Nous publions, en cette veille de Pessah’ (Pâque juive), un article concernant les témoignages de conscrits, publiés il y a plus de 15 jours : [->https://www.lapaixmaintenant.org/article1939]

La publication de ces témoignages avaient convaincu l’armée de procéder à une enquête. Résultat (prévisible) : RAS, circulez, rien à voir, ces témoignages sont, soit de deuxième main, soit « inventés de toutes pièces ».

Dans le monde juif aussi, ces témoignages ont fait grand bruit. Dans cet article, face aux attaques contre son journal, ce journaliste du Ha’aretz se défend contre l’idée que son journal ait « propagé des accusations de meurtres rituels », rien de moins.

Pour savoir ce que sont vraiment ces accusations de meurtres rituels, voir par exemple « Le vrai sang de la Pâque juive » [->https://www.lapaixmaintenant.org/article1533], qui faisait suite à une polémique déclenchée par un professeur israélien, Ariel Toaff.

Et, toujours parce que c’est la veille de Pessah’, alors qu’un gouvernement israélien cauchemardesque est en train de s’installer à Jérusalem, méditer les paroles de la version de « H’ad Gadia » par H’ava Alberstein : [->https://www.lapaixmaintenant.org/article1767]


L’article n’était même pas de moi, mais je n’aurais pas dû être
surpris par le nombre de coups que j’ai pris cette semaine suite à la
publication des informations d’Amos Harel. Les récits d’anciens
élèves de l’académie militaire d’Oranim rapportant leur expérience de
soldats engagé dans la récente opération militaire à Gaza n’allaient
pas s’effacer de sitôt, et quand vous travaillez pour un quotidien
qui a précisément publié le témoignage le plus controversé de
l’année, vous êtes coupable par association. Vous partagez aussi une
certaine fierté. En effet, nombreux sont les officiers de Tsahal,
qu’ils soient d’active ou de réserve, avec lesquels j’ai parlé ces
derniers jours et qui m’ont dit combien cet article avait contribué,
à leurs yeux, à l’ouverture d’un débat public qui aurait dû
s’instaurer de longue date.

Une nuit, en rentrant à la maison et en parcourant la blogosphère
juive, j’ai découvert que j’étais devenu complice d’une
“accusation de meurtres rituels”. Ainsi s’exprime sur son blog l’une
des éditorialistes juives les plus populaires au monde, Mélanie
Phillips, dans deux longs articles intitulés : “L’accusation de
meurtres rituels de Ha’aretz”. En deux longs messages, elle s’acharne
contre Ha’aretz, lui reprochant de publier des rumeurs, des ouï-dire,
d’exagérer les témoignages des soldats, d’être le jouet d’un ultra-
gauchiste notoire (Danny Zamir, le directeur de l’académie d’Oranim),
de déformer la vérité au nom de notre haine contre “l’occupation” et,
pis que tout, de donner du grain à moudre aux ennemis d’Israël.

Il me semble que les Israéliens devraient être reconnaissants aux
Juifs du monde entier prêts à se dresser en défense d’Israël. Dans de
nombreux pays, et particulièrement au Royaume-Uni, ce rôle d’avocat
est une tâche ingrate. À Londres, peu de journalistes juifs connus
sont disposés à porter sans cesse en bandoulière leur cœur pro-
israélien, à l’instar de Mélanie Phillips. Il ne s’agit pas seulement
de l’atmosphère hostile dans laquelle baigne l’État juif ; la tâche
est tout simplement épuisante. Il est rare qu’une semaine s’écoule
sans qu’un ou deux rapports de plus, émanant d’une ONG ou d’une
agence des Nations Unies, ne viennent fustiger Israël pour crimes de
guerre, avec au mieux la mention sommaire des crimes de ses ennemis.
Ainsi, pour la seule semaine dernière, quatre nouveaux rapports
détaillant les atrocités imputées à Tsahal durant l’opération de Gaza
se sont vus publiés.

Représentez-vous un instant la situation : vous venez de passer des
heures sans nombre à décortiquer un rapport de 120 pages, vous avez
traqué ses ambiguïtés et ses hypocrisies, péniblement trouvé quelques
preuves pour réfuter ces condamnations, et voilà qu’une nouvelle
série d’accusations vous tombe dessus. Et là, il ne s’agit plus
d’antisémites masqués ou de pourfendeurs d’Israël ; cette fois, cela
sort de la presse israélienne citant des soldats israéliens. Je peux
comprendre leur exaspération. Mais celle-ci se traduit trop souvent
par des attaques rageuses stigmatisant, comme traîtres à la cause, des
Israéliens sincèrement préoccupés par leur société et les actes de
leur gouvernement.

