Common Ground, 10 août 2007

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Aujourd’hui, pour la première fois depuis 7 ans, je suis entrée légalement à Jérusalem. J’ai une carte d’identité verte de résidente palestinienne de Cisjordanie, ce qui signifie que depuis le début de l’Intifada en 2000 et la construction du Mur, il m’est interdit d’entrer en Israël, y compris à Jérusalem, qui n’est qu’à 20 minutes de chez moi, à Ramallah.

Cela ne m’empêchait pas d’y aller. J’escaladais les collines sablonneuses face au check point de Qalandiya (principal check point à l’entrée de Jérusalem), me cachais derrière les bâtiments pour échapper à la vue des soldats israéliens, et m’introduisais à Jérusalem. Le risque valait la peine, pour pénétrer dans la ville, marcher une journée dans la Vieille Ville, être dans le monde de l’autre côté du Mur.

Il était aussi important pour moi de voir des Israéliens, pouvoir entrer en contact avec eux et les voir sans uniforme militaire. C’était important pour ma santé mentale. J’avais besoin de me débarrasser de l’image d’une nation de monstres en uniformes verts.

Mais aujourd’hui, c’était différent. J’avais reçu un permis pour accompagner ma mère à l’hôpital pour une chimiothérapie, traitement qui n’existe pas à Ramallah ni dans aucune autre ville de Cisjordanie. En gros, le cancer m’avait donné un feu vert pour pénétrer dans Jérusalem.

Le voyage a débuté très tôt le matin. En arrivant à Qalandiya, où les Israéliens contrôlent les déplacements entre Ramallah et Jérusalem (et qui tient aujourd’hui bien plus d’une frontière ou d’un terminal que d’un check point), nous avons dû préparer nos cartes d’identité vertes et nos permis, passer par un détecteur de métaux, puis montrer les cartes et les permis à un soldat à travers une vitre, qui entrait les données dans un ordinateur. Alors que j’appuyais ces papiers des deux mains contre la vitre, je n’arrivais pas à penser à autre chose que : « Je hais l’occupation, je hais le cancer, et je hais ce besoin désespéré que nous avons de cette ville et de cet hôpital. »

Après avoir traversé cette frontière, il y a eu un espace, vaste et vide. Nous l’avons traversé et cherché un taxi pour nous conduire à l’hôpital. La première question du chauffeur de taxi a été : « cartes vertes (palestiniennes) ou jaunes (israéliennes)? » A la réponse « vertes », nous avons dû prendre une route différente, beaucoup plus longue. La couleur des cartes d’identité détermine sur quelles routes on peut ou non circuler, vers et autour de Jérusalem.

L’hôpital était immense, et était constitué d’un grand nombre de bâtiments, plutôt anciens. C’était un hôpital typiquement israélien, avec détecteurs de métaux, drapeaux israéliens à l’entrée, et dans le hall, de grandes photos des « pionniers » de l’Etat d’Israël. Rien de particulièrement inhabituel. On peut appréhender la structure de la société israélienne rien qu’en circulant dans l’hôpital. Les gardiens sont palestiniens, les médecins israéliens. A l’étage de l’unité d’oncologie, des travaux de rénovation étaient en cours. Les ouvriers, bien sûr, étaient palestiniens.

L’unité d’oncologie est stérilisée, et il y a de nombreuses infirmières. Après avoir parlé au médecin, nous nous sommes dirigées vers une section où ma mère devait recevoir une intraveineuse et commencer sa chimiothérapie. Mais nous avons alors appris que la pharmacie de l’hôpital ne reconnaissait pas l’assurance de ma mère parce qu’elle était payée par l’Autorité palestinienne. Un imbroglio bureaucratique s’en est ensuivi, mais quelqu’un est venu à notre secours : Rivka.

Rivka est une infirmière israélienne, dans les 30 ans. Elle travaille à plein temps dans l’unité d’oncologie et administre les soins. Elle était l’une des rares dans toute l’unité à parler anglais, et elle s’est battue contre la moitié de l’équipe pour faire reconnaître l’assurance de ma mère. Devant ma mère, elle a fait face à la responsable administrative, et a hurlé en hébreu sur deux employés qui avaient besoin d’une signature supplémentaire avant de préparer la dose. Toute la journée, elle s’est assurée qu’on s’occupait de ma mère et qu’on répondait à toutes les questions.

L’unité d’oncologie de l’hôpital Sha’arei Tsedek de Jérusalem est l’un des très rares endroits où Palestiniens et Israéliens sont humains les uns envers les autres. J’ai pu sentir beaucoup de gentillesse et d’amitié. A cet étage, tout le monde avait envie de contact. Le dehors, les murs, les check points, la haine, tout cela était oublié.

Quelques-uns de mes amis, ma tante et moi étions assis auprès de ma mère pendant ces quelques heures. Alors que le médicament s’infusait lentement dans son système sanguin, nous avons parlé du cancer, de Jérusalem, d’énergie positive, de Washington, de mon appartement et d’un million d’autres choses. Dans la salle d’oncologie, les conversations se tenaient en arabe, en anglais, en hébreu, et parfois même en russe. Personne ne semblait prêter attention à l’entrelacs des accents et des langues.

A la fin du traitement, Rivka est venue dire au revoir à ma mère. Maman lui a demandé si elle serait là le lendemain. Rivka a répondu que, malheureusement, c’était son jour de congé. Maman a ri : « C’est bien ma chance, vous ne serez pas là. » J’ai su que, pendant ce bref moment, ma mère avait oublié le check point, la détérioration de son hébreu (la langue de l’occupant) et les couvre-feu sans fin. Elle ne se souvenait que de Rivka, la gentille infirmière qui lui avait rendu sa journée un peu plus facile.

Avant de rentrer à Ramallah, nous avons fait un détour par le Mont des Oliviers et la Vieille Ville. Jérusalem n’avait plus cet air familier, douillet ou à couper le souffle, mais je n’ai pu m’empêcher de penser que, quelque part dans Jérusalem Ouest, il y a un hôpital vieillot où persistent la compréhension et peut-être même une étrange forme d’amour.