De l’art de ne pas jeter d’huile sur le feu … C’est ce que l’auteur conseille à un président  pressé de fourrer son nez, et surtout sa langue jamais tournée sept fois, dans une problématique délicate. Que les raisons de ce dangereux empressement soient de politique intérieure tout autant que d’un tempérament que l’on sait brûlant n’est pas ici le propos. 

Michael Koplow expose dans cette tribune les périls pour la diplomatie américaine, comme pour le salut de ses alliés au Moyen-Orient, de prises de position ambiguës sur le statut de Jérusalem-Est. L’enjeu qu’il importe de préserver est l’avenir d’une paix israélo-palestinienne seulement fondée sur la solution à deux États – deux États dotés chacun d’une capitale à Jérusalem, deux États viables et égaux,


Traduction, Chapô & Notes, Tal Aronzon pour LPM

Photo : Jérusalem, la Vieille Ville et au-delà depuis la tour de David, crédit aljazeera.com [DR].

Forward.com, lundi 4 décembre 2017

https://forward.com/opinion/389005/the-one-thing-trump-should-say-about-jerusalem/


La Tribune de Michael Koplow

Le président Trump a un certain nombre d’importantes décisions à prendre en ce moment, de nature à affecter les perspectives de paix israélo-palestinienne. Ce qu’il fait va atteindre non seulement l’initiative de paix qu’il s’apprête à dévoiler mais encore, et plus largement, le cours du conflit entre Israéliens et Palestiniens. Les décisions de Trump cette semaine devraient être jugées à l’aune de sa capacité à traiter les parties avec une égale justice tout en conservant à son pays un rôle d’intermédiaire secourable plutôt que de contribuer à l’extension du chaos régional. Ce qui est en jeu n’est pas le sort de Jérusalem-Ouest, part d’Israël, mais que quelque initiative du président vienne perturber l’ambiguïté délibérée flottant sur le statut présent et futur de Jérusalem-Est. Toute inflexion de la politique américaine devrait être vue à travers ce prisme.

La première décision de Trump consiste à déménager ou non l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Le Jerusalem Embassy Act[1] adopté par le Congrès en 1995 enjoignait le président de déplacer l’ambassade – mais chacun d’eux depuis, y compris Trump lui-même en juin dernier, a signé tous les six mois pour des raisons de sécurité nationale une clause dérogatoire préservant la faculté de négocier menacée par cette loi. Et l’ambassade est restée où elle est.

La raison justifiant le déménagement de l’ambassade à Jérusalem se base sur une notion fondamentale d’équité. Israël est le seul État membre des Nations unies dont la capitale – déterminée par son propre gouvernement démocratiquement élu et souverain – n’est pas acceptée par le reste de la communauté internationale. Le statut des quartiers de  Jérusalem situés à l’ouest de la Ligne verte n’est pas contesté et l’OLP même accepte que Jérusalem-Ouest appartienne à Israël dans le cadre de négociations. Israël considère le refus d’installer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem-Ouest comme donnant des munitions à ceux qui mettent en cause l’existence même d’Israël, ce qui alimente la crainte que la légitimité de leur État ne soit jamais pleinement reconnue. Transférer l’ambassade américaine à Jérusalem redresserait un tort historique et enverrait un message puissant quant à l’histoire, la justice, et la qualité d’alliés prêts à vous soutenir.

Transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem ne serait cependant pas sans un certain coût. Il est quasi certain que cela provoquerait des violences contre les Israéliens et contre les services diplomatiques américains de par le monde, le sentiment le plus fort étant que les États-Unis changent le statu quo à Jérusalem et pèsent du doigt sur le plateau de la question la plus sensible de tout le conflit israélo-palestinien. Cela mettrait aussi en danger les alliés-clef des États-Unis, au premier rang desquels la Jordanie. Du fait de son rôle historique à Jérusalem ; du statut privilégié qui lui est reconnu dans le traité israélo-jordanien [2] ; de sa population d’origine majoritairement palestinienne – tout changement brusque dans la cité a un impact primordial sur la politique intérieure jordanienne. Des manifestations centrées sur un changement à Jérusalem peuvent aisément exploser hors de tout contrôle et mettre en danger l’allié arabe des États-Unis le plus fiable au Moyen-Orient.

En fin de compte, transférer l’ambassade à Jérusalem hors du contexte d’un accord de  permanent entre Israël et les Palestiniens détruira toute crédibilité américaine auprès des Palestiniens en tant qu’intermédiaire honnête et rendra plus difficile – sinon absolument impossible – un éventuel retour des Palestiniens à la table des négociations. Transférer l’ambassade serait vu comme une concession énorme faite à Israël sans rien donner aux Palestiniens en retour, et ferait monter les tensions à travers la région plutôt que les apaiser.

Même s’il ne déplace pas l’ambassade, des rapports indiquent que Trump soupèse la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Cela aussi risque d’embraser la région, mais à la différence du transfert de l’ambassade, il y a moyen de le faire de façon juste pour les deux parties et sans porter préjudice à un futur accord de paix.

