Ha’aretz, 30 octobre 2009

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/1124689.html]

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’aspect le plus intéressant du débat autour du rapport Goldstone n’a éveillé aucune attention. Le gouvernement [israélien] et ses partisans ne s’occupent que des dégâts causés en termes d’image, et de la façon de contrer les critiques de la communauté internationale. La question de savoir ce qui s’est réellement passé à Gaza est considérée comme entachée d’antisémitisme. La conscience toujours tranquille de l’Israélien moyen la balaye d‘un revers de main. Mais plus le temps passe, plus l’aspect légal sera évité, et plus ce sera la dimension morale du rapport qui sera gravée dans notre conscience et celle du monde.

Chacun comprend que l’opposition de l’armée à une enquête sur les accusations portées contre elle a une seule et unique raison : il y a quelque chose à cacher. Il existe pourtant un moyen simple de convaincre les gens que d’autres investigations ne sont pas nécessaires : la publication par l’armée des siennes propres. L’acte public est l’un des fondements de l’Etat de droit. Il n’y a aucune raison de croire l’armée davantage que n’importe quel organisme public. Tout ce qui reste à faire est donc de présenter les faits à l’opinion.

Mais cette méthode a deux facettes. D’un côté, en principe, tout est connu. Les directives remises par la troïka (premier ministre, ministre de la défense, chef d’état-major) étaient claires comme le jour. L’armée devait accomplir sa mission sans pertes, et en même temps briser le moral de la population gazaouie, la punir pour les actions passées et dissuader les radicaux comme les civils contre toute provocation future. C’est là l’autre face du problème, et le talon d’Achille d’Israël : l’opération à Gaza a été une campagne d’intimidation et de punition. C’est la raison pour laquelle Ehoud Barak et Gadi Ashkenazi, le chef d’état-major, refusent d’autoriser toute enquête auprès de l’échelon opérationnel. On peut raisonnablement supposer qu’à toute question posée à un officier sur le terrain, il sera répondu que la mission a été effectuée en accord avec les ordres approuvés à l’avance par les autorités compétentes. Cela concerne l’avocat général militaire et le ministre de la justice, dont on peut supposer qu’ils ont été mis au courant. Ce n’est pas une coïncidence si Daniel Friedmann, qui était ministre de la justice au moment de l’opération à Gaza, a attaqué le rapport Goldstone en parlant de vengeance.

De même, tout ce qui reste à faire pour contrer les critiques, aussi dures et justifiées soient-elles, est de répondre aux accusations précises de crimes de guerre. L’argument coup de balai selon lequel Tsahal est totalement irréprochable n’est pas plus convaincant que les accès de rage auto justificatrice des dirigeants israéliens. Beaucoup de gens sont écoeurés par la demande d’Israël de changer les règles de la guerre. Car que veut Israël ? La permission de s’en prendre sans crainte à des centres de populations désarmées, par des avions, des chars et de l’artillerie ? La probabilité que des institutions internationales accèdent à cette demande est d’ailleurs nulle.

L’armée devra trouver un moyen terme entre les méthodes des Britanniques en Irlande du Nord, qui ont concentré leur action sur le découplage entre les terroristes et la population en général, et la méthode israélienne qui fait porter la responsabilité du terrorisme sur toute la population. Car c’est cette méthode qui mène à des horreurs comme les enfants tués, les familles entières décimées, sans parler de la destruction d’infrastructures civiles et de moyens pour la population de gagner son pain. Ainsi, la responsabilité, morale et politique, repose sur le gouvernement israélien et les hautes sphères militaires qui, de toute façon, contrôlent le gouvernement depuis de nombreuses années. Des sanctions sont inévitables et, comme d’habitude, grande sera la tentation de faire porter le chapeau au lampiste, c’est-à-dire à l’officier sur le terrain. La responsabilité appartient toujours, au premier chef, à ceux qui ont lâché les rênes.

Néanmoins, cela n’absout pas de leur responsabilité ceux qui ont commis des actes criminels, s’il y en a eu. Ce n’est pas le rapport Goldstone qui a ouvert une phase douloureuse supplémentaire dans l’érosion de la crédibilité d’Israël, mais plutôt l’attitude désinvolte, ici, à l’égard des lourdes pertes palestiniennes. Au sein de larges cercles de l’intelligentsia, et Europe de l’Ouest et en Amérique – dans les universités, chez les personnalités de la culture et des médias, Israël éveille de plus en plus d’hostilité.

Avoir des amis est une force, disait Thomas Hobbes vers le milieu du XVIIe siècle, mais les amis d’Israël se raréfient. Même ceux qui demeurent, si l’on excepte les habituels porte-parole et thuriféraires, ont du mal à légitimer le fossé qui sépare les capacités des deux côtés. La plupart ont aussi du mal à comprendre la conscience tranquille de « la seule démocratie du Moyen-Orient », qui n’hésite pas à occuper et assiéger tout un peuple, tout en se présentant, comme toujours et quelle que soit la situation, comme l’innocente victime des non-juifs hostiles.