Prenez Danny Zamir, qui présidait le symposium des anciens élèves de
l’académie d’Oranim et a recueilli leurs témoignages. Depuis 1998,
l’académie qu’il a fondée a préparé des centaines de jeunes gens à
faire leur service dans des unités de combat. Nombre d’entre eux sont
devenus officiers. En 1990, à la tête d’une unité de réserve, il a
refusé d’assurer la protection d’une manifestation de colons à
Naplouse ; il est passé en conseil de discipline et a fait un mois de
prison militaire. Malgré cela, Tsahal a compris que le comportement
moral de l’armée lui tenait sincèrement à cœur. Il est resté en
poste, et a été promu par la suite. Le major Zamir est maintenant
commandant en second d’un bataillon d’élite (dans l’armée de réserve)
et, en tant que directeur de l’académie militaire d’Oranim, il
collabore étroitement avec Tsahal pour former de nouvelles
générations de soldats. Il est aujourd’hui vilipendé, tel un
dangereux subversif, pour avoir donné la parole à ses soldats.

Des discussions semblables à celle de l’académie militaire d’Oranim
ont cours en de nombreux endroits en Israël. La grande majorité des
Israéliens considère toujours que l’intervention à Gaza était
inéluctable et qu’en combattant un ennemi comme le H’amas les pertes
civiles sont inévitables quelles que soient les précautions prises.
Mais celles-ci furent-elles suffisantes ? Ou au contraire
excessives ? Jusqu’à quel point minimise-t-on le nombre de “pommes
pourries” présentes dans n’importe quelle armée ? Toutes ces
questions ne vont pas disparaître.

Ces débats ont lieu dans les facultés, les maisons, les yeshivoth,
les salles à manger des kibboutzim, et aussi au sein de l’armée.
Certains sont enregistrés et vont sortir dans les médias puis, plus
tard, dans des livres. Ces discussions font partie de la culture
israélienne. Certains les appellent “sia’h lo’hamim – dialogues de
combattants”, d’autres les désignent comme “yorim vebokhim – ils
tirent et ils pleurent”. Mais ils font partie intégrante de nos
enjeux de société.

Depuis 40 ans, Ha’aretz estime qu’il est de son rôle d’encourager ce
type de débat. Notre journal n’a jamais caché son opposition à
l’occupation et à l’assujettissement d’un autre peuple ; non
seulement à cause de l’injustice faite aux Palestiniens, mais plus
encore du fait du préjudice moral et matériel ainsi porté à Israël.
Nous nous sommes ainsi exposés à la colère de ceux qui pensaient que
nous servions les ennemis d’Israël. C’est pourquoi seul Ha’aretz a été
la cible de tous les blâmes, bien que les récits des soldats d’Oranim
aient également été rapportés par le quotidien Ma’ariv et la Chaîne 10
de télévision.

J’ai représenté ce journal à l’étranger durant une bonne partie de
l’année dernière, et j’ai été fier de voir le puissant respect dont
il jouit dans le monde. Mais il y eut aussi des moments où je me suis
senti mal à l’aise en entendant les louanges de tel ou tel, à peine
capables de dissimuler leur haine envers mon pays. Aucun d’entre nous
ne travaille à Ha’aretz afin d’être vu comme le “bon Israélien” par
ceux qui mettent d’instinct Israël au banc des accusés. Après la
publication des témoignages des soldats israéliens, Amos Harel a
décliné des dizaines de demandes d’interviews dans des médias
internationaux. Nous savions que ces récits seraient repris par des
journaux et des télévisions, mais nous ne les avons pas publiés à
leur intention. Nous l’avons fait pour nous, Israéliens.

Les Juifs de Grande-Bretagne et d’autres pays qui soutiennent Israël
face à un public hostile sont souvent l’objet d’intimidations : ils ne
pourraient, leur dit-on, être tout à la fois de fidèles partisans
d’Israël et des citoyens loyaux. Ils n’ont donc à s’en prendre qu’à
eux-mêmes lorsque des Juifs sont attaqués en réaction aux “crimes
d’Israël”. À quoi ils répondent à bon droit qu’ils sont citoyens
d’un pays démocratique et que leur soutien est, à ce titre,
parfaitement légitime ; craindre de le manifester serait capituler
devant l’antisémitisme.

« Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient », disent-ils pour
sa défense. Nous le croyons, nous aussi. Mais si nous devions
renoncer à exprimer nos inquiétudes quant au chemin suivi par ce pays
depuis bien trop longtemps, il n’aurait plus grand-chose d’une
démocratie. Et s’il nous fallait nous demander, avant de publier le
moindre article, comment les ennemis d’Israël vont l’utiliser, cela
constituerait sans nul doute la capitulation ultime devant
l’antisémitisme.