Al-Ayyam (Autorite palestinienne), le 3 septembre 2003

traduit et transmis par The Middle East Media Research Institute (MEMRI) (Le titre, le chapeau d’introduction et les intertitres sont de MEMRI)

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Un chroniqueur palestinien sur la politique palestinienne du tout ou rien

A l’occasion du 106eme anniversaire du premier Congres sioniste de Bale,
l’ecrivain palestinien liberal Tawfik Abou Bakr publie un article critiquant
la politique du « tout ou rien » menee depuis des annees par la direction
palestinienne. C’est cette politique qui, selon lui, est responsable de la
situation actuelle. Dans l’article, paru le 3 septembre 2003 dans Al-Ayyam,
quotidien de l’Autorite palestinienne, Abou Bakr affirme que la politique
palestinienne contraste de facon frappante avec celle des sionistes, plus
pragmatique, qui a conduit a la creation de l’Etat d’Israel. Abou Bakr
estime que les Palestiniens auraient du suivre le modele sioniste au lieu de
perdre leur temps en elucubrations irrealistes, et devraient a present
considerer la solution des deux Etats, anticipant celui d’un seul grand Etat
unifie et democratique. Voici quelques extraits de l’article :

Les sionistes n’ont jamais reclame l’impossible

Le 29 aout 1897 est la date du premier Congres sioniste de Bale, en Suisse.
Ce Congres a marque la naissance du sionisme politique, qui a abouti a un
Etat 50 ans plus tard.
Au Congres, Herzl a dit : « Nous etablirons un Etat d’ici cinquante ans »‘
[Ces mots] n’etaient qu’une prophetie heureuse qui aurait [tres bien] pu
faire place a un cauchemar ou ne porter aucun fruit, si la politique
sioniste ne s’etait revelee appropriee, et la notre inadaptee. [Les
sionistes] ont exploite toutes les occasions pour faire de l’histoire de ces
cinquante annees intermediaires une suite d’opportunites dont ils ont tire
le maximum. Les sionistes n’ont jamais demande l’impossible, n’ont jamais
place l’ideologie en tete de leurs priorites, preferant adopter une
politique pragmatique dans toutes leurs alliances. L’equipe dirigeante du
mouvement sioniste, menee par David Ben Gourion, a decide d’oeuvrer pour
[etablir] un Etat juif sur n’importe quelle partie de la terre faussement
promise qu’ils parviendraient a usurper.

Ceux qui se faisaient appeler les « revisionnistes », menes par Jabotinsky,
puis par Menahem Begin, Itzhak Shamir et leurs heritiers, reprochaient a
[Ben Gourion et ses partisans] d’etre soumis, de courber la tete, de se
contenter de peu et d’avoir renonce au reve du « retour a Sion », qui signifie
un Etat sur tout le [territoire] de la terre promise. C’est la meme
accusation, jusque dans sa formulation, que les Palestiniens extremistes
adressent aujourd’hui aux Palestiniens moderes.

Si ce groupe [des revisionnistes] avait gagne -ce que j’aurais souhaite -,
l’Etat d’Israel n’aurait jamais ete cree, parce qu’ils se seraient entetes
dans une politique du « tout ou rien », malgre l’impossibilite d’atteindre
instantanement tous les objectifs. Ils ont sacrifie l’impossible pour le
possible. Comme l’a dit Ben Gourion en 1937 : « Je veux un Etat, n’importe
quel Etat, meme s’il doit avoir la taille d’une nappe. »

Nous avons laisse passer toutes les chances

Nos dirigeants d’alors ont permis [aux sionistes] de tirer profit de chaque
occasion, avec leur politique du « tout ou rien », rejetant toute proposition
de compromis, toute proposition d’Etat sur la majeure partie de la terre de
Palestine (car en cette periode on n’offrait aux Juifs de Palestine rien de
plus que l’autonomie).
Mais nous leur avons donne des coups de pied [aux propositions]. Nos
dirigeants a l’esprit pur ont donne un coup de pied dans le Livre blanc de
1939, qui interdisait l’immigration juive en Palestine pour cinq ans.
L’immigration juive etait [pourtant] la source du mal et le seul fondement
humain a la creation de leur Etat. Nous avons tout rejete. A cette epoque,
nous avons detruit toutes nos chances. Le pire est que nous l’avons fait de
sang froid. Si [les sionistes] avaient eu des dirigeants de cette espece,
ils n’auraient jamais eu d’Etat, ni [meme] de demi-Etat.

