Instaurer officiellement la souveraineté sur les colonies aurait au moins l’avantage de dissiper l’écran de fumée qui cache l’annexion  effective actuellement en cours.

Auteur : Lior Amihai, Directeur de « Shalom », Haaretz, 2 octobre 2025

Traduction : Dory groupe WhatsApp

https://www.haaretz.co.il/opinions/2025-10-02/ty-article-opinion/.premium/00000199-9b65-dc12-a5df-9b6f06d00000?utm_source=App_Share&utm_medium=Android_Native&utm_campaign=Share&fbclid=IwdGRzaANMu6tjbGNrA0y7p2V4dG4DYWVtAjExAAEee2EGTB5eYQOfOyVBtMhcM8RCnOitfVaz4RDZGoxIGT4yH7cs_UieRF_Bznk_aem_4C3cB5NAiR5gARUKq-74sQ&sfnsn=scwspwa 

Illustration : Eran Wolkowski

Mis en ligne le 5 octobre 2025


Le gouvernement israélien menace une fois de plus la Cisjordanie d’« annexion », c’est-à-dire d’y imposer sa souveraineté, dans sa totalité ou partiellement, sans  accorder l’égalité des droits aux Palestiniens. Que cette menace se réalise ou que le président américain l’empêche, il faut comprendre que l’annexion a déjà eu lieu et se poursuit. Ce processus d’annexion est comparable à de l’encre versée dans un bol d’eau. Il faut du temps pour que l’encre se mélange complètement à l’eau du bol, mais le processus est déjà en cours. L’application de la souveraineté formelle menace de révéler plus clairement la véritable politique du gouvernement israélien, ce qui pourrait renforcer la lutte contre elle.

En 2020, l’organisation Yesh Din (que je dirigeais à l’époque) a publié une prise de position qui mettait en garde contre les conséquences d’une annexion formelle. L’inquiétude était réelle. Non seulement on a promu cette initiative à droite, mais le Premier ministre alternatif, Benny Gantz, l’a aussi soutenue, tandis que l’opposition hésitait. Le document affirmait que l’annexion constituait une grave violation du droit international, qui établit une distinction entre l’État d’Israël et les territoires de Cisjordanie. Elle impliquerait l’administration directe d’un groupe sur un autre, tout en renforçant le régime d’apartheid. La crainte d’une administration directe réside dans le fait que les besoins et les intérêts des Palestiniens, en tant qu’individus et en tant que groupe, ne soient absolument pas pris en compte dans les décisions de l’État d’Israël, qui agirait uniquement dans l’intérêt supérieur de ses citoyens.

Il était clair, par exemple, que dans une telle réalité, la liberté de circulation des Palestiniens serait entravée. En effet, l’annexion créerait de petites enclaves palestiniennes, densément peuplées et éloignées les unes des autres. Le document indiquait également que l’annexion porterait atteinte aux droits de propriété des Palestiniens en permettant l’expropriation de terres et la nationalisation de la propriété privée, notamment par l’application de la « Loi sur la propriété des absents ». De nombreux Palestiniens perdraient même l’accès à leurs terres agricoles, qui seraient incluses dans le territoire annexé. L’annexion, a-t-il été affirmé, permettrait au gouvernement israélien de développer les colonies plus facilement, sans se soucier du droit international. L’annexion mettrait en danger de nombreuses communautés palestiniennes non reconnues par Israël, car elle permettrait l’ expulsion de leurs habitants sous prétexte qu’ils seraient des résidents illégaux.

Bien que la Cour internationale de Justice de La Haye ait jugé l’occupation illégale, la Knesset a récemment appelé à l’application de la souveraineté sur les territoires. Cette déclaration s’inscrit dans l’esprit des accords de coalition du gouvernement et des déclarations répétées de ses membres selon lesquelles un État palestinien ne sera jamais créé. Selon le gouvernement israélien actuel, l’occupation n’est pas temporaire, le droit international est nul et non avenu et l’apartheid est le système de gouvernement privilégié. Par ailleurs, des mesures concrètes sont prises sur le terrain. En effet, le gouvernement a déjà assumé l’autorité directe sur les territoires par la création du « ministère des Colonies » (l’Administration des Colonies). Des pans entiers de l’administration de la Cisjordanie sont aujourd’hui gérés par des fonctionnaires et des juristes civils, notamment en ce qui concerne les terres palestiniennes et la vie des colons.

