« Et puis, il y a eu Paris-VIII. C’est quand le dialogue est empêché, bafoué, rejeté qu’il prend tout son sens », écrit Perle Nikol [1] , qui prépare à l’université hébraïque de Jérusalem un master en analyse et résolution des conflits.

La délégation dont elle faisait partie [2] s’est trouvée empêchée par un petit groupe de militants pro-boycott [3] de rencontrer à Saint-Denis les étudiants du cru… Quel sens donner aux coups portés aux intellectuels et artistes israéliens à la pointe de la lutte pour le retrait des territoires occupés ? Sinon celui, désespérant, de l’exacerbation des conflits – quand il faudrait, à l’inverse, aider Israël et la Palestine à se libérer de l’emprise des extrémistes.


Nous sommes dix étudiants israéliens francophones, arrivés la semaine dernière pour un tour de France des campus. Nous étions venus te rencontrer, te comprendre, te demander de nous comprendre. Au moins de nous connaître. Nous étions venus parler d’Israël dont tu entends tant parler, sans jamais une occasion de nous en parler.

Nous sommes israéliens. Nous sommes les enfants des espoirs fous de paix pour une région qui n’avait connu que la guerre. Nous sommes les adolescents de l’intifada, de la folie meurtrière et du terrorisme aveugle. Nous sommes vivants parce que nos parents ont gagné des guerres. Nous sommes ceux qui osent rêver que notre génération saura gagner la paix.

À Paris, à Lyon, à Bordeaux, nous avons écumé les couloirs de tes campus. Nous avons discuté aussi avec des jeunes Français d’origine arabe, pour certains venus en France de pays qui ne reconnaissent pas le nôtre. Il y a eu des rencontres formidables. Il y a eu des discussions passionnées et des débats passionnants, des conversations parfois animées, parfois un peu tendues, souvent incroyablement riches.

Et puis, il y a eu Paris-VIII. C’est quand le dialogue est empêché, bafoué, rejeté qu’il prend tout son sens.

« Sionistes, Fascistes ! » hurlaient quelques égéries de la cause palestinienne à l’entrée de l’université, tandis que leurs collègues parcouraient les amphis pour dissuader les étudiants – comme toi – de se rendre à la rencontre prévue avec nous. Ils ont voulu t’empêcher de nous connaître, et ils y sont parvenus.

Pourquoi ? Parce que notre parole est dangereuse. Dix étudiants israéliens venus appeler au dialogue, poser des mots simples sur une situation complexe et rappeler que la politique d’un gouvernement n’a jamais mis en cause l’existence d’une nation, auraient pu faire vaciller les poncifs qu’on assène et ressasse pour attiser l’antisionisme, quand ce n’est pas l’antisémitisme.

À leurs yeux, la réflexion sur Israël – au delà des clichés, au delà du conflit sans pour autant le nier – menace leurs idées. Ce sont eux, au nom d’une certaine gauche ou d’une vision étriquée de l’islam, qui se sont laissés aller à des méthodes fascistes. Ils ont voulu t’empêcher d’entendre, et ils y sont parvenus.

Le sionisme, du racisme ? Laissez-nous rire. Être sioniste, c’est croire que le peuple juif a droit à son État. Le sionisme, c’est le nom d’un combat de libération. Nous sommes venus d’Israël en France dire aussi qu’il y a chez nous de la place pour deux peuples, pour deux nations. Par contre, ce n’est pas le cas à Paris-VIII.

Le racisme est partout, sur tant de vos campus. Nous avons vu plus de graffitis révisionnistes à Lyon-II qu’on ne peut les compter, plus de slogans antisémites dans les toilettes de Dauphine qu’on osait imaginer. Peut-on vraiment feindre de ne pas comprendre, aujourd’hui, que lorsqu’on hurle à l’entrée d’une université « Sioniste, la France n’est pas à toi ! », ce n’est ni aux Israéliens que nous sommes, ni aux sionistes, mais bien aux Juifs qu’on s’adresse ?

Aux cris de « Palestine vaincra ! », une poignée d’étudiant de Paris-VIII a pris en otage l’université. Face à une foule agressive, agitée, parfois violente, nous avons brandi silencieusement des pancartes pour appeler au dialogue, protégés par un cordon de sécurité dépêché par l’université. Il n’y a pas eu de rencontre entre étudiants. Faut-il te rappeler que même les Palestiniens parlent avec les Israéliens ? On ne peut faire la paix qu’avec nos ennemis. Les frontières sont à déterminer, ensemble. Nous sommes condamnés à discuter, à négocier, à nous comprendre.

Absurde situation où, dans le hall d’entrée de Paris-VIII, des responsables administratifs ont fait la navette entre les deux tables, rivales malgré nous, pour rétablir un semblant d’ordre. Devant l’agressivité de manifestants anti-israéliens toujours plus nombreux – l’université a fini par démanteler de force leur position, et notre stand à l’entrée de l’université (dont la tenue était régularisée au préalable), pendant que la foule s’employait à nous repousser vers la sortie. À Paris-VIII, semble-t-il, l’intimidation et la violence paient.

L’université, lieu d’apprentissage mais aussi d’échange, n’a pas seulement failli à sa mission. Elle a démissionné de son rôle. La présidente de l’université Paris-VIII devait assister à la rencontre, elle en a été empêchée par la violence de ses propres étudiants. Elle a ensuite proposé de nous recevoir, mais posé ses conditions. Les Israéliens seraient escortés hors du campus au vu de tous, puis réintroduits en cachette par les agents de sécurité de Paris-VIII à proximité de son bureau.

Nous avons refusé. Nous sommes les citoyens d’un pays démocratique, le seul de sa région. Toutes les opinions ont cours sur nos campus. Parmi les députés arabes d’Israël, certains appellent à sa destruction. Nous ne les escortons pas vers notre parlement par une porte cachée.

Nous sommes étudiants d’universités dans lesquelles les jeunes Juifs d’Israël apprennent au coté de jeunes Arabes. Nous n’y occultons pas le conflit, il fait partie intégrante de nos vies. Nos universités sont des lieux de vivre ensemble et de dialogue, elles sont peut-être le seul espace d’échange véritable entre les jeunes de nos sociétés. Nous t’y invitons.

Au nom des valeurs de ton pays, exige de ton université qu’elle rejette le jeu du boycott et de la haine. Exige qu’on te laisse, toi aussi, dialoguer.

NOTES

[1] Également sur ce site, l’enregistrement de l’interview de Perle Nikol par David Chemla sur Radio Judaïques dans ”Chroniques pour la Paix” du 28 mars 2014.

[2]Il s’agit de la délégation du collectif étudiant What Israel, venue à la rencontre des étudiants français (9 au 16 mars 2014).

[3] Loin des demandes d’étiquetage permettant un boycott sélectif des produits des implantations, les groupes ici concernés militent pour une mise d’Israël au ban des nations par des mesures indifférenciées dans et hors de la ligne verte.