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Haaretz, 18 avril 2004

Trad. : Tal Aronzon pour La Paix Maintenant


« Comment rendre les territoires? Il n’y a personne à qui les rendre », déclarait Golda Meir en 1969. Pour preuve, elle avançait trois mois plus tard un autre fait historique : « Les Palestiniens, ça n’existe pas. Ils n’ont jamais existé ». Aujourd’hui non plus, ils n’existent pas.

La rencontre au sommet entre Sharon et Bush en fournit une autre preuve, car elle repose sur trois principes : « pour le moment, il n’existe aucun partenaire palestinien avec qui avancer pacifiquement vers un règlement », stipule la lettre de Sharon ; « les Etats-Unis joindront leurs efforts à ceux d’autres acteurs de la communauté internationale pour encourager le développement d’institutions politiques démocratiques et une nouvelle direction (palestinienne) qui soit engagée envers ces institutions (lettre de Bush) : et la démographie juive déterminera la nouvelle frontière.

Ces principes affirment que le peuple palestinien n’existe pas, sauf sous forme d’un simple groupe ethnique dont les frontières territoriales sont un sujet de délibération entre Israël et les Etats-Unis, et non entre lui et la communauté internationale. Avec l’approbation des Américains, Israël reçoit un mandat pour créer un Etat palestinien indépendant quand les conditions seront réunies : quand une nouvelle direction émergera pour l’entité palestinienne, quand les violences prendront fin, quand les colonies marqueront une frontière « réaliste », après des négociations et la conclusion d’un accord entre les parties, et après l’application des directives de la feuille de route. En attendant, les Palestiniens constituent une non-entité, ou tout au plus une organisation terroriste de quelque 3,5 millions de
membres.

L’échange de lettres entre Bush et Sharon ne sont ni un nouvel accord, ni un
programme politique révolutionnaire. C’est plutôt un commentaire sur la
situation, qui considère les Palestiniens comme un objet plutot que comme un
sujet, comme un os en travers de la gorge de la clôture de sécurité, des colonies et des frontières définitives d’Israël. Avec ce genre de commentaire, les deux amis ont dû échanger un clin d’oeil à la lumière de la contradiction flagrante entre la déclaration de Bush selon laquelle « il est irréaliste de s’attendre à ce que le résultat de negociations sur un statut définitif sera un retour complet aux lignes d’armistice de 1949 », et la phrase qui la suit immédiatement, « il est réaliste de s’attendre à ce que tout accord sur un statut définitif ne sera obtenu que sur la base d’échanges mutuellement acceptés qui reflèteront ces réalités ». Si cette
phrase ne figurait pas en toutes lettres dans la lettre de Bush, on aurait pu mettre cela sur le compte d’une des nombreuses gaffes du président. Ces deux phrases contradictoires garantissent la pérennité du conflit, car il ne peut y avoir d’accord mutuel sur la situation qui prévaut actuellement dans les territoires, en particulier quand c’est l’une des deux parties qui dicte la situation.

Il est indéniable que cela constitue une victoire majeure pour Sharon. Mais comment ce commentaire sur la situation peut-il être considéré comme une
victoire d’Israël, alors qu’il éloigne les chances de parvenir à un accord? L’une des explications semble être l’illusion que tout ce qui est acceptable aux yeux des Etats-Unis finira par constituer un accord : si les Etats-Unis « approuvent » une nouvelle frontière, les Palestiniens devront l’accepter, car un refus équivaudrait à une déclaration de guerre contre Washington. Une autre explication (et on commence à penser que c’est la plus importante) repose sur la manière de penser de Golda, qui a de nouveau cours vu les déclarations de Bush : les Palestiniens sont un peuple virtuel, comme ils l’étaient en 1967.

Reste un petit détail : si, si l’on en croit Bush, les faits sur le terrain sont ce qui détermine la réalité politique, l’administration américaine reconnaît-elle l’annexion par Israël du plateau du Golan, ou au moins comprend-elle qu’il n’y aurait aucune raison d’exiger un retrait du Golan dans le cadre d’un accord avec la Syrie, puisque les faits sur le terrain ont créé une nouvelle réalité? Et si les faits sur le terrain déterminent la frontière, pourquoi Israël ne continuerait-il pas à construire des colonies? Il y aura bien quelques cris outragés, et quelques réductions de garanties bancaires, mais au bout du compte, ce seront les faits qui parleront pour eux-mêmes.