Un leadership politique courageux est nécessaire. Dans deux semaines, les Français et les Saoudiens nous serviront une nouvelle fois sur un plateau d’argent. Il est regrettable que nos dirigeants (y compris ceux de l’opposition) soient sourds, aveugles ou muets.
Auteur : Lior Amihai, Ha’aretz, 6 juin 2025
https://peacenow.org.il/lior-amihai-article-070625
Traduction : Dory , groupe WhatsApp »Je suis Israël »
Photo : Des Palestiniens de Maghayer A-Dir chargeant leurs biens sur un camion, le 23/5/25
Mis en ligne le 12 juin 2025
Cette semaine, la France et l’Arabie saoudite devraient se réunir à New York pour promouvoir une initiative politique de paix régionale entre Israël et tous les pays arabes. Cette initiative comprend la fin de la guerre, le retour des otages et l’élimination du Hamas. Elle inclut également la solution à deux États et l’établissement de relations pacifiques avec tous les pays arabes. C’est une occasion rare de façonner le visage du Moyen-Orient tout en renforçant la sécurité et l’économie d’Israël et en le ramenant au sein de la normalité. On comprend que le gouvernement ignore une telle initiative– mais pourquoi l’opposition reste-t-elle silencieuse ?
Il s’agit d’une réédition de l’initiative de paix saoudienne de 2002, que tous les pays arabes prennent la peine de ratifier chaque année au sein de la Ligue arabe. Alors, et depuis lors, Israël a rejeté toute opportunité de paix et de sécurité. L’année dernière, le président américain Joe Biden a tenté de lancer un processus politique, mais le gouvernement israélien a refusé. Aujourd’hui, même l’administration Trump poursuit ses accords avec l’Arabie saoudite et abandonne la normalisation entre ce pays et Israël. En l’absence de partenaire israélien, les gouvernements du monde continuent sans nous. Mais où est l’opposition ?
C’est précisément dans l’alternative politique que réside la meilleure chance de résoudre les problèmes critiques et existentiels d’Israël. Cette alternative politique constitue la plus grande menace pour le gouvernement. Elle est au cœur de la possibilité de mettre fin à la guerre, elle est l’issue du retour des personnes enlevées, elle offre le plus de garanties pour une véritable sécurité et elle est la clé de la normalisation avec les pays arabes – un retour non seulement économique, mais aussi sécuritaire.
Pendant ce temps, l’État d’Israël change de visage. Les crimes de guerre sont commis à Gaza à un rythme si alarmant que même s’ils cessaient demain, la marque de Caïn serait gravée sur nos fronts et hanterait nos enfants. Il ne s’agit pas « simplement » d’une injustice morale. Cela s’inscrit dans une politique systématique et cohérente d’annexion, d’expulsion et de création d’un État suprémaciste juif non démocratique, sans Arabes. Critiquer le fait que le gouvernement « ne pense pas au lendemain » est naïf. Il ne s’agit pas d’un manque de professionnalisme, mais d’un plan : le maintien du contrôle de Gaza, l’expulsion des Palestiniens et, ultérieurement, la colonisation. Les ministres le déclarent ouvertement, et l’armée l’exécute.
La position officielle du gouvernement israélien est qu’un État palestinien ne sera pas créé et il travaille activement à la mise en œuvre concrète de l’annexion. Mais contrairement à l’annexion totale, qui comprend également l’octroi de la citoyenneté et de l’égalité des droits, il s’agit ici d’appliquer une souveraineté partielle sans reconnaître l’égalité des droits. C’est la définition même de l’apartheid.
Les massacres aveugles à Gaza, ainsi que les rumeurs d’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza – sous le nom sordide de « migration volontaire », sans aucun engagement quant à leur retour à la fin de la guerre – témoignent d’une volonté de nettoyage ethnique. Pendant ce temps, en Cisjordanie, Tsahal procède à l’expulsion massive de dizaines de milliers de Palestiniens des camps de réfugiés des régions de Djénine et de Tulkarem. Le ministre de la Défense a déclaré qu’ils ne seraient pas autorisés à rentrer chez eux cette année, et Tsahal a déjà démoli des centaines de maisons et les laisse sans aucun endroit où retourner.
Cela s’ajoute à la situation de communautés palestiniennes entières en zone C qui quittent leurs terres à cause des violences perpétrées par les colons et les soldats. Tout récemment, la journaliste Hagar Shezaf a dénoncé un avant-poste violent établi à 50 mètres d’une communauté palestinienne dans le but de les expulser – et c’est exactement ce qui s’est produit (Ha’aretz, le 4 juin). Un avant-poste qui s’ajoute aux 87 autres établis depuis le début de la guerre, et une communauté palestinienne qui s’ajoute aux 60 autres ayant déjà quitté leurs terres, totalement ou partiellement. L’objectif n’est pas seulement le contrôle des terres, mais l’expulsion des communautés elles-mêmes. Qu’est-ce que cela signifie, sinon un nettoyage ethnique au profit de l’occupation coloniale ?
Voilà le prix que paient les Palestiniens pour cette politique. Ils sont privés de leurs droits, privés de leur statut, opprimés, expulsés, tués. C’est un prix honteux, qui incarne des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Telle est la politique du gouvernement israélien, menée par l’armée et les forces de l’ordre.
Il n’est pas étonnant que ce gouvernement ignore une initiative visant à mettre fin à la guerre, à faire rentrer les personnes enlevées et à établir des relations pacifiques. Mais où est passée l’opposition ?