En ce qui concerne les droits des Palestiniens, on peut affirmer que la plupart des craintes soulevées dans le document de 2020 se sont matérialisées. En mars, le gouvernement israélien a décidé d’investir 335 millions de shekels dans la construction d’une route pour les Palestiniens, ce qui les empêchera de traverser la colonie de Ma’ale Adumim et la zone E1, qui représente environ 2,5 % de la Cisjordanie. Le bouclage de cette vaste zone bloquera le développement des villes palestiniennes de Jérusalem-Est, Ramallah et Bethléem. L’objectif est de créer les enclaves palestiniennes contre lesquelles le document mettait en garde. De plus, selon les documents de La Paix Maintenant, rien qu’au cours de la première année de guerre, les colons ont construit près de 140 routes illégales, dont la plupart traversent des terres privées palestiniennes. Ces routes mènent à des avant-postes et constituent un mécanisme de contrôle des collines et des zones, et empêchent l’accès des Palestiniens.

Dissiper le voile de fumée contribuera à la lutte acharnée contre le gouvernement, afin de mettre fin à la guerre et d’établir un État palestinien. Officiellement, le gouvernement israélien a annoncé qu’il avait investi près d’un milliard de shekels cette année – soit environ 30 % du budget total des routes interurbaines israéliennes – dans des routes conçues pour répondre aux besoins des colons, rien qu’en Cisjordanie. Quant au droit de propriété des Palestiniens : le gouvernement actuel n’a pas
appliqué la loi sur la propriété des absents aux territoires, mais a pris deux mesures importantes dans ce sens : il a exproprié près de 26 000 dunams de terres palestiniennes en les déclarant « terres d’État », et a récemment décidé de mettre en œuvre un accord foncier qui confisquera de fait des milliers de dunams de terres à des milliers d’absents palestiniens et de résidents de Cisjordanie.

Ces décisions s’ajoutent au terrorisme des colons, soutenu par l’armée et la police, qui empêche les Palestiniens d’accéder à de vastes zones de Cisjordanie. Un rapport conjoint de La Paix Maintenant et de Kerem Navot, publié début 2025, a révélé que plus de 60 communautés palestiniennes, comptant plus de 2 000 personnes, ont été expulsées de leurs terres depuis le début de la guerre par le terrorisme des colons et de l’État. Ce sont précisément ces communautés qui étaient considérées comme menacées d’expulsion en raison de l’annexion. Concernant l’expansion des colonies, depuis la mise en place du gouvernement, plus de 150 (!) nouveaux avant-postes ont déjà été établis, et rien que cette année (c’est-à-dire au cours des neuf derniers mois), le gouvernement a approuvé la construction de plus de 25 000 logements dans les colonies, soit plus de quatre fois la moyenne annuelle des années précédentes. Un article récent de Channel 14 affirmait que le seul inconvénient de l’annexion et de l’application de la souveraineté israélienne réside dans le ralentissement des processus de construction dans les colonies, car les autorités sont contraintes d’appliquer les mêmes processus de planification qu’à l’intérieur de la Ligne verte.

L’application de la souveraineté à la Cisjordanie donnera certainement au gouvernement des outils supplémentaires pour mettre en œuvre sa politique dangereuse. Cependant, l’écart entre les paroles et les actes s’est réduit au cours de son mandat, et l’annexion prend forme. Les véritables dangers présentés par le document Yesh Din de 2020 qui concernaient l’annexion se sont largement matérialisés, même sans déclaration officielle de souveraineté, et de nombreux changements de régime et de législation ont déjà été largement mis en œuvre. Par conséquent, paradoxalement, l’application formelle de la souveraineté présente un avantage. La déclarer contribuerait à dissiper l’écran de fumée qui masque la sombre réalité de l’annexion de fait, déjà en cours. L’application de la souveraineté montrerait clairement qu’Israël ne peut plus être qualifié de démocratie et qu’il adhère à une politique de guerre perpétuelle et d’occupation permanente. Lever cet écran de fumée favoriserait la lutte acharnée contre le gouvernement, la fin à la guerre et l’établissement d’ un État palestinien. C’est la seule façon de créer une réalité de sécurité et de liberté pour tous, ainsi que l’auto-détermination des deux peuples. Par ailleurs, il convient de noter que, contrairement aux dangers d’annexion qui se sont largement concrétisés, le danger actuel est que la politique d’extermination à Gaza soit aussi copiée en Cisjordanie, comme le prévoit le plan décisif de Bezalel Smotrich.