Le 13 juin se tiendra à Paris au Conseil économique, social et environnemental (CESE), un évènement qui réunira de la société civile israélienne et palestinienne – avec la participation de personnalités et associations françaises dont LPM et JCall- en soutien à la solution à deux États, à la paix régionale et à la sécurité. Cet évènement, prélude à la Conférence internationale de haut niveau pour la mise en œuvre de la solution à deux États, initiée et co-présidée par la France et l’Arabie saoudite qui se tiendra du 17 au 20 juin 2025 aux Nations unies à New York, devrait se conclure sur un « appel à l’action » à la communauté internationale en vue d’une solution au conflit basée sur le principe de deux États.
Comme l’a écrit justement Le Forum de Paris sur la paix qui organise cet événement: « Alors que la région est en proie à une violence extrême, à une catastrophe humanitaire, à la haine et à l’injustice, et que la solution à deux États est confrontée à des menaces existentielles, il est temps d’agir de manière résolue. L’événement soulignera l’urgence d’un cessez-le-feu immédiat et permanent, du retour de tous les otages et de la reprise de l’aide humanitaire sans entraves pour Gaza. Il affirmera également l’importance de trouver une voie vers la création d’un État palestinien viable, avec de solides garanties de sécurité tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. »
On peut d’ores et déjà porter à l’actif de ces rencontres l’attention renouvelée à la solution à deux États – et donc à la reconnaissance d’un État palestinien – alors que la situation sur le terrain semble sans issue. C’est dans ce contexte que nous avons appelé à la reconnaissance par la France de la Palestine (https://www.lapaixmaintenant.org/oui-il-est-temps-de-reconnaitre-letat-de-palestine/) . De très nombreuses publications ont a contrario exprimé une opposition de principe à une telle reconnaissance ou bien ont mis en doute la possibilité et l’intérêt d’un tel acte diplomatique. Un contre-argument récurrent est celui de la prime au Hamas que constituerait une telle reconnaissance. Cet argument ne nous semble pas pertinent pour au moins deux raisons essentielles.
La première est que le Hamas n’a pas déclenché le massacre du 7 octobre pour obtenir la reconnaissance de la Palestine. N’oublions pas l’intitulé de l’opération qui témoigne de sa nature : opération Déluge d’al-Aqsa. La motivation première se situe dans le champ religieux, outre la volonté, d’ordre religieux également, d’éradiquer la présence juive en terre d’islam. Si objectif politique il y avait, il n’était pas de nature « palestinienne » mais, plus largement, il visait à empêcher l’Arabie saoudite de rejoindre les accords d’Abraham, conformément à la volonté iranienne. Il est clair par ailleurs qu’une reconnaissance de la Palestine se ferait, compte tenu de la situation internationale et des prises de positions des principaux acteurs, y compris régionaux, contre le Hamas, au prix de sa marginalisation, à défaut d’obtenir une complète mise à l’écart. C’est une Autorité palestinienne renouvelée qui probablement tirerait les marrons du feu, et non le Hamas, si une telle reconnaissance advenait. Notons en ce sens que Mahmoud Abbas vient tout juste d’adresser le 10 juin à Emmanuel Macron et au prince héritier saoudien Mohammed ben Salman une lettre dans laquelle il condamne l’action du Hamas et se déclare favorable à ce que ce dernier « dépose ses armes » et « ne dirige plus Gaza » dans le cadre d’un futur État palestinien.
La seconde raison pour laquelle nous récusons l’argument de « prime au Hamas » est que, de fait, ce qui constitue une réelle prime au Hamas est sans conteste la poursuite de la guerre, des destructions et des victimes en masse qui l’accompagnent. C’est l’intérêt du Hamas qui sait que tant que la guerre se poursuit, il n’a aucun compte à rendre à la population palestinienne qu’il prend en otage, qui lui sert de bouclier et qui paye le prix de sa folie meurtrière. Affaibli aujourd’hui par les coups considérables et incontestables qu’il reçoit, le Hamas a pleine conscience qu’il prépare sa relève avec une génération meurtrie, animée d’un esprit de vengeance et surtout sans horizon ni avenir si rien ne se produit. Cet intérêt du Hamas rejoint celui de Netanyahu et de son gouvernement le plus exécrable que le pays ait connu : la guerre le protège des conséquences de son irresponsabilité, de ses procès et assure sa survie politique, momentanée car tout a une fin tant les guerres que les hommes.
Il y a donc urgence de remettre une solution politique au premier plan et c’est pourquoi l’initiative franco-saoudienne nous semble bienvenue et pertinente, en ce sens qu’elle aspire non pas à se limiter à la seule reconnaissance symbolique de l’État de Palestine mais à initier un processus global. Comme cela a été précisé par la conseillère du Président de la République lors d’une réunion de travail préparatoire le 23 mai dernier à New York : « Pour la France, cette feuille de route doit garantir la sécurité d’Israël et son intégration régionale et répondre à l’aspiration légitime des Palestiniens à disposer d’un Etat. Nous devrons donc bâtir un cadre robuste et crédible pour le « jour d’après » à Gaza : travailler à désarmer et à écarter le Hamas, qui ne doit plus constituer une menace pour Israël, définir une gouvernance crédible et réformer l’Autorité palestinienne. »
Nous ne pouvons que nous étonner de certains appels au Président de la République à renoncer par avance à l’une des composantes de l’initiative franco-saoudienne avant même qu’elle ne soit lancée. Quelles sont les mesures alternatives proposées tenant compte de l’urgence politique et éthique tant à Gaza qu’en Cisjordanie où les colons font la loi et régner la peur? « Soutien à tous les processus de paix, adossés sur le dialogue entre les parties » peut-on lire ici ou là, alors que l’on sait que ce dialogue est actuellement impossible, inexistant, refusé notamment par Netanyahu et son gouvernement, s’agissant du Hamas mais aussi de l’Autorité palestinienne.
L’initiative franco-saoudienne visant à relancer un processus, qui implique certes la reconnaissance de la Palestine mais ne s’y limite pas, est actuellement la seule « sur le marché ». Il importe de lui donner sa chance. Elle fait écho à la revendication grandissante d’une majorité de la société civile israélienne qui réclame la fin de la guerre et le retour des otages et se mobilise également contre la folie messianique de recolonisation de Gaza et d’extension de celle qui prévaut dans les territoires occupés.
Ilan Rozenkier