L’encre de l’accord entre Israël et les Émirats Arabes Unis n’a pas encore eu le temps de sécher, (d’autant plus que l’accord ne sera paraphé qu’au moment où ces lignes sont écrites), que déjà intervient l’annonce d’un nouvel accord qui, comme on s’y attendait, concerne le Bahreïn. Les rumeurs grondent concernant d’autres accords possibles sinon probables. Quel sera le suivant? Quand?

On ne peut qu’accueillir favorablement de tels accords car il est préférable que les relations entre les États de la région soient « normales » plutôt qu’agressives voire vindicatives, que les désaccords s’expriment par la voie diplomatique plutôt que par celle des armes. Ce n’est pas parce que Netanyahu s’attribue les mérites d’une politique engagée depuis des décennies, que l’on doit jeter le bébé avec l’eau du Bahreïn. Il n’est guère étonnant que le Premier ministre gonfle artificiellement la signification des accords et les élève au rang de « percée historique » afin de se grandir lui-même, d’améliorer les sondages et de détourner l’attention de ses « casseroles judiciaires », des aléas – pour ne pas parler d’échec- dans la bataille contre le coronavirus, des coups de boutoir qu’il porte à l’État de droit et de ses efforts pour éroder la démocratie du pays.

On ne peut en effet que constater, sans que cela remette en cause l’approche favorable à ces accords, que Netanyahu s’est abstenu de les soumettre à l’approbation de la Knesset, contrairement à la tradition, pas plus qu’il n’a respecté la lettre de la loi en signant un accord qui n’a pas été vu, discuté ou approuvé par le Cabinet. La procédure adoptée, la mise à l’écart de ses adversaires politiques mais néanmoins ministres dont la compétence sur ces domaines est incontestable, traduisent un mépris certain pour la bonne gouvernance et une réelle facilité à s’affranchir des usages démocratiques.

Tout cela n’enlève rien au changement dont ces accords témoignent : le découplage entre certains Etats arabes et la question palestinienne qui a perdu sa centralité, si tant est qu’elle ait été dans les faits aussi centrale qu’elle l’était dans les discours. Le retrait israélien des territoires occupés et la création d’un État palestinien ne sont plus pour tous les États de la Ligue arabe les conditions de la normalisation de leurs relations avec Israël. La menace iranienne et sa perception par l’Arabie Saoudite ont entraîné une recomposition des rapports de force dans la région. Cependant, ce que peuvent se permettre les micro-Etats qui ont signé ces accords de normalisation – et non pas de paix car Israël n’a jamais été en guerre avec ces pays – encouragés ou autorisés par l’Arabie Saoudite et dont la motivation première est l’obtention de l’aide et de la protection des USA plus que la passion envers Israël, n’est probablement pas envisageable par les Etats qui comptent véritablement dans la région sans une avancée significative sur la question palestinienne. Si le Maroc, le Soudan, et en dernier ressort l’Arabie Saoudite normalisent leurs relations avec Israël sans que rien ne se passe s’agissant des relations israélo-palestiniennes, alors ce sera la preuve que le découplage monde arabe/Palestine est effectif. L’autorisation donnée à Israël par l’Arabie Saoudite de survol de son territoire, la non condamnation par la Ligue arabe de ces accords, autant d’indices qu’une normalisation élargie est plausible. Est-ce une avancée sur la question palestinienne qui en permettra sa concrétisation? Nous le pensons.

Même si la question palestinienne n’est plus « au » cœur des relations entre Israël et les pays arabes, elle reste quelque part « dans » le cœur des populations arabes, ce que les gouvernements ne sauraient ignorer. Nous en voulons pour preuve le fait que ces accords ont été conditionnés par l’abandon du projet de Netanyahu d’annexion et d’instauration de la souveraineté israélienne sur tout ou partie de la Cisjordanie. C’est parce que Israël a accepté de « mettre fin à la poursuite de l’annexion des territoires palestiniens »que les EAU ont accepté de signer l’accord. C’est sans doute exagéré mais cet accommodement quelque peu jésuite illustre la persistance de la question palestinienne. « L’administration Trump a donné aux EAU l’engagement, lors des négociations de normalisation, que Washington ne reconnaîtrait pas l’annexion israélienne de certaines parties de la Cisjordanie avant 2024 au plus tôt« , ont déclaré des sources ayant une connaissance directe de la question au journal Times of Israel. Le prince Fayçal Ben Farhan, ministre saoudien des Affaires étrangères, a réaffirmé il y a quelques jours le soutien de Riyad à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.

La normalisation présente et à venir démontre que la voie proposée par la droite israélienne mène à une impasse : l’annexion et le développement de la colonisations ne sont pas compatibles avec des relations normalisées et apaisées avec les États arabes. Il convient d’en tirer les enseignements et de ne pas perdre de vue que la préoccupation d’Israël en matière de sécurité nationale ne concerne pas ses relations avec les États du Golfe mais avec les Palestiniens qui, eux, sont aux portes d’Israël. Nul doute qu’une occupation qui dure depuis 53 ans, prive les Palestiniens de leurs droits civils et humains les plus fondamentaux et a créé une situation d’ « a-citoyenneté » en Cisjordanie occupée, et ne favorise en rien une solution qui n’est peut-être pas indispensable pour qu’Israël puisse avoir des échanges avec les pays arabes mais qui demeure nécessaire pour leur officialisation. Nul doute également que pour parvenir à un accord avec les Palestiniens, ces derniers doivent revoir leur politique de la « chaise vide ». Si les accords qui viennent d’être conclus les poussaient à procéder à un aggiornamento tactique et stratégique, ce ne serait pas le moindre des acquis.

« La normalisation avec le monde arabe est la bienvenue, mais pas comme un outil pour normaliser l’occupation et le conflit avec les Palestiniens« , a déclaré le président d’Americans for Peace Now. « Nous espérons et souhaitons que toutes les parties prenantes trouvent un moyen d’utiliser l’établissement de relations plus étroites entre Israël et les États arabes comme un moyen de résoudre le conflit israélo-palestinien« .

Espérance et souhait que nous faisons nôtres à l’aube de Roch Hashana, à l’occasion de laquelle nous adressons nos meilleurs vœux de santé et bonheur à chacun d’entre vous qui êtes concernés.

 

Mis en ligne le 14 septembre 2020