J’ecris ces choses-la maintenant car je suis optimiste face a la direction
palestinienne actuelle, qui a decide en 1974 au 12eme Conseil national
palestinien de renoncer a la politique du « tout ou rien », de lutter pour
obtenir ce qui peut etre obtenu, sans le vendre a l’impossible. La direction
palestinienne a suivi cette politique pendant longtemps, remportant de
nombreux succes : elle a recupere une partie de la terre, a entrepris la
construction d’une unite nationale, accomplissant des progres considerables.

Quand il est devenu possible de creer un Etat, en 2000, nous sommes
retournes a la politique du « tout ou rien ».

[Mais] le jour ou il a ete question d’Etat, avec l’initiative Clinton a la
fin de l’an 2000, quand l’heure de verite a sonne, nous sommes retournes a
la politique du « tout ou rien ». Nous avons dementi tous nos propos de ces
trente dernieres annees, retournant a la case depart. Voila la catastrophe
qui nous a menes au desastre actuel, dont on peut temoigner dans chaque
ruelle, chaque rue de notre territoire.
J’ecris cela maintenant parce que j’ai entendu des responsables palestiniens

 dont certains appartiennent a l’OLP – parmi ceux qui ont profite d’une
apparition sur les chaines satellite, faire les coqs jusqu’a ce que la
derniere etoile disparaisse, repetant qu’Israel est un Etat vieillissant,
qui n’en a plus que pour une dizaine d’annees, alors que nous sommes encore
dans notre prime jeunesse.
Il est difficile de trouver une culture plus profondement ancree dans l’auto
illusion que notre culture arabe et palestinienne, une culture de reves
eveilles au beau milieu d’un ete brulant. Les gens se raccrochent a leurs
beaux reves, se convainquant que la situation est ce qu’elle est parce
qu’ils n’ont pas reussi a realiser tous leurs reves.

La schizophrenie est un mal tres repandu sur notre terre

La schizophrenie est un mal tres repandu sur notre terre, qui touche nos
jeunes gens perturbes. L’individu voit deux images : l’une reelle et l’autre
imaginaire. Les nations et les peuples, a l’instar des individus s’evadent
dans le monde des reves dans leurs moments de faiblesse. Au lieu de fournir
un travail serieux et minutieux, ils inventent des faits qui font petit a
petit pencher la balance, vendant des reves portant sur l’effondrement
imminent de l’ennemi.
Les jours precedant la guerre de juin 1967, nos medias ont evoque les
« laches » [en reference aux Israeliens] qui prenaient la fuite sitot
confrontes a nos heroiques lions. Un officier israelien qui m’avait capture
au cours de la « guerre de la promenade des tanks » ou « guerre de luxe », comme
ils l’appelaient, m’a demande : « Existe-t-il des preuves de notre lachete? »
Apres quoi, j’ai entendu la radio evoquer la fuite des laches : leur
conquete d’une region trois fois plus grande que leur Etat, avec un minimum
de moyens. Cette auto-illusion se poursuit jour apres jour.

Je ne peux pas, en ce jour anniversaire de la politique sioniste, ecrire que
le plan du Congres sioniste de Bale a ete un succes total, vu que les deux
tiers des Juifs dans le monde vivent en dehors d’Israel et que le principal
but [de la politique sioniste] etait, et demeure, le rassemblement de tous
les Juifs du monde en Palestine. Et ce n’est pas tout : au coeur de notre
terre, les sionistes ont cree un Etat arme jusqu’aux dents et muni de tous
les types d’armes, pourtant incapable d’assurer la securite de leur peuple.

C’est le point auquel je voudrais en venir : dans une telle situation, la
seule solution est de parvenir a un equilibre des interets, sans se
rattacher a l’equilibre des forces ; la seule voie est la vie ensemble dans
deux Etats. Une situation qui durera des annees, et marquera le debut de la
vie commune dans un seul Etat democratique, conformement a la devise de
l’OLP de la fin des annees 60 et du debut des annees 70.

Tout le monde doit pouvoir comprendre cela, et le plus tot sera le mieux.
Autrement, le sang continuera de couler sur la terre des prophetes pendant
les decennies a venir pour, en fin de compte, aboutir au meme resultat : la
vie ensemble, aucun des cotes n’etant en mesure de neutraliser l’autre.

Pourquoi ne pas mettre fin aux flots de sang et donner de l’espoir a nos
deux peuples? Pourquoi glorifions-nous les amants de la mort et non ceux de
la vie? Voila la grande question. Nous avons un important defi a relever.