Haaretz, 5 novembre 2002

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Supposons qu’un kamikaze du Hamas vienne « officier » avec femme et enfants,
en invitant, sous de fallacieux prétextes, quelques Palestiniens en faveur de la
paix, déclenche sa ceinture d’explosifs et s’envoie au paradis avec toute
l’assistance. Et supposons qu’un professeur palestinien, plus tard, emmène
sa classe sur le site de l’attentat suicide et y célèbre une cérémonie à la
mémoire du terroriste. Que dirions-nous? Nous dirions peut-être que cela
ressemble un peu à l’histoire de Massada.

La semaine derniere, l’UNESCO a accordé à Massada le statut de site
touristique international ayant une signification historique particulière. A la veille des festivités qui vont suivre cette nouvelle, il serait sage de s’interroger sur la question de savoir si nous voulons vraiment que ce chapitre déjà ancien de l’Histoire soit notre carte de visite vis-à-vis du monde en général, et de nos enfants.

Aux premières heures de la renaissance sioniste, quand nous fouillions les
pages de l’Histoire à la recherche de guerriers juifs qui pourraient montrer
la voie à une nouvelle génération de fiers Hébreux, nous avons trouvé, aussi, Elazar Ben-Yaïr, le héros de Massada. Nous avons enseigné son dernier discours, tout à fait électrisant, tel que l’a rapporté l’historien juif Yossef Ben Matityahou, dit Flavius Josèphe, ancien commandant de la révolte contre Rome, et passé plus tard dans le camp ennemi.

Que ce soit par idéologie ou par ignorance, nous n’avons pas souvent abordé
l’histoire de Ben-Yaïr et de ses camarades. L’opinion juive d’Israël, qui à l’époque du Second Temple était occupé par Rome,était , en gros, divisée entre zélotes et modérés. Les premiers combattaient les Romains, les derniers craignaient que la revanche romaine ne détruise le peuple juif, et se réfugièrent dans l’étude de la Torah, pour garder la flamme intacte. La bande de Ben-Yaïr quitta les rangs des zélotes parce que, pour eux, combattre les Romains ne suffisait pas et qu’ils considéraient leurs propres compatriotes qui ne voyaient pas les choses comme eux comme une « cinquième colonne » qui constituait le véritable danger, phénomène que l’on retrouve ailleurs et dans d’autres temps. Et quand cette bande voyait du danger, elle le poignardait.

La bande de voyous de Ben-Yaïr assassina des Juifs modérés (y compris des
Juifs assimilés), avec leurs familles, à l’aide d’un poignard particulier nommé « sica » en grec ancien, ce qui a valu à la bande son nom : les « sicaires », autrement dit les manieurs de poignards. Le Talmud les appelait « listim » – voleurs, voyous.

D’apres Flavius Josèphe, Ben-Yaïr et sa bande de tueurs se rendirent de Galilée à Jérusalem, puis dans la ville d’Ein Gedi, tuèrent 700 Juifs, y compris des femmes et des enfants, et, enfin, grimpèrent à Massada avec leurs familles. Après avoir combattu l’ennemi, et ayant été défaits, chaque guerrier tua sa femme et ses enfants avant de se suicider.

Quelle éducation donnons-nous à nos enfants? Que le fait de combattre l’ennemi exonère le combattant, y compris de l’assassinat politique de Juifs, et du meurtre de ses propres enfants? Si Flavius Josèphe n’est pas crédible, alors toute l’hitoire qu’il relate doit être mise en doute. Mais si nous en acceptons la véracité, alors nous devons poser les crimes commis par cette bande dans la balance éthique.

Que pouvons-nous répondre à ceux qui prétendent que les normes d’alors étaient différentes de celles d’aujourd’hui? Bien sûr, elles étaient différentes, mais le principe « Tu ne tueras point » était déjà posé, et il nous est impossible d’élever nos enfants sur ce principe et, en même temps, sur l’exemple de Massada.

Nous devons donner à notre jeunesse des paradigmes, y compris de lutte contre l’occupation étrangère. Les combattants de Gamla, par exemple, étaient contemporains de ceux de Massada, et ils ont également combattu, et ils se sont également suicidés, mais leur histoire n’a jamais impliqué de meurtres de rivaux de l’intérieur, ni de leurs propres enfants.

Qui peut voir en Ben-Yaïr un parangon de vertu? Les hors-la-loi du mouvement
Kakh (mouvement du rabbin raciste Kahana, interdit, ndt)? Ygal Amir (assassin d’Ytzhak Rabin, ndt)? Ou peut-être même le Hamas, qui embrasse le meurtre et le suicide (et cela étant dit sans faire d’analogie entre notre souveraineté sur cette terre et l’occupation romaine)?

Nous devons faire l’ascension de Massada avec nos élèves, parce que ce lieu
fait partie de la terre d’Israël, parce que son histoire appartient à l’histoire du peuple d’Israël, et parce qu’il faut présenter les valeurs et les accomplissements des zélotes comme des modérés, et les dilemmes qui étaient au coeur du debat. Mais, par-dessus tout, Massada fut un signal d’alarme : de l’évolution d’Israël en Sodome, de la transformation de l’assassinat de Rabin en une norme, du glissement d’un débat raisonnable vers la guerre civile.