Ha’aretz, 8 juin 2007

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/868469.html]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’un des aspects les plus incompréhensibles de la politique d’Israël depuis cinq ans est que ni les gouvernements Sharon, ni les gouvernements Olmert, n’ont pris sérieusement en considération l’initiative de paix saoudienne. Depuis sa création ou presque, Israël n’aurait pu rêver mieux que d’une offre qui parle explicitement de la paix, de la reconnaissance du droit d’Israël à exister et d’une normalisation de ses relations avec le monde arabe. Alors, pourquoi Ehoud Olmert ne fait-il que semblant de s’y intéresser, et pourquoi Ariel Sharon n’a-t-il jamais fait savoir qu’il la prenait au sérieux?

Il y a de bonnes raisons de croire que l’initiative saoudienne, ratifiée par la Ligue arabe, répond à des intérêts solides et tangibles du côté arabe. Les Saoudiens et d’autres régimes dans la région craignent que le Moyen-Orient soit plongé dans le chaos si la tendance au morcellement sectaire et la montée des mouvements islamistes ne sont pas stoppées. Pour eux, le conflit israélo-palestinien est l’un des facteurs les plus puissamment déstabilisateurs dans la région, et ils ont de bonnes raisons de croire qu’il nourrit l’extrémisme islamiste. Le monde arabe a atteint le point où il est en train de se joindre à la légitimation internationale d’Israël donnée par la résolution des Nations unies de 1947 sur le plan de partage, car il a cessé de croire qu’il est de son intérêt de refuser l’existence d’Israël.

Alors, pourquoi Israël ne répond-il pas à l’initiative de paix saoudienne? Cette initiative, comme toute autre proposition arabe susceptible d’apparaître, demande une « solution juste au problème des réfugiés ». Or, la peur profondément présente en Israël est que cette insistance arabe de trouver une solution au problème des réfugiés, au bout du compte, ne soit qu’un stratagème destiné à effacer l’Etat juif de la carte, non plus par des moyens militaires mais démographiques, par plusieurs millions de Palestiniens qui afflueraient en Israël.

Toutefois, des modèles existent pour la résolution de ce problème. En privé, des Palestiniens influents disent souvent que pour le droit au retour des réfugiés, il s’agit bien plus d’une acceptation par Israël d’une responsabilité morale pour la Nakba que d’un retour physique de Palestiniens à l’intérieur des frontières de 1967. L’accord Beilin-Abou Mazen de 1995 a d’ailleurs donné à ce point de vue une expression semi-officielle.

Ici, je pense, se trouve la raison profonde qui explique l’hésitation d’Israël à répondre de manière plus active à l’initiative saoudienne. En Israël, le discours public et la conscience nationale n’ont jamais accepté l’idée, corroborée pourtant aujourd’hui par des historiens de tous horizons, qu’Israël a chassé de chez eux, activement, 750.000 Palestiniens en 1947/48, et qu’il a donc au moins une responsabilité partielle dans la Nakba palestinienne.

Jusqu’à ce jour, cela ne s’est pas produit, parce qu’on considère que cette idée saperait les fondations du sionisme et la légitimité de l’existence d’Israël. C’est comme si nous étions enfermés dans un dilemme insoluble : ou bien nous rejetons toute responsabilité pour la Nakba, ou bien nous devons accepter l’idée que nous n’avons aucun droit à vivre ici.

C’est là la source profonde de la peur qui empêche Israël de rencontrer le monde arabe face à face et de lui dire : « Nous sommes ici, et nous pensons que vous acceptez notre existence. » Israël n’ayant pas encore accepté sa part de responsabilité historique pour la Nakba palestinienne, il ne peut pas réellement croire que les Arabes puissent accepter sa présence au Moyen-Orient. Nous sommes enfermés et oscillons entre une image de nous-mêmes de totalement bons et de totalement mauvais. Et ainsi, nous perpétuons l’occupation des territoires, avec toutes les horreurs qu’elle comprend, parce que l’idée qu’Israël soit coupable de quelque chose est toujours immédiatement associée au refus de notre droit de vivre ici.

La seule manière de sortir de cette impasse est de soulever publiquement la question de savoir comment Israël peut vivre avec sa responsabilité pour la Nakba. Le dilemme « soit nous sommes moralement irréprochables, soit nous n’avons aucun droit d’être ici » doit être remplacé par une version de l’Histoire qui accepte que la responsabilité morale, historique et politique d’Israël est aussi complexe et multi-factorielle que celle de la plupart des autres nations.

Dans un monde idéal, un homme d’Etat israélien (produit rare à l’ère des simples politiciens) arriverait et dirait aux Palestiniens : « Israël est né dans des circonstances tragiques qui ont infligé à votre peuple de graves souffrances et injustices. Nous assumons notre part de responsabilité dans cette tragédie, même si nous ne pouvons pas la réparer totalement. Négocions ensemble et voyons comment il est possible d’en finir avec ce cercle vicieux des violences et des souffrances, et de vivre côté à côte. »

Il est probable que cela n’arrivera pas dans un futur proche. Un politicien israélien juif qui tiendrait de tels propos deviendrait inéligible. Il revient donc à la société civile de porter cette question à la conscience du plus grand nombre. Autrement, les politiques d’Israël continueront à manquer de toute créativité et de tout horizon politique, et nous raterons des chances historiques qui pourraient ne plus se représenter.