Israël de tout leur cœur.

Dans les milieux cultivés d’Europe, la culture et la recherche scientifique israélienne jouissent d’un statut unique, dont aucune autre contrée de petite ou moyenne importance n’a l’apanage. Les scientifiques, les écrivains et les artistes israéliens ont pu de la sorte contrebalancer, jusqu’à maintenant, le fanatisme nationaliste et religieux qui se répand ici, et ce sont eux qui parent aux tentatives de boycott général. Mais ils méprisent, pour la plupart, le colonialisme israélien – que rien ne symbolise mieux aujourd’hui que l’université d’Ariel.

Les intellectuel israéliens sont les meilleurs ambassadeurs du sionisme, mais ils représentent la société israélienne, non la réalité coloniale. Ils pensent que fouler aux pieds les droits des Palestiniens au nom de nos droits exclusifs sur cette terre, et par la vertu d’un décret divin, souille l’histoire juive d’une tache indélébile : quiconque campe sur de telles positions finira par attirer sur Israël tout entier l’ostracisme du monde ; et, si cela arrive, ce ne sera pas de l’antisémitisme.