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Ha’aretz, 13 octobre 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Imaginons une situation où un habitant de Haïfa n’aurait pas le droit d’entrer dans Tel-Aviv sans permis (de surcroît difficile à obtenir) de la police israélienne. Imaginons également que le ministère de l’Intérieur ne permette pas aux gens de changer de lieu de résidence en Israël sans son autorisation, et que cette autorisation de changement d’adresse ne soit accordée qu’à de rares individus, sans aucun critère explicite et sans aucune transparence.

Imaginons une situation où 10 étudiants de Rosh Pina (localité à l’extrême nord d’Israël, ndt) se seraient inscrits en physiothérapie à l’université de Beer Sheva (au sud, dans le Néguev). Allez faire vos études à Safed, leur diraient les autorités, sans tenir compte du fait qu’il n’existe pas de cours de physiothérapie à Safed. Ou bien, supposons qu’un jour, le ministère de l’Intérieur suspende les autorisations de changements d’adresse d’un district à l’autre. Les autorités permettraient à une jeune fille du kibboutz Hazorea de se rendre à Jérusalem et d’épouser son fiancé de Jérusalem, avec lequel elle vit, mais elles refuseraient de modifier son adresse. Puis, alors qu’elle est allée à Hazorea assister à l’enterrement de son père, elles refuseraient de la laisser retourner à Jérusalem, où elle serait considérée comme « illégalement présente ».

Difficile à imaginer? Cette réalité suffocante est pourtant quotidienne, mais les victimes ne sont pas israéliennes, mais palestiniennes. Il suffit de changer les noms de lieux. Remplaçons Hazorea et Haïfa par Deir el-Balah et Gaza ; Beer Sheva et Rosh Pina par Ramallah, Bethléem ou Jéricho. Tous les cas cités plus haut ont été une réalité, pour des habitants de Gaza ou de Cisjordanie. Et ils ne représentent que quelques gouttes dans l’océan des prohibitions. Et le responsable en est le contrôle total qu’exerce Israël sur le registre palestinien de la population.

Le summum de ce contrôle se manifeste par la liberté avec laquelle les autorités israéliennes empêchent les habitants de la bande de Gaza de visiter, de résider ou de travailler en Cisjordanie. Depuis cinq ans, toute personne dont l’adresse inscrite sur sa carte d’identité est « Gaza » mais qui se trouve en Cisjordanie sans permis de transit valide sera considérée comme « illégalement présente » et sera expulsée vers Gaza. Des dizaines de milliers de personnes sont dans ce cas, dont certaines habitent la Cisjordanie depuis 20 ou 30 ans. Elles vivent dans la peur perpétuelle d’être arrêtées à un check-point par un soldat qui les expulsera vers Gaza.

D’après les accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne n’a pour toute obligation que d’informer le ministère israélien de l’Intérieur du changement d’adresse d’une personne : de Naplouse à Ramallah, de Gaza à Hebron ou à Jéricho. Il n’est stipulé nulle part que l’Autorité palestinienne doit attendre l’autorisation israélienne pour effectuer le changement d’adresse. La logique est claire. D’après les accords, la bande de Gaza et la Cisjordanie constituent une seule unité territoriale. Malgré cela, Israël viole systématiquement cette clause en ce qui concerne les habitants de Gaza. Israël se réserve le droit d’autoriser ou d’interdire un changement d’adresse, sans recours à des critères transparents, et sans expliquer cette violation des accords d’Oslo. L’élément décisif, c’est la main israélienne sur le clavier : si un fonctionnaire israélien ne modifie pas l’adresse dans l’ordinateur, le soldat et le policier postés au check-point le sauront immédiatement et arrêteront le contrevenant.

C’est ce qui est arrivé à H.. Né à Gaza, il entreprend en 1991 des études d’informatique à l’université de Bir Zeit en Cisjordanie. Puis il y trouve un emploi, se marie et fonde une famille. Il modifie son adresse auprès des services du ministère palestinien de l’Intérieur. En mars 2002, dans le cadre de son travail, on lui demande de se rendre en Jordanie. Il est arrêté au pont Allenby et incarcéré dans la prison d’Ashkélon. Là, ses interrogateurs lui disent que d’après l’ordinateur israélien, son adresse est « Gaza » et qu’il est donc « illégalement présent » à Ramallah.

Il a été déporté à Gaza. Les appels à l’Administration civile du Centre pour la Défense de l’Individu pour qu’il lui soit permis de rejoindre sa femme et ses enfants et de retrouver son travail sont restés sans réponse. En juin 2003, le Centre se tourne vers la Haute cour de Justice. En février 2004, presque un an après la déportation de H., le bureau du procureur de l’Etat dit à la Haute cour que, « par mesure de clémence, il a été décidé de permettre à H. d’entrer en Judée-Samarie et d’y demeurer ».

Cette interférence dans les décisions personnelles des habitants de Gaza, comme le choix du lieu d’études ou de résidence, a commencé en 1991, quand Israël changea de politique et obligea les Palestiniens à obtenir des autorisations de déplacement depuis les territoires vers Israël, et entre la Cisjordanie et Gaza. Cette interférence n’a fait que s’aggraver avec la création de l’Autorité palestinienne, et ce en contradiction flagrante avec les accords d’Oslo. Dans de nombreux cas, une action en justice provoque une rétractation de la part de l’Etat, « par mesure de clémence », même si le prétexte était à l’origine des « raisons de sécurité », ce qui souligne bien l’arbitraire inhérent à cette politique.

La question de principe comme le fait historique demeurent : Israël a commencé à séparer les habitants de la bande de Gaza de ceux de Cisjordanie avant les accords d’Oslo, a continué sans interférence pendant la période d’Oslo et l’euphorie qui a régné à la suite des accords de paix, et complète cette séparation, cette fois en profitant de l’admiration suscitée par le plan de désengagement.