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Yadiot Aharonot, 19 septembre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Au moment où a pris fin la deuxième guerre du Liban, et en fait avant cela déjà, une question difficile et lancinante a été soulevée : qu’est-il arrivé à notre grande et puissante armée? Comment se fait-il qu’il y a 40 ans, elle a pu vaincre les armées de trois Etats en quelques jours, alors que cette fois, elle n’a pas réussi à défaire une modeste force militaire, bien qu’elle ait disposé de tout le temps nécessaire pour le faire?
 
De nombreuses raisons ont été invoquées. L’une d’elles a trait aux personnes : le premier ministre est nul, le ministre de la défense est un bleu, le chef d’état-major est arrogant. Une seconde réponse a trait à l’état de l’armée : elle n’a pas été entraînée pour atteindre les objectifs de la guerre. Et des réponses, nous pouvons en trouver d’autres, et le débat se poursuivra pendant longtemps, témoignant de la profondeur de la crise au lendemain de cette guerre.
 
Or, la réponse décisive n’a aucun rapport avec des développements concrets, quotidiens, mais plutôt avec le processus de fond qui se déroule au sein de Tsahal. Ce processus a débuté il y a de nombreuses années, immédiatement après la guerre des Six jours.

Les résultats de cette guerre ont forcé Tsahal à accomplir une mission nouvelle, non pas militaire mais de police : gouverner les centaines de milliers de Palestiniens résidant dans les territoires nouvellement occupés. Au cours des premières années, quand l’expression absurde « occupation éclairée » était encore communément admise, l’armée a essayé de ne pas se mêler de la vie des habitants, et elle n’a pas eu à déployer de grosses forces pour accomplir des missions de police.

Dans les années 80, la situation a changé pour deux raisons : la première est le processus de création de colonies au coeur de la Cisjordanie, qui a commencé dans ces années-là. L’armée a été forcée de déployer des forces importantes pour les protéger, en particulier les petites colonies isolées qui comptaient plus de soldats que de colons. Le ministre de la défense de l’époque, Itzhak Rabin, décrivait cette situation avec colère : « Quand il y a un cours de danse dans l’une des colonies, je dois envoyer une compagnie pour la protéger. »

Bien plus, les leaders des colons sont devenus en pratique les maîtres de l’armée. Ils avaient le pouvoir politique d’annuler les décisions militaires qui ne leur convenaient pas.

La seconde raison a été le déclenchement de la première Intifada. Jusqu’alors, le prix militaire à payer pour perpétuer l’occupation était relativement faible. Mais depuis lors, il a progressivement grimpé jusqu’à atteindre des hauteurs intolérables. Le terme de « prix » a deux implications. La première est simple : le nombre d’unités qui ont dû accomplir des missions de police a considérablement augmenté. Jusqu’alors, une seule brigade était capable de contrôler la Cisjordanie tout entière. Aujourd’hui, il faut une division. Cette seconde raison est plus profonde et plus complexe : le changement de nature des missions militaires. Avant déjà, l’armée s’occupait de magnifiques opérations comme des fouilles, des arrestations et, à l’occasion, des couvre-feux, mais depuis, elles sont devenues une partie importante de ses missions.

Dans un passé lointain, des expressions comme « les meilleurs à l’école de pilotage », avant-postes militaires et embuscades symbolisaient Tsahal. Aujourd’hui, le symbole de l’action de l’armée, c’est le check point. Le monde des valeurs dont découle le check point témoigne du dangereux processus de corruption qui se déroule au sein de l’armée. Des soldats qui consacrent leur temps à protéger une unique colonie extrémiste, ou à fouiller de malheureux Palestiniens à un lointain check point, sont incapables d’accomplir des missions relatives à la sécurité d’Israël.

Nous avons vu et appris cette amère vérité au cours de la première guerre du Liban : alors, nous avions déjà saisi le prix terrible qu’exige l’occupation. Et aujourd’hui, une autre guerre maudite soulève la question simple : que voulons-nous? Une force de défense ou une force de check point?