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Bitterlemons, 4 mai 2006

Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Les dirigeants jordaniens n’ont pas été particulièrement ravis du succès du Hamas aux élections législatives palestiniennes de janvier dernier. Ils ne s’attendaient d’ailleurs pas à ce que ce mouvement islamiste dispose d’une majorité suffisante pour former son propre gouvernement. Si les premières réactions ont été prudentes et confuses, les observateurs pensent qu’Amman a de bonnes raisons de se faire du souci en voyant les Frères musulmans prendre le pouvoir en Palestine.

L’une de ces raisons est la relation entre la Jordanie et le Hamas, qui, depuis la fermeture des bureaux du Hamas à Amman et l’expulsion de ses dirigeants en 1999, est devenue problématique, les efforts de certains milieux jordaniens et arabes pour combler le fossé entre les deux parties ayant échoué. Le Hamas et la Jordanie sont en totale opposition à l’égard du processus de paix. La Jordanie est en pointe dans le camp qui soutient ce processus, alors que le Hamas mène l’opposition depuis que ce processus a été lancé, à Madrid, qu’il s’est développé avec Oslo et évolué vers la Feuille de route et sa vision d’une solution à deux Etats.

La diplomatie jordanienne craint que l’arrivée au pouvoir du Hamas en Palestine ait affaibli les chances de redonner vie au processus de paix qui, de toute façon, est sous respiration artificielle depuis six ans. Cela pourrait avoir des répercussions dramatiques sur la sécurité de la Jordanie, sa stabilité et ses intérêts.

Les milieux politiques jordaniens ne cachent pas leur inquiétude concernant la tendance à l’unilatéralisme, du côté palestinien comme du côté israélien. Certains représentants jordaniens affirment que c’est l’unilatéralisme israélien qui a généré cette tendance à l’unilatéralisme du côté palestinien, incarnée par le Hamas, et que le gros perdant dans cette succession de mesures unilatérales est le processus de paix et la perspective de deux Etats.

Du point de vue des intérêts jordaniens tels que les définit l’équipe au pouvoir à Amman, toute solution au problème palestinien qui ne passe pas par la création d’un Etat palestinien viable finira par nuire aux intérêts et à la stabilité de la Jordanie, et ouvrira la porte à des développements qui se feront à son détriment.

Pour comprendre l’inquiétude des dirigeants jordaniens après la victoire du Hamas, il faut prendre en compte certaines considérations, politiques et démographiques, qui influencent sa situation intérieure. Au moins la moitié des citoyens jordaniens sont d’origine palestinienne. D’autre part, les Frères musulmans en Jordanie, et leur bras politique, le parti du Front pour l’Action islamique, sont considérés comme une force très importante, dont l’influence est particulièrement forte dans les camps de réfugiés et dans les quartiers urbains à majorité palestinienne.

Les Frères musulmans en Jordanie ont gagné en confiance après la victoire du Hamas. Certains de leurs dirigeants ont abandonné leur position traditionnelle qui consistait en une simple participation aux élections, et aspirent désormais à obtenir une majorité qui leur permettrait de former un gouvernement. Par exemple, le chef du bloc Front pour l’Action islamique a déclaré que son parti était tout à fait qualifié pour former un gouvernement s’il disposait d’une majorité en sièges aux prochaines élections. Cela a provoqué une vive réaction du gouvernement ainsi que de certains journalistes connus pour exprimer la ligne officielle.

Suite à ces développements, certains milieux politiques jordaniens se sont inquiétés, ces derniers mois, de la lenteur du gouvernement à appliquer la politique de réformes promise. Plusieurs partis et militants qui défendent les droits civiques et les réformes craignent que le projet d’instaurer une nouvelle une électorale l’année prochaine échouera à la lumière des leçons tirées des expériences palestiniennes et égyptiennes [qui ont montré une forte poussée de l’islamisme].

Ces derniers temps, les relations entre la Jordanie et le Hamas se sont encore détériorées à la suite de la révélation par un porte-parole du gouvernement qu’une cellule liée au Hamas opérait pour faire parvenir illégalement en Jordanie armes et explosifs, qu’elle les stockait en Jordanie, et qu’elle surveillait certaines personnalités et installations clé jordaniennes. Cette révélation intervenait quelques heures à peine avant l’arrivée prévue du Dr Mahmoud Al-Zahar, ministre des Affaires étrangères [Hamas] de l’Autorité palestinienne, pour sa première visite à Amman. Cette affaire, qui a causé un choc et a été accueillie avec un certain scepticisme dans l’opinion jordanienne, a provoqué une controverse qui dure toujours.

Ceux qui mettent en doute la véracité de la version officielle se fondent sur le fait que le Hamas, depuis sa création, n’a jamais entrepris d’action armée en dehors de la Palestine et d’Israël. Ils affirment qu’il est difficile de croire qu’un mouvement qui respecte depuis plus d’un an un cessez-le-feu avec Israël envisage d’entreprendre des actions militaires contre des institutions ou des personnalités jordaniennes, en particulier à un moment d’isolement et de blocus, alors que le Hamas se concentre sur les moyens de sortir de la crise qui affecte ses relations avec les Arabes et la communauté internationale.

Après qu’il fut confirmé que la sécurité jordanienne avait bien arrêté une cellule qui se réclamait du Hamas, il a été émis l’hypothèse que le Hamas avait été infiltré par les services de renseignement de Damas et de Téhéran, ou que certaines cellules du Hamas travaillaient en réalité pour le compte de groupes islamistes extrémistes chiites ou salafistes.

Alors que les milieux gouvernementaux reconnaissent la difficulté de convaincre l’opinion de la véracité de ces informations, ceux qui les mettent en doute affirment que le véritable objectif de ces révélations va au-delà du report aux calendes grecques de la visite d’Al-Zahar. Ils supposent qu’accuser le Hamas de viser les intérêts nationaux jordaniens constitue un message à usage à la fois interne et américain. Les Etats-Unis, qui mènent une grosse campagne de pressions pour isoler le Hamas, sont ainsi informés que la Jordanie prend ses distances avec le mouvement islamiste.

Malgré les failles dans ces accusations explicites à l’égard du Hamas, la Jordanie n’a pas hésité à déclarer qu’elle limiterait sa coopération avec l’Autorité palestinienne et qu’elle n’aurait de relations qu’avec son président, Mahmoud Abbas. Le président égyptien Hosni Moubarak a adopté la même attitude lors du sommet d’Akaba qui réunissait il y a quelques jours les deux dirigeants. L’Egypte et la Jordanie ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis de l’extrémisme du Hamas concernant le processus de paix, ainsi que vis-à-vis de l’unilatéralisme israélien. Tous les deux ont décidé de traiter avec le premier ministre israélien et avec le président palestinien sur la base de la Feuille de route et de la « vision » du président Bush relative à deux Etat pour deux peuples.