L’Operation Mur Protecteur a produit un profond changement dans le debat
public en Israel, et redessine les lignes de demarcation entre la droite et
la gauche, qui s’etait brouillee durant la decennie des accords d’Oslo et de
la confrontation brutale avec les Palestiniens. La droite pousse aujourd’hui
a la reoccupation des territoires, tandis que la gauche pousse a une
solution imposee, avec l’aide d’une force internationale. Occupation ou
internationalisation : voila les parametres qui dicteront a partir de
maintenant le debat public en Israel.

Les deux approches ont en commun de reconnaitre qu’il n’y a plus de
perspective de parvenir a un accord avec les Palestiniens. Ni un accord
definitif, ni un accord provisoire, ni meme un cessez-le-feu provisoire.
Tout cela n’est peut-etre pas nouveau, mais l’operation dans les territoires
a provoque l’effondrement des structures gouvernementales palestiniennes, et
mis fin au concept de « radjoubisation », le modele de securite (le mot est
forme a partir du nom de Djibril Radjoub, chef de la securite preventive
palestinienne en Cisjoordanie) qui placait la bataille contre le terrorisme
entre les mains de sous-traitants palestiniens, en echange de benefices
personnels et economiques, et de vagues promesses politiques.

L’operation touche maintenant a sa fin, mais Israel est toujours coince avec
le meme vieux probleme : qui s’occupera de la securite dans les villes
palestiniennes une fois l’armee partie? Laisser un vide, c’est creer une
serre ou poussera le terrorisme. A l’interieur de Tsahal, il est question de
reconstruire la capacite des Palestiniens et d’instituer des mecanismes d’un
« format different », afin que quelqu’un puisse puisse prendre ses
responsabilites, et bien plus, puisse etre blame en cas d’echec. La
direction palestinienne n’a pas tres envie de tomber dans ce piege, d’ou son
opposition au document de cessez-le-feu elabore par l’emissaire americain
Anthony Zinni, et le marchandage entete de Yasser Arafat avec le Secretaire
d’Etat Colin Powell.

En l’absence d’un gouvernement palestinien fort, deux forces peuvent prendre
en charge la securite. La droite israelienne veut prendre un virage
historique, bouter Arafat hors des territoires, et ramener les territoires a
la situation dans laquelle ils se trouvaient avant Oslo. C’est la ligne qui
prevaut, non seulement a l’Union Nationale (extreme-droite, ndt), mais meme
chez un parti de centre droit comme Shas, dont le leader, Eli Yishai, a
appele a la reconquete de la Cisjordanie. Comme la droite israelienne n’a
jamais montre beaucoup d’enthousiasme pour Oslo, le retour a l’occupation ne
constitue pas vraiment une revolution conceptuelle.

La gauche, qui a fait reposer sa politique sur une alliance avec Arafat,
s’est perdue apres le coup subi a Camp David et l’eruption de l’intifada.
L’ancien ministre des affaires etrangeres Shlomo Ben-Ami (travailliste) et
le leader du Meretz Yossi Sarid ont ete les premiers a reclamer une
intervention internationale a la place d’un accord entre les parties
impliquant le retrait des territoires et l’avenement d’un Etat palestinien
independant.

Yossi Beilin (travailliste), qui s’en tenait a l’idee d’un accord et s’etait
prononce violemment contre une separation unilaterale et a une
internationalisation, a recemment change de position. Dans l’etat actuel des
choses, Beilin soutient le deploiement d’une « force internationale
importante qui remplacerait l’Autorite palestinienne et preserverait la
tranquillite », et si la gauche retourne au pouvoir, il propose qu’une annee
soit consacree a des negociations, et qu’en cas d’impasse totale, il soit
procede soit a une separation, soit a une internationalisation.

Les trois leaders du gouvernement d’union nationale sont encore pris dans un
no man’s land politique, et continuent a declamer les anciens discours. Le
Premier Ministre Ariel Sharon a etudie l’eventualite d’une nouvelle
occupation, et de la reinstallation de l’Administration Civile dans les
territoires, et il est parvenu a la conclusion que cette mesure serait d’un
cout prohibitif. Ses paroles vont contre une intervention etrangere, mais
ses actes y conduisent, en acceptant une equipe d’observateurs europeens
dans les territoires, en acceptant la presence de superviseurs americains,
et en appelant a une conference regionale. Le Ministre des Affaires
Etrangeres Shimon Peres a dit cette semaine qu’Israel devait faire
d’extremes efforts afin d’eviter une solution imposee, et parle d’un vague
« horizon politique ». Et le Ministre de la Defense Benjamin Ben-Eliezer? Il
s’en sort, comme d’habitude, en parlant d' »entrer dans un processus
politique » qui serait suivi d’une sorte d’accord, d’une certaine maniere, ou
peut-etre pas.

L’Operation Mur Protecteur se termine par une enorme chance politique qui a
ete gachee. Dans de nombreux pays, le terrorisme palestinien s’est vu
accorder une legitimation, en tant que querre de liberation nationale, les
operations militaires israeliennes ont perdu leur justification morale, et
des hommes d’Etat comme Powell et Javier Solana n’attendent plus que de se
debarrasser a la fois d’Arafat et de Sharon. Au sein de la communaute
internationale, il y a une tendance croissante a intervenir et a retablir
l’ordre, sans demander la permission a ces Israeliens et a ces Palestiniens
irresponsables. Le Secretaire General de L’ONU Koffi Annan a deja appele au
deploiement d’une force internationale dans les territoires, sur la meme
base que celle postee en Afghanistan, sans attendre l’accord des parties.