Déclarer toute Jérusalem capitale d’Israël représenterait un brulot plus ardent encore qu’un transfert de l’ambassade. Après tout, si l’ambassade était transférée dans un quartier de Jérusalem-Ouest, le gouvernement Trump pourrait soutenir de façon crédible que cela ne nuit pas à de futures négociations sur Jérusalem-Est et ne constitue pas un changement de la ligne américaine – quoique le Palestinien ordinaire manifestant dans les rues ne gobe probablement pas ce distinguo.

Reconnaître une Jérusalem indivise comme capitale d’Israël, cependant, élimine cette distinction à jamais. Le statut de Jérusalem est depuis toujours le plus épineux des problèmes fondamentaux au cœur du conflit israélo-palestinien. Des changements dans le statu quo de la cité – tels qu’on en a vus lors du conflit sur le Mont du Temple en juillet dernier – mènent à des explosions de violence susceptibles de se révéler difficiles à contrôler, menaçant fondamentalement la sécurité d’Israël. Il ne fait aucun doute qu’user d’éléments de langage alignant implicitement ou explicitement la politique américaine sur la revendication du gouvernement israélien de Jérusalem entière sera la chose la plus dommageable que le gouvernement Trump pourrait faire à la perspective d’une paix future entre Israël et les Palestiniens.

Il est une façon pour le président de traiter les revendications historiques des Israéliens et des Palestiniens équitablement et de conserver la crédibilité américaine des deux côtés, ce serait de reconnaître Jérusalem-Ouest comme la capitale d’Israël et de ne laisser aucune ambiguité quant à la permanence de la politique américaine existante en ce qui concerne le reste de la ville.

Cela supposerait de préciser clairement que les États-Unis ne reconnaissent pas la souveraineté israélienne sur la ville dans son entier et que déclarer Jérusalem-Ouest comme la capitale de plein droit d’Israël n’empêche pas l’établissement d’une future capitale palestinienne à Jérusalem.

Cette option confère à Israël la reconnaissance due à sa capitale sans pour autant préjuger des négociations sur les parties contestées de la cité, et pourrait également contourner les déclencheurs de violence les plus probables. Cela, et cela seulement dans la liste des options envisagées par Trump, serait l’unique moyen à la fois de légitimer les justes revendications d’Israël à Jérusalem et de préserver dans l’avenir une solution à deux États viable.

Le président Trump semble pressé de plonger tête la première dans une question semée de chausse-trappes et embûches potentielles. La seule façon d’y réussir est de maintenir l’équilibre actuel à Jérusalem, et de ne rien faire qui rende le Moyen-Orient plus chaotique.  S’il décide de transférer l’ambassade ou, plus dangereux encore, de soutenir les revendications israéliennes sur la totalité de la municipalité de Jérusalem [3], il aura raté l’examen.


Notes

[1] Le “Jerusalem Embassy Act”, adopté par le Congrès en novembre 1995, stipule le transfert de l’ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem. Cependant la concrétisation de ce déménagement est soumise à la décision du président en fonction de la situation et des intérêts américains sur la scène internationale. La question se pose ainsi tous les six mois de nouveau. Jusqu’ici, les présidents successifs ont usé de la clause dérogatoire laissée à leur discrétion. Ce fut également une première fois le cas de Donald Trump, dont les hasards du calendrier firent qu’il dut statuer sur ce point dès sa prestation de serment.

Le texte adopté par la Congrès >

https://www.congress.gov/104/plaws/publ45/PLAW-104publ45.pdf

[2]  Le traité israélo-jordanien dit de Wadi Araba (la vallée de l’Arava) fut signé le 26 octobre 1994 dans une localité située au nord d’Aqaba. La Jordanie devenait ainsi le second pays arabe à conclure officiellement la paix avec Israël (après l’Égypte en 1979).

Le traité >

http://jcpa-lecape.org/wp-content/uploads/2012/05/355481.pdf

[3]  il s’agit du grand Jérusalem, aux limites étendues depuis la guerre des Six Jours et qui inclue nombre d’agglomérations arabes souvent cerclées de murs ou palissades.


L’Auteur

Diplōmé de Harvard (MA d’études moyen-orientales) et de Georgetown (PHD en sciences politiques), Michael J. Koplow est l’actuel directeur exécutif de l’Israel Policy Forum (IPF) fondé par Yitshak Rabin et R, Lifton afin de gagner le soutien des dirigeants juifs américains et des décideurs politiques aux États-Unis en faveur d’une solution viable à 2 États et d’un Israël juif, sûr et démocratique.

http://twostatesecurity.org

Entré à l’IPF en 2016, après avoir formé les fonctionnaires du State Departement et travaillé au Conseil en Relations internationales, il participe activement à leur communication ; Il édite Matzav, où l’on peut lire des commentaires et analyses sur la société, la politique intérieure et la politique étrangère israéliennes ; tient un blog dans le Forward ; publie des articles ou des interviews dans Security Studies, Foreign Affairs, The Wall Street Journal, The National Interest, Foreign Policy, etc. ; passe sur les chaînes tv naionales et les ondes ; et est l’auteur de Ottomans and Zionists.