Nous, Juifs israéliens, payons également un prix insupportable : nos soldats combattent, ils sont tués, des civils sont rappelés en tant que réservistes pendant des centaines de jours, les personnes enlevées sont retenues captives pendant plus de 600 jours. La situation économique est difficile et l’isolement politique s’aggrave et est manifeste. L’échec de la normalisation avec l’Arabie saoudite et les pays arabes est peut-être moins visible, mais il est réel. Le drame est que, face à cela, aucune alternative politique. ne se dégage actuellement. Les dirigeants de l’opposition, qui luttent avec détermination pour le retour des personnes enlevées, l’égalité de tous en regard de la conscription, un budget équitable et s’opposent au coup d’État à l’intérieur de la ligne verte, restent silencieux face à l’annexion, à l’apartheid, aux crimes de guerre et au nettoyage ethnique. Et ce, alors même que chacun de ces éléments sape les fondements d’Israël.
Et lorsque l’opposition ne se tait pas, lorsqu’elle s’exprime, elle adopte généralement la politique du gouvernement. Benny Gantz assiste à une conférence dans la colonie d’Ofra, qualifie les colonies d’ « ityashvout / installation » (1) et encourage le gouvernement à faire avancer le plan d’expulsion de Gaza. Gadi Eizenkot exclut la possibilité d’un État palestinien. Et tous, d’un commun accord, condamnent Yair Golan pour une déclaration qui reflète en substance les actions de l’État, même si elle n’est pas formulée dans un langage politiquement correct.
Les 22 nouvelles colonies récemment approuvées en secret par le gouvernement s’ajoutent aux quelques 20 000 logements dans les colonies qui ont été construits au cours des cinq derniers mois. Parmi celles-ci, 1 673 logements supplémentaires ont été approuvés cette semaine seulement. Lors de l’année record précédente, il y a deux ans, ce chiffre dépassait à peine 12 000 sur l’ensemble de l’année. Les ministres des Finances et de la Défense ont également annoncé que le tristement célèbre plan E1 (2) serait bientôt approuvé, un projet que les gouvernements israéliens ont évité de mettre en œuvre pendant trois décennies en raison des graves conséquences qu’il aurait sur la faisabilité de la solution à deux États.
Cette déclaration n’est pas fortuite. Elle s’inscrit dans une politique planifiée et ordonnée. Il y a deux mois, le Cabinet a approuvé une mesure complémentaire : un budget de 335 millions de shekels pour la construction d’une route destinée aux Palestiniens, une mesure visant à créer des réseaux routiers séparés pour les Israéliens et les Palestiniens. Ainsi, en détournant le trafic palestinien, il sera plus facile de boucler une vaste zone au cœur de la Cisjordanie, d’expulser les communautés palestiniennes qui s’y trouvent et de mettre en œuvre le plan E1.
La colonie palestinienne de Sebastia (3) a également commencé à être occupée – la même Sebastia, autrefois symbole de la lutte des colons, devient maintenant un outil central pour la réimplantation de colonies au nord de la Samarie. Quelqu’un dans l’opposition a-t-il condamné ces mesures? Pas encore. Pas plus tard qu’en début de mois a été approuvé un processus de « colonisation foncière » qui permettra l’accaparement massif de terres des Palestiniens en Cisjordanie. Il ne s’agit pas seulement d’une violation des droits de propriété des Palestiniens, mais d’une étape importante dans les efforts d’annexion, de nettoyage et d’apartheid.
Une voix s’est-elle levée? Quelqu’un a-t-il manifesté ? Des groupes luttent, mais l’opinion publique, majoritairement, ne voit ni n’entend. Et l’opposition reste silencieuse. Elle ne valide pas la lutte contre cette politique et n’en prend certainement la direction. Et c’est là toute la tragédie. Car c’est précisément dans l’alternative politique que réside la meilleure chance de résoudre les problèmes critiques et existentiels d’Israël.
Cette alternative constitue la plus grande menace pour le gouvernement. Elle est au cœur de la possibilité de mettre fin à la guerre, elle est la clé du retour des personnes enlevées, elle offre le plus de garanties pour une véritable sécurité, et elle est la clé de la normalisation avec les pays arabes –contrepartie non seulement économique mais aussi sécuritaire.
La solution à la crise urgente et existentielle d’Israël est face à nous. Nous n’avons pas besoin de chercher ailleurs. Elle n’est pas simple, ni sans complications et difficultés, mais elle existe, elle crie et demande à être promue. Un leadership politique courageux est nécessaire. Dans deux semaines, une nouvelle occasion se présentera, celle que les Français et les Saoudiens nous offrent sur un plateau d’argent. Il est regrettable que nos dirigeants (y compris ceux de l’opposition) restent sourds, aveugles ou muets.
(1) Hityashvout : établissement, installation, point de peuplement. C’est le terme utilisé lors de la période pré-étatique, et même près, lorsque des points de peuplement, kibboutz, moshav, étaient créés. Le recours à cette terminologie tend à normaliser et donner des lettres de noblesse aux colonies implantées hors des frontières reconnues de l’État, ce qui n’était pas le cas des implantations avant 1948 (pas d’État/ pas de frontières ) et après (création de zones de peuplement exclusivement à l’intérieur du territoire israélien).(ndlr)
(2) La zone E1 (12 km2) située en Cisjordanie, s’étend de Jérusalem-Est à la colonie de Ma’ale Adumim. En cas d’implantation juive dans cette zone, la Cisjordanie serait de facto divisée en deux, entravant la continuité territoriale d’un futur État palestinien.(ndlr)